La discrimination positive dans certaines conventions internationales de protection des droits de l’homme

Karagiannis Syméon

 Puisque tous « les êtres humains naissent […] égaux », selon l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et, on l’imagine, ils devraient le rester durant toute leur vie, une discrimination ne peut qu’être « illégale » dans la mesure où elle rompt l’égalité innée auxdits êtres. Aussi une disposition comme celle de l’article 7 de la même Déclaration suivant laquelle « tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi » fait-elle, en droit strict, double jeu avec l’article 1er sauf à imaginer que, postérieurement à la naissance, l’égalité qui caractérisaient les humains au début de leur existence devait disparaître ou du moins être altérée. La situation ne change pas si l’on substitue au terme de « distinction » celui de « discrimination » comme le fait le même article 7 dans sa seconde phrase[1]. On n’arrivera pas vraiment à distinguer entre ces deux termes, « distinction » et « discrimination », même si le second semble, dans l’histoire des Nations Unies, être d’extraction plus récente puisque la Charte de San Francisco l’ignore alors qu’elle ne se sert pas moins de quatre fois du terme « distinction »[2]. Elle s’en sert d’ailleurs de manière stéréotypée, chaque fois dans la même expression « droits de l’homme et […] libertés fondamentales
pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion »[3].

Pourtant, du moins dans la version française de différents textes sur les droits de l’homme, la fortune de la « discrimination » sera autrement mieux faite que celle de la « distinction ». Pour nous limiter au Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques, la « discrimination » fait son apparition sept fois alors que la « distinction » ne bénéficie que d’une seule mention[4]. Possiblement, une sorte de Sprachgefühl s’est développé suivant lequel la « discrimination » va plus droit au but que la « distinction », notion, cette dernière, plus abstraite et donc moins apte à stigmatiser certaines situations intolérables[5]. Nul étonnement par conséquent que les deux grandes conventions onusiennes luttant contre de telles situations se servent de cet adjectif dans leur intitulé même. Si, dans cette étude, nombre de remarques sont faites au sujet de la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[6] ainsi qu’au sujet de certains autres traités, tant universels que régionaux[7], l’étude de certaines dispositions assez originales qui caractérisent par-dessus tout la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965[8] occuperont une place de choix.

Autant, toutefois, le dire tout de suite. La Convention sur la discrimination raciale n’attire plus, et depuis longtemps, l’attention autant que d’autres conventions des Nations Unies le font[9]. Ce n’est pas tant parce que son objet est relativement limité comparé à l’objet d’autres conventions. C’est, curieusement, le fait qu’elle fait, du moins sur un plan théorique et en ce qui concerne la plupart de ses dispositions, l’unanimité, cette Convention étant au demeurant l’une des plus largement ratifiées en droit international[10]. Un « handicap » de cette Convention est que son objet même est largement couvert, en principe, par des dispositions phares des deux Pactes de 1966. En effet, quiconque bannit la discrimination en général bannit aussi (et surtout !) la discrimination contre des groupes raciaux ; sans oublier que, le plus souvent, la prohibition des discriminations vise expressis verbis des discriminations pour des motifs de race[11]. L’un dans l’autre, ce qui sauve la Convention de 1965 de l’oubli, voire d’une suppression pure et simple dans une éventuelle tentative de « simplification » du système onusien de protection des droits de l’homme, est, tout d’abord, sa date d’adoption. Adoptée un an avant l’adoption de ce Bill of Rights universel que constituent les deux Pactes de 1966, la Convention sur la discrimination raciale fut tout simplement la première convention sur les droits de l’homme de l’ONU[12] et sa valeur symbolique, politique, sentimentale n’est plus à prouver. On ne supprime pas impunément une sœur ainée.

Plus pertinemment, néanmoins, la Convention sur la discrimination raciale comporte deux dispositions, originales, comme on l’a dit, et dont la substance n’aurait pas été facile[13] à extraire d’une interprétation ordinaire des dispositions des deux Pactes[14] ou d’autres conventions onusiennes ou régionales prohibant les discriminations sur la base de la race. La raison en est simple. Au lieu de se limiter à la condamnation de ces discriminations, les dispositions pertinentes de la Convention de 1965 peuvent être vues, selon une première et superficielle analyse, comme faisant exactement le contraire. À vrai dire pourtant, c’est cela le principe de toute discrimination dite positive : discriminer.

Les deux dispositions dont il sera largement question ici portent sur ce type particulier de discrimination, souvent appelée, dans des contextes aussi bien nationaux qu’internationaux, discrimination positive[15], un concept qui a eu un impact durable sur la vie politique et juridique des États-Unis d’Amérique, surtout depuis la présidence de Lyndon Johnson (1963-1969)[16], le président le plus imprégné d’affirmative action. On peut facilement entrevoir l’influence que l’administration américaine de l’époque a exercée sur les dispositions de la Convention qui portent sur la discrimination positive[17].

