À l’issue de longues négociations, reflétant les difficultés à faire émerger un consensus sur les questions relatives à l’asile et à l’immigration, le Pacte européen sur la migration et l’asile a été dévoilé le 23 septembre 2020 par la Commission européenne. Ensemble conséquent, composé de cinq projets d’actes législatifs, auxquels s’ajoutent quatre textes de soft law, le Pacte ambitionne de donner un nouveau cadre à la politique d’immigration et d’asile de l’Union, permettant de gérer les flux migratoires de manière globale, durable, solidaire et respectueuse des valeurs de l’Union[1]. Si les médias se sont largement fait l’écho de la prétendue disparition du système Dublin, annoncée par la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen, la réalité s’avère beaucoup plus nuancée. Outre que la logique du règlement « Dublin III »[2] n’est pas fondamentalement bouleversée, le Pacte contient des éléments qui n’ont pas fait l’objet de la même attention du grand public.
Ainsi en est-il, notamment, de la dimension externe du Pacte européen sur la migration et l’asile, pourtant présentée par la Commission comme l’un de ses piliers[3]. Si le Pacte ne propose pas de véritable innovation normative quant à sa projection au-delà des frontières extérieures de l’Union, il augure toutefois d’un approfondissement de l’externalisation de la politique migratoire de l’Union, processus déjà à l’œuvre depuis de nombreuses années. L’externalisation tend à maintenir les ressortissants de pays tiers, migrants ou demandeurs de protection internationale, hors du territoire de l’Union, par un ensemble de procédés comme les partenariats avec les pays tiers, le renforcement de la surveillance et des contrôles aux frontières, voire le transfert de certaines responsabilités à des personnes privées, point qui évoque davantage la dimension économique originelle de la notion d’externalisation, consistant en un transfert d’une activité à une entité externe. Il s’agit pour l’Union de repousser ses frontières extérieures aux fins de prévenir et contrôler les flux migratoires[4], en impliquant pour ce faire les pays tiers d’origine et de transit. Cette dimension est devenue centrale pour la politique migratoire de l’Union. En des termes dépourvus d’ambiguïté, Jean-Pierre Cassarino estime ainsi qu’« aujourd’hui, sans l’appui des pays tiers pour contrôler les frontières et endiguer les flux de manière préventive, il n’y a aucune politique migratoire menée par l’[Union européenne] »[5]. Les chiffres reflètent d’ailleurs une certaine efficacité de la coopération avec les pays tiers dans la prévention de l’immigration irrégulière. À titre d’exemple, l’Organisation internationale des migrations a estimé à 54% la diminution du nombre de migrants en provenance du Maroc entrés irrégulièrement en Espagne en 2019, du fait de l’appui de l’Union au Maroc pour renforcer ses capacités de surveillance des frontières[6]. La même année, les départs vers l’Union empêchés par la Turquie se chiffraient quant à eux en dizaines de milliers[7]. Il n’est donc pas surprenant que cette dimension extraterritoriale soit très présente au sein du Pacte sur la migration et l’asile. Réciproquement, la question migratoire tend à irriguer l’ensemble des relations externes de l’Union : la Commission estime ainsi que « dans les partenariats globaux [avec les pays tiers], la migration devrait être intégrée en tant que question centrale »[8].
Dans le discours, les risques que présente cette extra-territorialisation pour les droits fondamentaux des migrants, et plus particulièrement des demandeurs d’asile, sont parfois habilement dissimulés sous le voile de la prévention. Il semble relever d’un consensus que la lutte contre l’immigration irrégulière doit remonter à ses racines, à ses « causes profondes » selon les termes de la Commission[9], c’est-à-dire à la situation dans les pays d’origine. De cette perspective peuvent alors découler différentes actions : se concentrer sur l’aide au développement, afin de prévenir des migrations économiques considérées comme non légitimes[10], ou, de manière plus directe, retenir les migrants dans leurs pays d’origine ou de transit, grâce à des partenariats avec ces derniers. Il s’agirait ainsi de prévenir l’immigration irrégulière, et, ce qui peut être présenté comme favorable aux droits fondamentaux, de dissuader et empêcher les migrants de risquer leur vie sur la route migratoire la plus meurtrière que constitue désormais la Méditerranée. Un discours à coloration humanitaire que certains auteurs considèrent comme dissimulant une volonté de justifier le sacrifice du droit d’asile par la protection du droit à la vie[11]. De même, la volonté de lutter contre le trafic de migrants, réaffirmée dans le Pacte[12], se révèle plutôt consensuelle, mais recèle le même paradoxe si elle ne s’accompagne pas de voies sûres d’accès à l’asile.