Première à porter son regard sur cette sorte de discrimination à rebours, la Convention de 1965 ne l’en conçoit pas moins de deux façons différentes dans deux dispositions différentes. La première, celle de son article 1 §4, fait preuve à l’égard des mesures de discrimination positive d’une indifférence bienveillante allant, néanmoins, jusqu’à les complètement excuser, voire justifier (Partie I)[18]. La seconde, celle de son article 2 §2, se montre bien plus audacieuse et, par là même, perturbatrice pour le précepte classique de l’égalité en ce que, loin de l’indifférence polie de sa sœur jumelle, elle impose une obligation de renversement de l’inégalité de fait grâce à une inégalité en droit (Partie II). Passer, dans le même instrument, de la justification d’une affirmative action à l’obligation d’une affirmative action n’est sûrement pas évident. D’autant plus qu’il n’est pas facile de voir où peut se situer la ligne en deçà de laquelle on excuse de faire et au-delà de laquelle on n’excuse pas de ne pas faire.

Naturellement, des dispositions analogues de certaines autres Conventions seront également étudiées. Elles sont souvent conçues sur l’un ou l’autre modèle de pensée qu’offre la CERD. Cela n’exclut pas une certaine envie d’autonomisation de leur part.

Partie I – Une discrimination positive excusée

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale n’est pas le seul traité international à justifier la prise de mesures de discrimination positive. Une comparaison avec des instruments analogues peut s’avérer utile (B). Toutefois aussi bien elle-même que les instruments contenant des dispositions similaires partent du principe que la discrimination, « raciale » ou autre, est, en tant que telle, prohibée. Par conséquent, les conditions dans lesquelles elle accepte la discrimination positive (qui est une vraie discrimination…) ne peuvent être que fort limitatives (A).

A. Conditions susceptibles de justifier une discrimination positive dans la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale

Première chronologiquement mais aussi – toujours – principale Convention à admettre des mesures d’action positive en faveur de certains « groupes raciaux », la CERD n’en pose pas moins certaines difficultés qui sont largement inconnues des autres Conventions tolérant, à leur tour, des mesures spéciales en faveur de groupes spéciaux. En effet, les groupes bénéficiaires des « mesures spéciales » dans la Convention de 1965 sont autrement plus difficiles à déterminer que dans les dispositions analogues d’autres Conventions. Le sujet est vaste, mais on ne peut passer sous silence les difficultés de définition de la « race », notion phare dans la CERD (a), avant de se pencher sur les particularités de l’affirmative action qu’elle se dispose à justifier (b).

a) La « discrimination raciale »: un concept difficile (ou impossible?) à cerner

Formellement, la définition de la discrimination est déjà donnée à l’article 1 §1 quoique non de manière abstraite, mais de manière adaptée à l’objet unique de cette Convention, la lutte contre la discrimination raciale. C’est donc, de manière entendue, que seule celle-ci est définie, essentiellement par les résultats qu’elle vise à atteindre :
« Dans la présente Convention, l’expression ‘‘discrimination raciale’’ vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».

On voit d’abord, dans cette définition, le subtil jeu entre « discrimination » et « distinction ». La seconde n’est plus que l’une des formes que peut revêtir la première à côté de l’« exclusion », de la « restriction » et de la « préférence ». Ce dernier trio semble aller décroissant en ce qui concerne l’intensité de la souffrance pour le discriminé même si « exclusion » et « restriction » visent directement ce dernier tandis que la « préférence » vise celui qui saura probablement profiter de la souffrance du discriminé. En effet, « exclusion » et « restriction » couvrent deux situations éminemment négatives alors que la « préférence » possède une valeur positive, du moins pour le préféré. Ce n’est qu’en creux, aux dépens des non-préférés, que cette dernière situation pourra, logiquement, créer de la discrimination. On peut, en tout cas, se demander dans quelle mesure une « distinction » n’est pas elle-même, soit une « exclusion », soit une « restriction », soit une « préférence ». Probablement, elle l’est, ce qui pose la question de la place que le mot « distinction » occupe dans la définition fournie par l’article 1 §1. Une explication raisonnable est que la « distinction » assure un rôle de situation-balai. Serait, en d’autres termes, « distinction » ce qui obéit aux autres critères de la définition (que l’on verra) mais qui ne peut être réduite à une « exclusion », à une « restriction » ou à une « préférence »[19].

Au-delà de ce premier élément définitionnel qui, il est vrai, ne mène pas très loin, la « discrimination raciale » de l’article 1 §1 est surtout caractérisée par le résultat, forcément négatif, qu’elle a pour les discriminés. À strictement parler, il ne s’agira pas seulement du résultat, de l’« effet » selon la terminologie de la Convention[20], mais aussi du « but ». Ces deux termes étant séparés par la conjonction « ou », il suffira que l’on prouve l’existence, soit de l’un, soit de l’autre pour que la « discrimination » soit consommée. Naturellement, l’hypothèse la plus facile sera lorsque aussi bien le « but » que l’« effet » seront présents. Cela dit, sauf dans des cas rares, qui correspondront peu ou prou à de véritables régimes institutionnalisés, voire officiels, de discrimination raciale[21], il sera presque impossible d’établir l’existence d’un « but »[22]. Chercher l’« effet » facilitera donc toujours les choses quoique constater un « effet » sans pouvoir le ramener à un « but » risque de créer un certain malaise, de faire croire, à tout le moins, que la discrimination produite est le fruit du hasard et, en tout cas, un résultat – presque – non voulu. De fil en aiguille, certains pourront se demander si telle constatation de discrimination est in fine sincère, honnête, objective. Bref, s’il y a eu discrimination.

Quoi qu’il en soit, l’effet ou bien le but des distinctions sont définis comme une destruction ou une compromission de « la reconnaissance, [de] la jouissance ou [de] l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ». Les domaines envisagés se veulent vastes même si, pour l’essentiel, ce sont les droits dits de deuxième génération qui sont mentionnés (droits économiques, sociaux et culturels). Si l’on procède à une stricte classification des droits de l’homme, manquent à l’appel les droits que l’on appelle d’habitude (faute de mieux) « civils »[23]. On s’en doute que l’intention du rédacteur de cette définition n’était pas de les exclure et, en toute hypothèse, l’expression de « tout autre domaine de la vie publique » est là pour faire combler d’éventuelles lacunes ou pour corriger certaines maladresses. Toutefois, si l’on prend cette dernière expression au pied de la lettre, on est en droit de se demander ce qu’il en est de son antithèse, le « domaine de la vie privée ». Imposer l’interdiction de toute discrimination basée sur la « race » dans le domaine de l’intimité serait sans doute aller trop loin mais est-ce que le domaine « privé » doit se réduire au seul domaine de l’intimité personnelle ? Cela est fort peu probable. Une lecture stricte de la « vie publique » laisserait sans « couverture » certaines relations interpersonnelles qui, tout en ne relevant pas de l’institutionnel, n’en ont pas moins une extrême importance en matière de discriminations raciales. L’effet horizontal risquerait donc de manquer lors de la mise en œuvre de la Convention de 1965[24] alors qu’il est pris dûment en compte par certaines autres dispositions anti-discrimination dans le droit international des droits de l’homme[25], à commencer d’ailleurs par la Convention interaméricaine de 2013 contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance qui, dans sa définition de la « discrimination raciale », se réfère à la distinction, exclusion, restriction ou préférence « dans tout domaine de la vie publique ou privée » (article 1 §1, al. 1).

Sinon, « détruire ou compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme » est encore une expression qui appelle nombre d’observations. Si l’on peut, en effet, se féliciter du trio « reconnaissance »/« jouissance »/« exercice », qui vise, à juste titre, large, faire précéder « compromettre » de « détruire »[26] n’obéit qu’à une logique politique ou bien à un simple souci de pédagogie, pas, en tout cas, juridique. Si juste (si l’on peut dire) « compromettre » suffit pour qu’il y ait discrimination, on ne voit pas bien pourquoi le plus (« détruire ») ne serait pas clairement entendu dans le moins (« compromettre »). Cela dit, en dehors du fait que « compromettre » implique quelque chose de négatif, la signification exacte de ce verbe n’est pas facile à établir. Ce terme semble montrer une tendance, une direction[27], alors même que le terme équivalent dans la version anglaise de la Convention (« to impair ») semble plutôt indiquer le résultat déjà atteint[28]. Avec « compromettre », on a une dynamique et donc aussi une incertitude quant au résultat final que « to impair » nous présente, en revanche, comme déjà atteint, en tuant ainsi toute incertitude.

On ajoutera que l’expression « détruire ou compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme » comporte quelque chose que l’on aurait pu qualifier d’amusant s’il ne s’agissait pas des droits de tout un groupe humain car il tombe sous le sens que, à partir du moment où il y a « exclusion » ou « restriction » pour d’aucuns ou « préférence » pour d’autres, il ne peut y avoir « jouissance », pour les premiers, « dans des conditions d’égalité » avec les seconds. Par ailleurs, « détruire […] des droits de l’homme […] dans des conditions d’égalité » constitue un rare moment de surréalisme juridique. Plus sérieusement, l’expression « dans des conditions d’égalité » ne peut, en bonne logique, se rapporter à la destruction ou compromission mais à « la reconnaissance, jouissance ou exercice ». Peut-être syntaxiquement mal placée, cette expression dévoile une problématique importante de toute discrimination, à savoir la comparaison des uns avec les autres[29]. Il est possible, toutefois, que la bataille de la comparaison soit une bataille perdue d’avance tout simplement parce que le groupe de référence, c’est-à-dire le groupe avantagé, peut parfaitement évoluer et ne point rester à la même place en matière de développement. Pour qu’il y ait traitement égal il faudrait que l’un progresse et l’autre stagne, voire régresse. On peut facilement imaginer que l’acceptabilité sociale d’un tel schéma a peu de chances d’être acquise[30].