De surcroît, le maintien à l’écart du territoire de l’Union des ressortissants de pays tiers peut être davantage juridique que géographique, grâce au recours à des fictions permettant de ne pas faire bénéficier les migrants des garanties inhérentes à la présence sur le territoire. Si l’externalisation, ou l’extra-territorialisation, opère une « disjonction entre la frontière physique de l’État et le lieu effectif du contrôle du passage de l’étranger »[13], le Pacte va parfois plus loin, en faisant des frontières extérieures de l’Union des espaces dérogatoires, au sein desquels les migrants ne seraient pas considérés comme se trouvant sur le territoire d’un État membre. Les ressortissants de pays tiers, empêchés de pénétrer sur le territoire de l’Union, espace unifié de protection des droits fondamentaux, sont ainsi naturellement privés de la plénitude des droits. Les vertus que présente l’extra-territorialisation pour l’Union et ses États membres sont ainsi étendues à des personnes pourtant parvenues à s’approcher, voire à franchir de facto les frontières extérieures de l’Union. C’est pourquoi la notion de mise à l’écart du territoire de l’Union, plus large que celle d’extra-territorialisation, nous semble la plus à même de constituer l’une des lignes directrices du Pacte. Cette volonté est en effet martelée par la Commission : de la nécessité de prévenir le franchissement des frontières extérieures à la prévalence des retours dans de nombreux instruments composant le Pacte, le ressortissant de pays tiers dont la circulation n’est pas considérée comme légitime ne doit pas fouler le sol du territoire européen, et, à défaut, doit le quitter dans des délais aussi brefs que possible.
Le Pacte met ainsi fortement l’accent sur les retours, qui constituent d’ailleurs l’une des modalités de mise en œuvre de la solidarité pour les États membres réticents à accueillir des migrants[14]. Or, offrir aux États membres la possibilité d’accomplir leur devoir de solidarité par le biais de soutiens aux retours, ou de soutien opérationnel à la surveillance des frontières, emporte le risque que cette modalité soit majoritairement privilégiée, tant les réticences envers l’accueil des migrants sont connues, qu’elles se manifestent par l’échec des mécanismes de relocalisation obligatoire instaurés par la Commission[15], ou par les longues discussions entre États membres qui entourent l’arrivée dans les ports méditerranéens de navires transportant des migrants.
Il est finalement loisible de se demander si l’application effective du Pacte ne dépendra pas dans une large mesure de la coopération des pays tiers, auquel cas la reprise en mains de la politique d’immigration et d’asile à laquelle prétend la Commission ne serait qu’un vœu pieux. Lorsque l’on envisage ce que pourrait être le destin du Pacte, viennent immédiatement à l’esprit les intérêts antagonistes des États membres, la réticence de certains envers toute solidarité, et, conséquemment, la difficulté à aboutir à un consensus dans les domaines si sensibles que sont devenus l’immigration et l’asile. Ces constats ne doivent toutefois pas faire oublier le rôle majeur que joueront les pays tiers dans la mise en œuvre de ce projet, et ce d’autant plus que les aspects du Pacte renforçant l’externalisation sont probablement ceux qui ont le plus de chance d’être adoptés[16]. Si le respect de la souveraineté nationale est régulièrement mis en exergue pour rejeter l’action de l’Union, l’argument n’est guère évoqué lorsqu’il s’agit de déléguer à des pays tiers la gestion de certains aspects de la politique d’immigration et d’asile. De même pour l’Union, si dans le discours le contrôle accru de ses frontières extérieures évoque le champ lexical de l’autonomie et du pouvoir, le rôle qu’acquièrent de facto les pays tiers le démentit. Comme l’ont illustré à suffisance les vicissitudes de la relation entre la Turquie et l’Union, les pays tiers sont en mesure d’exercer des pressions sur l’Union en instrumentalisant la crainte des flux migratoires. Le risque est que l’Union ne sacrifie pas seulement ses valeurs, mais également son indépendance. Dans une autre perspective, la quasi-sacralisation du territoire de l’Union qui découle de la défense de ses frontières contribue peut-être à l’unité de l’Union.