Pour en venir, enfin, au cœur de la problématique « raciale », les distinctions et exclusions ou, au contraire, les préférences doivent impérativement obéir à un motif spécifique pour que l’on puisse quitter le domaine de la simple discrimination et atteindre celui de la « discrimination raciale », objet s’il en est de la Convention de 1965. Les actes condamnables mentionnés doivent, en effet, être fondés « sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Gageons qu’il n’est guère facile de concevoir une liste de motifs de discrimination et que la relative[31] prolixité de la Convention en la matière obéit à une intention louable, à savoir ne point laisser de situations condamnables échapper au champ d’application conventionnel ratione materiae. Il n’en reste pas moins que le nombre des motifs est limité et que la liste est exhaustive. Si une discrimination quelconque est fondée sur un motif autre que les quatre ou six mentionnés[32], la CERD est condamnée à ne pas pouvoir jouer[33]. C’est ce que, par exemple, le Comité de la discrimination raciale a établi par rapport à des discriminations se rapportant à la religion[34].

On ne pourra, toutefois, s’abstenir de se poser des questions sur la pertinence des termes utilisés pour déterminer les motifs d’une possible « discrimination raciale » au sens de l’article 1er CERD tout comme sur la relation de ces motifs entre eux. Si l’on est sévère, on pourra dire qu’il s’agit de variations sur le même motif et que le seul terme de « race » aurait pu largement faire l’affaire. In vulgo, la « race » a, tout d’abord, presque toujours[35] affaire liée avec la « couleur »[36] cependant que « couleur » ne veut pas dire grand chose en tant que critère pouvant, à lui seul, autoriser ou exclure l’applicabilité de toute la Convention. Il y a une variété infinie de « couleurs » qui, ajoutée à une variété infinie d’autres caractéristiques extérieures des personnes, peut conduire à l’obtention d’un nombre de « races » infini[37].

Avec les motifs « ascendance ou origine nationale ou ethnique », on touche à une autre difficulté d’interprétation[38]. Ces deux substantifs accompagnés de deux adjectifs, séparés chaque fois de la conjonction disjonctive « ou », font que les quatre croisements possibles donnent, en théorie, quatre motifs supplémentaires de « discrimination raciale ». Il se peut, néanmoins, que le mot « ascendance » ne soit pas qualifié par « nationale » ou « ethnique », ces deux épithètes se rapportant à la seule « origine »[39]. Quelle que soit la syntaxe, la question qui se pose est, avant tout, de savoir si l’on peut vraiment distinguer entre « ascendance »[40] et « origine » et, de manière plus subtile, entre « national » et « ethnique », « ethnos » (« έθνος ») n’étant que le mot grec pour dire « nation »[41].

Quelles que soient les approximations dans telle ou telle version (ou dans toutes…), force est de convenir que le rapprochement entre « ascendance » ou « origine ethnique », etc. avec « race » ne peut être toujours établi et que, par voie de conséquence, des discriminations peuvent malheureusement exister entre, par exemple, groupes d’origine ethnique différente appartenant à la même « race ». Ainsi donc, contrairement à la « couleur », l’« origine ethnique » peut parfaitement constituer un motif de discrimination autonome par rapport à celui basé sur la « race ». Si c’est le cas, on peut, du moins formellement, se demander si avec une discrimination sur la base de l’origine ethnique on se trouve toujours dans le cadre d’une « discrimination raciale ». L’article 1 §1 de la Convention de 1965 ne laisse pourtant aucun doute sur ce point. Autrement dit, dans l’esprit de ses rédacteurs, la « discrimination raciale » n’a pas forcément quelque chose à voir avec la « race » proprement dite[42]. La « discrimination raciale » conventionnelle est bien plus large que la « discrimination raciale » réelle, ce qui en soi n’est bien entendu pas une mauvaise chose puisque cela permet à la Convention d’étendre son domaine d’application matérielle à des situations de discrimination connexe. Il n’empêche, on peut s’interroger sur la primauté que le motif discriminant « race » possède incontestablement dans la Convention.

Cette insistance sur la « race » qui va jusqu’à l’intitulé officiel de la Convention de 1965 finit, surtout avec le recul, par poser certains problèmes, à la fois juridiques, politiques et moraux[43]. En effet, même si définir la « nation » ou l’« ethnie » est, déjà, particulièrement difficile, définir la « race » est proprement impossible sans risquer de se livrer à une pratique raciale (susceptible, peut-être, de conduire à un racisme[44]) contestable politiquement, infondée scientifiquement et explosive socialement. Sans pouvoir approfondir ici le sujet, force est de se rendre compte que la révolte à l’encontre de l’utilisation du mot « race » augmente ; au point que les députés français ont, à l’unanimité, opté, le 12 juillet 2018, en faveur de la suppression de ce mot dans l’article 1er, al. 1, de la Constitution de 1958 dans le cadre d’une éventuelle future révision constitutionnelle[45]. Cette disposition énonce jusqu’à présent, dans sa deuxième phrase, que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »[46]. Le but de cette disposition est louable sauf que son promoteur en 1958, un tantinet paternaliste et condescendant, finit par faire accréditer l’idée que des races humaines distinctes existent réellement[47]. C’est le drame, d’une certaine manière, de tout combat antiraciste qui risque, à chaque instant, surtout s’il se montre maladroit ou naïf, de donner chair et os à l’idée même qu’il combat[48] car il est logiquement difficile d’interdire toute distinction entre « races » sans, au préalable, (faire) croire que des « races » existent. Ailleurs, il est vrai, le mot « race » (et, derrière le mot, inévitablement, le concept correspondant) ne fait pas peur et est, au contraire, ouvertement utilisé[49]. Ce n’est pas un hasard que les États-Unis d’Amérique, pays, par excellence, du racisme et de l’antiracisme, aient été, de plusieurs façons, à l’origine de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[50].