La logique de protection du territoire de l’Union irriguant assez largement le Pacte, c’est sans prétention à l’exhaustivité que certains aspects retiendront particulièrement l’attention, notamment le mécanisme de filtrage visant à empêcher les migrants de pénétrer sur le sol de l’Union, ou encore une attention encore accrue accordée aux retours et aux réadmissions. Ils constituent en effet des illustrations emblématiques des deux dimensions temporelles de l’exclusion du territoire de l’Union, qui intervient tant a priori qu’a posteriori. En amont, le Pacte vise à empêcher l’entrée des migrants sur le territoire de l’Union (Partie I), tandis qu’en aval, il renforce les moyens juridiques et opérationnels visant à ce que les migrants quittent le territoire de l’Union (Partie II).
Partie I – La dimension préventive: empêcher l’entrée sur le territoire de l’Union
Situation de fait, le franchissement de la frontière extérieure par le ressortissant de pays tiers établit le lien avec l’ordre juridique de l’Union, avec toutes les implications de droit que cela engendre. Le territoire de l’Union apparaît comme un espace unifié et protecteur des droits fondamentaux. De là découle le rôle prédominant qu’occupe dans le Pacte la frontière extérieure de l’Union, en tant qu’espace de contrôle. La frontière est érigée en « un lieu majeur d’exercice du pouvoir »[17]. La proposition de règlement établissant une procédure de filtrage, ou screening, aux frontières extérieures[18] en représente la quintessence. Le filtrage devrait concerner tous les ressortissants de pays tiers ayant « franchi la frontière extérieure d’une manière non autorisée », « demandé une protection internationale lors des vérifications aux frontières sans remplir les conditions d’entrée », ou encore été « débarqués à la suite d’une opération de recherche et de sauvetage »[19]. Il s’agit d’identifier, de contrôler, et, à l’issue d’un processus de tri, de renvoyer les ressortissants de pays tiers vers la procédure appropriée.
Si le screening peut être envisagé sous l’angle de l’extra-territorialisation, c’est parce que le règlement crée une fiction de non-entrée sur le territoire durant la procédure de filtrage. En effet, les personnes concernées « ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire d’un État membre »[20] durant cette période, alors même qu’elles se trouveraient, de fait, sur le territoire d’un État membre. Durant cette période, d’une durée de cinq jours en principe, mais pouvant être portée à dix jours[21], l’ambiguïté règne quant au lieu exact où seront maintenus les ressortissants de pays tiers faisant l’objet du filtrage. Ainsi, « le filtrage est effectué en des lieux situés aux frontières extérieures ou à proximité de celles-ci »[22]. Il est loisible de penser que ces nouvelles dispositions entraîneront de fait le recours à des hotspots, car l’on voit mal comment, matériellement, pourraient être remplies ces exigences sans des infrastructures de ce type situées dans les zones frontalières. De surcroît, rien dans le règlement ne garantit que le filtrage ne soit pas opéré de l’autre côté de la frontière, c’est-à-dire sur le territoire d’un État tiers. Le rapporteur de l’avis du Comité économique et social européen sur le Pacte, José Antonio Moreno Díaz, qui pointe du doigt un risque élevé d’externalisation de la gestion des migrations, a ainsi regretté le flou sur le point de savoir si les lieux de rétention seront situés sur le territoire de l’Union ou hors de ses frontières[23].
Certes, la fiction juridique de non-entrée ne constitue pas une véritable nouveauté. À titre d’illustration, il ressort du Code frontières Schengen que les ressortissants de pays tiers ne doivent pas être considérés comme étant autorisés à entrer sur le territoire durant l’examen de la réunion des conditions d’entrée[24]. De même, au regard du droit de l’Union, le passage par une zone de transit aéroportuaire n’emporte pas franchissement des frontières extérieures[25]. La proposition de règlement relative au filtrage pourrait donc avoir pour conséquence d’établir de nouvelles zones de transit, permettant de considérer que les ressortissants de pays tiers n’ont pas franchi les frontières extérieures de l’Union.
L’exclusion de certaines zones du territoire pour y appliquer un régime juridique dérogatoire illustre le lien étroit entre le territoire de l’Union et l’accès aux droits. En effet, bien que la fiction juridique de non-entrée n’exclut pas l’applicabilité des textes protecteurs des droits fondamentaux, et notamment celle du principe de non-refoulement, la garantie effective des droits est nécessairement susceptible d’être affectée par le maintien à l’écart du territoire. En particulier, des risques pour le droit d’asile ont été mis en exergue[26]. Une telle fiction juridique présente nécessairement un intérêt pour l’Union et ses États membres, et le plus évident paraît d’empêcher, ou du moins de rendre plus difficile, l’accès du migrant aux droits et au juge. La volonté d’empêcher toute ébauche d’intégration dans un État membre est également revendiquée[27].
De plus, la procédure d’asile à la frontière, subséquente à la procédure de filtrage[28] et permettant d’évaluer avec célérité si une demande de protection internationale est irrecevable ou infondée, implique pour les demandeurs de protection internationale le maintien à la frontière extérieure, dans des zones de transit ou à proximité de ces endroits[29], prolongeant la fiction de non-entrée sur le territoire.
Le recours accru aux procédures à la frontière, qui est également prévu dans les situations d’afflux massifs de ressortissants de pays tiers cherchant à entrer sur le territoire de l’Union[30], est susceptible de favoriser des atteintes au principe de non-refoulement, alors même que la problématique récurrente de push-backs de demandeurs d’asile aux frontières est de plus en plus documentée[31].
Enfin, même dans les dispositions relatives à la solidarité, les États membres agissent pour prévenir l’immigration irrégulière « en étroite coopération et en partenariat avec les pays tiers concernés »[32], partenariats dont l’exemple libyen a dramatiquement illustré les risques pour la protection des droits fondamentaux.
Finalement, la dimension préventive de l’extra-territorialisation telle qu’elle ressort du Pacte consiste essentiellement à empêcher les ressortissants de pays tiers d’établir un lien avec le territoire de l’Union. Si la coopération avec les États tiers afin d’empêcher les départs demeure centrale, les apports du Pacte concernent essentiellement les ressortissants de pays tiers qui sont parvenus à approcher les portes de l’Union. C’est sur ces mêmes personnes, mais dans une phase ultérieure de leur parcours migratoire, que se concentre la dimension « curative » de la logique d’exclusion du territoire.
Partie II – La dimension curative: assurer les retours et la réadmission
Évoquer une dimension curative concernant le retour et la réadmission est certes provocateur, mais l’adjectif nous semble refléter l’idée selon laquelle il s’agirait pour la Commission d’un palliatif lorsque la logique préventive a échoué, par exemple lorsqu’un ressortissant de pays tiers est parvenu à franchir irrégulièrement les frontières extérieures de l’Union, et est appréhendé sur le territoire d’un État membre.
Il est communément fait reproche au Pacte de privilégier les contrôles aux frontières extérieures et l’effectivité des retours, au détriment des voies d’immigration légale et de voies d’accès à l’asile[33], qui font toutefois l’objet d’une recommandation bienvenue dans le Pacte[34].
En effet, le Pacte entend renforcer l’efficacité et la célérité des retours, dont le faible taux d’exécution est un constat récurrent[35]. S’il n’inclut pas de proposition d’acte spécialement consacrée au retour, le projet de refonte de la directive retour, loin d’être abandonné, fait partie des priorités de la Commission. Le renforcement de l’effectivité des retours passe également, comme l’on pouvait s’y attendre, par un rôle accru dévolu à l’agence Frontex, qui « devrait avoir pour priorité de devenir le bras opérationnel de la politique de l’UE en matière de retour »[36]. La Commission envisage également la création d’un coordinateur européen, ou encore d’un réseau d’experts nationaux, chargés des retours.