La difficulté est de savoir si la Convention de 1965 pourrait survivre à une opération chirurgicale d’ablation de toute référence à la « race ». Probablement pas[51]. Une telle révision[52], à supposer que l’on puisse trouver à cet effet une majorité au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, ouvrirait sans doute une importante boîte de Pandore mettant en cause, à tout le moins, l’important et anarchique empilement de conventions thématiques sur les droits de l’homme ainsi que les relations entre l’impressionnant nombre de Comités onusiens qui s’occupent de la protection des droits de l’homme sur une base générale ou thématique[53]. La question risque aussi de se poser, comme on y a fait allusion précédemment, de savoir s’il y a un réel intérêt de conserver un instrument qui prohibe la « discrimination raciale » alors même qu’une multitube d’autres instruments, au niveau universel ou régional, la prohibent également. En exagérant un peu, on pourrait dire que seules les dispositions de la CERD relatives à la discrimination positive peuvent, en bon droit, justifier le maintien en vie de ce traité. Il est, toutefois, intéressant de noter que les premiers commentaires de la CERD ne se sont guère attardés sur ces dispositions innovantes de l’instrument[54]. Ce qui est original est parfois voué à être ignoré dans un premier temps.

b) La (trop?) complexe détermination des discriminations positives acceptables

Une des deux dispositions de la Convention de 1965 portant sur la question de la discrimination positive est celle de l’article 1 §4 qui a la teneur suivante :
« Les mesures spéciales prises à seule fin d’assurer comme il convient le progrès de certains groupes raciaux ou ethniques ou d’individus ayant besoin de la protection qui peut être nécessaire pour leur garantir la jouissance et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité ne sont pas considérées comme des mesures de discrimination raciale, à condition toutefois qu’elles n’aient pas pour effet le maintien de droits distincts pour des groupes raciaux différents et qu’elles ne soient pas maintenues en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient ».

Contrairement à d’autres instruments, rarissimes à vrai dire, qui se servent explicitement de l’expression de « discrimination positive », la Convention de New York ne qualifie point de cette manière (ou d’une quelconque autre manière) les mesures prises par un État partie afin de compenser une situation d’inégalité factuelle dont souffriraient les groupes bénéficiaires de ces mesures. Ce n’est pas que l’on fait ici de la prose sans le savoir mais les rédacteurs de la Convention ont préféré ne pas nommer[55] ces mesures sinon en les qualifiant de « spéciales ». En soi, cette qualification ne dévoile rien de la nature des mesures mais elle est loin d’être innocente car elle implique que les mesures en question soient dérogatoires par rapport à ce que l’État partie fait, normalement, au profit de ses citoyens en général et, en même temps, qu’elles soient ponctuelles. En d’autres termes, l’ensemble de ces mesures ne doivent pas pouvoir composer une politique systématique d’octroi de privilèges à un groupe donné mais doivent, au contraire, être prises sur une base cas par cas. On peut ajouter qu’elles pourront être différentes d’un groupe à l’autre et, naturellement, d’un domaine à l’autre.

Toujours est-il que ces mesures doivent pouvoir ne bénéficier qu’à un petit nombre sinon, cela tombe sous le sens, elles ne seraient pas vraiment « spéciales »[56]. Pouvoir déterminer les « heureux » bénéficiaires devient ainsi inévitable. L’article 1 §4 de la Convention les identifie non pas de manière directe mais en exprimant son souci que les « mesures spéciales » puissent assurer « le progrès de certains groupes raciaux ou ethniques ou d’individus ». L’attention est d’abord attirée sur le fait qu’il s’agira principalement de « groupes ». Ce terme, qui, dans le texte conventionnel, se rencontre pour la première fois, justement, dans l’article 1 §4[57], est, certes, assez vague, mais sa qualité première et incontestable est de – pouvoir – s’opposer, le cas échéant, à l’individu. Les relations entre individu et groupe ont toujours été d’une grande complexité mais on peut considérer que, en général, le cœur de la philosophie des droits de l’homme tels du moins qu’on les conçoit en Occident depuis les révolutions américaine et française de la fin du XVIIIe siècle est individualiste, ce qui signifie que les droits de l’homme peuvent s’inscrire en faux par rapport à la protection des groupes. Pour certains même, la protection du groupe ne peut que porter préjudice à la protection de l’individu[58] tout simplement parce que la protection de la cohésion du groupe[59] passera, du moins à certaines occasions, par la mise au pas de[s] tendances centrifuges des (ou d’) individus le composant[60]. Confronté à cette problématique, l’article 1 §4 de la Convention sur la discrimination raciale prend essentiellement parti en faveur du groupe alors même que, en règle générale, les dispositions de la Convention contre la discrimination sont d’essence « droits-de-l’hommiste », en ce sens qu’elles confèrent un droit, celui de ne pas subir de discriminations, à l’individu. À titre d’exemple, l’article 1 §1 CERD, qui porte définition de la « discrimination raciale », ne se réfère point à un quelconque groupe.