De surcroît, afin de faciliter la réadmission, est prévue la conclusion de nouveaux accords avec les pays tiers.L’accord de réadmission, « instrument de contrôle des flux migratoires »[37] par lequel les États s’engagent à réadmettre sur leur territoire leurs propres ressortissants, voire parfois les ressortissants d’autres États, représente désormais un outil incontournable de la politique migratoire de l’Union[38], comme d’ailleurs de celles de ses États membres, ces derniers demeurant compétents pour conclure des accords de réadmission avec des pays tiers.On le sait, la conformité au droit international et européen de ces accords n’est pas sans poser question[39]. En outre, peut s’y ajouter une coopération informelle en matière de réadmission, et des obligations de réadmission peuvent figurer dans d’autres conventions, telles que les partenariats pour la mobilité[40], qui concrétisent l’approche globale des migrations appelée de leurs vœux par le Conseil européen et la Commission[41]. La tristement célèbre déclaration Union européenne-Turquie du 18 mars 2016, relève matériellement des accords de réadmission, et incarne parfaitement la volonté de maintien à distance du territoire de l’Union qui guide l’extra-territorialisation de la politique migratoire de l’Union. Ces formes alternatives d’accord des volontés permettent d’ailleurs de contourner la procédure de conclusion des accords internationaux de l’article 218 TFUE, et de tenir ainsi à l’écart le contrôle démocratique et juridictionnel[42].
En matière de réadmission, devraient donc s’ajouter des partenariats renouvelés, envisageant dans sa globalité la problématique migratoire[43]. Sont notamment vantés par le Pacte des « partenariats mutuellement bénéfiques »[44]. L’article 7 de la proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration[45] est expressément consacré à la coopération avec les pays tiers pour faciliter le retour et la réadmission. La Commission pourra proposer des mesures afin d’améliorer la collaboration de pays tiers jugés insuffisamment coopératifs en matière de réadmission, en tenant compte « des relations globales » de l’Union avec lesdits pays. Cette formulation large laisse aisément imaginer que l’Union utilisera tous les leviers disponibles, liés ou non à la question migratoire, pour inciter, de manière négative ou positive, l’État tiers à coopérer. Menaces de durcir ou promesses d’assouplir les conditions de délivrance des visas[46], incitations financières, conditionnement de l’aide au développement, soutien diplomatique, les possibilités sont vastes. Les pays tiers risquent donc d’être fortement pénalisés s’ils ne coopèrent pas suffisamment pour réadmettre leurs propres nationaux, ainsi que, le cas échéant, les ressortissants d’autres pays tiers. Néanmoins, les pays tiers ne sont pas dépourvus de toute capacité d’action en la matière, et la menace de ne plus retenir ou réadmettre les migrants pourra être instrumentalisée pour obtenir des concessions de l’Union. À cela s’ajoute le fait que la conditionnalité négative est susceptible de s’avérer contre-productive pour l’Union. Ainsi, la restriction de l’accès aux visas, et donc à des voies d’accès légales, peut emporter le risque d’inciter les ressortissants des pays tiers concernés à se rabattre sur les voies d’accès irrégulières.
Enfin, la procédure d’asile à la frontière, préalablement évoquée, vise à procéder au retour aussi rapide que possible des personnes dont la demande de protection internationale a été rejetée. En effet, « [l]e retour des étrangers en situation irrégulière est une priorité de la Commission qui, tout au long du pacte, cherche à lier, pratiquement et conceptuellement, asile et retour »[47]. En écho à son constat relatif au caractère « mixte » des flux migratoires, la Commission brouille ainsi davantage la frontière déjà poreuse entre asile et immigration irrégulière. Même le demandeur de protection est perçu comme une personne à éloigner, à terme, du territoire de l’Union.
En définitive, la logique du maintien à l’écart du territoire de l’Union sort largement renforcée du Pacte, emportant avec elle de nombreuses conséquences quant au respect des droits fondamentaux et quant à l’indépendance de l’Union vis-à-vis des pays tiers. Cette logique apparaît finalement assez largement partagée par les États membres, dont certains peinent à résister à la tentation du modèle australien d’externalisation extrême de la politique d’immigration et d’asile[48]. Le Danemark envisage ainsi de traiter les demandes de protection internationale dans des pays tiers partenaires comme le Rwanda, bien que cela ne soit pas conforme au droit de l’Union. Il ne fait guère de doute que dans les débats autour de l’avenir de la politique européenne d’immigration et d’asile, l’exclusion du territoire, vu comme un espace protecteur à prémunir contre l’extérieur, risque fort de demeurer un fil conducteur. Et « l’homme qui piétine aux frontières des États »[49] risque fort de demeurer cet « autre » contre la présence duquel il conviendrait de se défendre.