Cette, prima facie, désindividualisation de la discrimination positive qu’opère l’article 1 §4 apparaît, néanmoins, nécessaire. Il faut, on l’a dit, que les avantages de la discrimination positive puissent concerner un nombre limité de personnes[61] et, immédiatement, se pose le problème de la détermination du cercle des bénéficiaires. Une détermination d’ensemble paraît inévitable et c’est évidemment ce que fait l’article 1 §4 en parlant du « progrès de certains groupes raciaux ou ethniques ». Cette désindividualisation des avantages doit cependant être comprise au plus juste. Si le groupe peut réellement tirer des avantages de telle ou telle « mesure spéciale », l’avantage ne concernera pas seulement le groupe en tant que tel mais aussi et, avant tout, ses membres. Derrière le groupe se trouvera toujours l’individu qui seul aura des besoins spécifiques en matière de santé, d’emploi, d’éducation[62], etc. sauf que, en envisageant le groupe et non pas l’individu, on prend le risque que nombre d’individus appartenant au groupe, notamment les moyens ou les derniers de la cordée, ne bénéficient in fine pas d’avantages du tout ou alors dans une proportion limitée[63]. C’est d’ailleurs la critique adressée fréquemment à plusieurs mesures d’affirmative action aux États-Unis. Elles auraient, tout au plus, contribué à faire émerger une classe noire moyenne et, surtout, moyenne supérieure en négligeant la majorité des membres de la communauté.

Les groupes sélectionnés comme bénéficiaires sont au nombre fort limité puisqu’il s’agit uniquement de « certains groupes raciaux ou ethniques ». L’épithète « certains » est chargée d’opérer une limitation importante à l’intérieur de deux ensembles, celui des « groupes raciaux » et celui des « groupes ethniques ». On voit ici que le nombre des groupes bénéficiaires n’a plus grand-chose à voir avec le nombre des motifs de discrimination négative de l’article 1 §1. Seuls sont choisis les critères de « race » et d’ « origine ethnique » pour que l’on construise une discrimination positive au sens de l’article 1 §4. Par exemple, l’ « ascendance » ou l’ « origine nationale », voire la « couleur » ne peuvent constituer, en elles-mêmes, une base suffisante en faveur d’une mise en place de « mesures spéciales ». Cela dit, on a eu l’occasion de dire qu’il ne sera pas évident de distinguer « race » et « couleur » ou « ascendance » et « origine », etc. tant et si bien que la volonté de limiter le nombre des groupes bénéficiaires de la discrimination positive s’avère, au fond, assez relative.

Pourtant, on se heurte ici à nouveau à la difficulté majeure de déterminer le « groupe racial » ou bien le « groupe ethnique » tout en considérant que, dans l’esprit du rédacteur de cette disposition, les deux groupes ne coïncident pas (en tout cas, pas toujours) de par leurs caractéristiques intrinsèques. On ne reviendra pas sur cette difficulté (ou impossibilité ?) mais il convient d’être conscient que c’est une chose de vouloir lutter contre des discriminations tout court et une autre, bien différente, par certains côtés, de vouloir instituer des « mesures spéciales » en guise de discrimination compensatrice. Dans la seconde hypothèse, qui est évidemment celle de l’article 1 §4 CERD, on pourra bien moins se contenter des approximations habituelles de définition de la « race » ou de l’« ethnie »[64]. Une protection négative peut se permettre de ratisser large, d’être dans un relatif flou, voire de se tromper. Une protection positive peut se le permettre bien moins, non seulement à cause de la charge budgétaire considérable qu’elle peut impliquer mais aussi parce que, en se trompant de « cible », elle risque de se décrédibiliser, elle qui risque de ne jamais être totalement admise ou comprise par la majorité non bénéficiaire de celle-ci. Identifier donc tel ou tel « groupe racial » qui sera avantagé devient capital ; avec tous les risques, toutefois, qu’une telle identification peut faire naître. En effet, on ne peut plus, ici, faire semblant que des « races » n’existent pas. Elles existent forcément et concrètement puisque seules certaines d’entre elles seront les gagnantes (supposées ou réelles) d’une discrimination positive. Et il faudra bien pouvoir les séparer des autres, les non-bénéficiaires des « mesures spéciales ». Les vraies difficultés arrivent lorsqu’il s’agit d’établir des lignes de séparation[65], forcément quelque peu arbitraires, surtout aux yeux de ceux qui n’auront pas accès à l’avantage matériel ou social compensateur. Il ne convient pas d’approfondir le débat sur ce point, débat, par certains côtés, plus politique et philosophique que juridique ni de tenter de déterminer des critères d’appartenance à tel ou tel « groupe racial » (ou bien « ethnique »)[66]. Une chose est à peu près sûre. Afin d’inaugurer une discrimination positive, fût-elle modérée et ponctuelle, il faut être prêt à affronter les difficultés juridiques, politiques, sociopsychologiques mentionnées. Des difficultés biologiques (au sens très large du terme) aussi ? On peut le craindre. Voir dans la « race » avant tout une construction sociale (une « altérité » …) ou encore la détacher de toute référence d’apparence extérieure, comme nombre d’experts tentent de le faire, peut bien convenir à une lutte contre les discriminations mais bien moins à une politique de discrimination positive. C’est la discrimination positive qui racialise (et radicalise) par excellence le débat. Une prohibition de la « discrimination raciale » ne fait, au fond, qu’effleurer les difficultés[67].

Avant, maintenant, d’examiner la réelle signification de l’épithète « certains » placée avant « groupes raciaux ou ethniques », force est de s’arrêter sur le troisième bénéficiaire potentiel d’une discrimination positive. En fait, celle-ci pourra viser le « progrès » non seulement de groupes (« raciaux » ou « ethniques ») mais aussi « d’individus ». Cet ajout surprend. Faut-il l’interpréter comme une tentative, incertaine et maladroite, de faire renouer le « groupe » et les « individus », qui nécessairement le composent[68], et, de cette façon, de tenter de se faire réinscrire dans l’orthodoxie du caractère individualiste de la philosophie « occidentale » des droits de l’homme ? Ou faut-il réellement envisager les « individus » en tant que bénéficiaires suis meritis ? Si cela est le cas, il faudra s’extraire de la logique racialiste qui caractérise, par définition, la CERD mais, ce faisant, on prend le risque de verser dans l’arbitraire en matière d’allocation des avantages même si ce risque pourra être limité au vu des conditions qui s’appliquent en la matière. De toute façon, la problématique de l’affirmative action ne se rapporte point à des individus mais à des groupes, ce qui, à la limite, signifie individus appartenant à un groupe. On pourrait plutôt conclure sur ce point que la rédaction de l’article 1 §4 est approximative. D’ailleurs, l’article 2 §2 CERD rectifie, comme on le verra plus loin, le tir.

« Certains » dans l’expression « certains groupes raciaux ou ethniques » affiche la volonté des négociateurs de la Convention de sélectionner les « groupes » bénéficiaires des « mesures spéciales » et, par là-même, ce qui est dans la logique des choses, limiter plus ou moins considérablement leur nombre[69]. Tout le problème consiste, toutefois, à élaborer des critères d’éligibilité, tâche difficile, fortement empreinte, on s’en doute, de considérations politiques, et à laquelle s’attache l’essentiel de la disposition examinée. Or, selon l’article 1 §4 de la Convention, le critère de sélection des groupes (ou des individus) se rapporte au « besoin de la protection qui peut être nécessaire pour leur garantir la jouissance et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité ». On ne peut que comparer ce critère avec la définition même de la « discrimination raciale » dans l’article 1 §1, laquelle, comme on le sait déjà, « a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Les termes sont largement identiques. Ce qui pose une question logique : si la « discrimination raciale », ainsi définie, est prohibée (et, après tout, le principal but de la Convention est de prohiber une telle « discrimination raciale »), pourquoi des groupes ou des individus auraient besoin d’une protection pour leur garantir la jouissance des droits de l’homme « dans des conditions d’égalité » ? La prohibition de la « discrimination raciale » n’est-elle pas elle-même la garantie de pouvoir jouir des droits « dans des conditions d’égalité » ? Visiblement, cela ne peut être le cas sinon la disposition de l’article 1 §4 n’aurait aucun sens véritable.

Formellement, certes, l’article 1 §4 se réfère à « la jouissance et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales » quels que soient ces derniers, dans toute leur amplitude, tandis que l’article 1 §1 n’envisage que « la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice […] des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ». Toutefois, comme on l’a vu, il est difficile de voir dans les catégories mentionnées de droits et de libertés une vraie limitation de l’amplitude de ceux-ci même si on a pu se poser une question par rapport aux droits dans la sphère non « publique », bref l’application horizontale des dispositions relatives aux droits de l’homme. On peut probablement partir de l’hypothèse que les listes des droits sont les mêmes dans les paragraphes 1er et 4 de l’article 1er. On pourra conclure que la rédaction, sur le point examiné, de l’article 1 §4 n’est pas des plus réussies. À tout le moins il convient de chercher, dans cette disposition, d’autres critères susceptibles de mieux cerner les groupes bénéficiaires d’une discrimination positive.

Le principal critère conçu n’est, curieusement, pas directement rattaché aux groupes (ou aux droits) mais aux « mesures spéciales » dont les groupes bénéficieront. Dit autrement, ce n’est pas la nature des groupes qui les distinguera des autres groupes, eux non bénéficiaires de ces « mesures », mais la nature des « mesures » elles-mêmes. En effet, celles-ci doivent pouvoir « assurer » à ces groupes « comme il convient » leur « progrès ». C’est surtout ce dernier mot qui est précieux puisque si quelqu’un a besoin de « progresser », cela signifie que, au moment critique (par hypothèse, au moment où les « mesures spéciales » seront prises en sa faveur), il se trouve derrière les autres, ceux qui ne seront pas bénéficiaires. Dans un certain sens, le terme utilisé dans la version anglaise (« advancement ») semble plus éloquent et plus clair que le terme « progrès »[70]. La même observation vaut pour l’expression qui semble qualifier le « progrès » (« comme il convient »), expression passablement obscure si on la compare avec « adequate » (« advancement ») ou avec « adecuado » (« progreso »)[71].

Ainsi, on obtient que la seule prohibition de la « discrimination raciale » ne suffirait pas pour que certains groupes puissent jouir des droits de l’homme à l’égal des autres groupes. Quels sont les groupes bénéficiaires ? Ce sont les groupes qui, sans « mesures spéciales » en leur faveur, n’auraient pas pu jouir des droits de l’homme à l’égal des autres groupes ; ce qui serait presque parfaitement tautologique s’il n’y avait pas la notion d’une certaine « arriération » les caractérisant, « arriération » (mot que l’on prendra comme antonyme du « progrès ») qui est la cause ultime de leur impossibilité de jouir « normalement » des droits de l’homme. On dira, en résumé, que la détermination des groupes bénéficiaires de la discrimination positive est assez laborieuse et éminemment vague. Vague, elle n’en est pas pour autant forcément défectueuse puisque (on suppose que ceci était l’objectif des négociateurs) elle accorde une marge d’appréciation aux autorités de chaque État partie[72]. Il se peut aussi que derrière le caractère laborieux de la détermination des groupes bénéficiaires se trouve, et cela devient intéressant, une certaine gêne de la part des rédacteurs d’être précis et de nommer les choses par leur nom. Il est, en effet, gênant d’expliquer les raisons pour lesquelles un groupe serait légitimé de jouir de certains avantages pour cause d’infériorité alors que, justement, toute la Convention tourne autour de l’idée suivant laquelle, selon les mots du préambule, « toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races est scientifiquement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dangereuse ». Seules des conditions historiques précises, des accidents, en quelque sorte, de l’histoire, auraient pu ainsi produire une infériorité momentanée. Vu sous cet angle, ce n’est peut-être pas surprenant que l’article 1 §4 consacre davantage d’énergie à la description des « mesures spéciales » qu’à celle des groupes bénéficiaires. Il y a deux sortes de conditions pour que les mesures en question « ne so[ie]nt pas considérées comme des mesures de discrimination raciale ». Les unes prescrivent que les mesures doivent faire quelque chose et l’on peut les qualifier de positives, les autres prescrivent, au contraire, ce que les mesures ne doivent pas être ; on peut les appeler conditions négatives.

S’agissant des premières conditions, on constate, tout d’abord, que les affirmative actions doivent viser à « assurer » le progrès des bénéficiaires. Le mot « assurer » place la barre très haut puisqu’il signifie « rendre ferme, solide »[73] ou « garantir »[74], voire faire en sorte qu’une chose « ne manque pas »[75]. On peut douter qu’un tel objectif puisse jamais être atteint ; cela d’autant moins que l’objectif est d’assurer « le » progrès des groupes raciaux désavantagés[76]. Cette extensivité des mesures spéciales, impressionnante in abstracto, est, toutefois, limitée par deux considérations. D’abord, celles-ci doivent être prises « à seule fin d’assurer » l’objectif mentionné ; puis, il leur faut venir en aide à des « groupes raciaux » ayant besoin d’une protection « nécessaire » pour garantir dans des conditions d’égalité la jouissance des droits de l’homme. Ainsi, les mesures en question ne peuvent évoluer que dans certaines limites contraintes. Dépasser ces limites les rendrait non conformes à la Convention[77].

Nonobstant, la chose la plus importante est non pas le statut inerte mais le statut dynamique dans le temps des mesures de discrimination positive, à savoir les conditions négatives de leur compatibilité avec la Convention. Certes, ces conditions ratione temporis sont déjà implicitement comprises dans celle qui veut que les mesures visent à atteindre « le » (ou, plutôt, un) « adequate advancement » des groupes bénéficiaires et que, au-delà de ce stade, bref lorsque cet « advancement » aura été atteint, les mesures deviennent invalides[78]. Vu cependant la sensibilité de la question, le paragraphe 4 de l’article 1er revient sur ce point avec une clarification supplémentaire ou, mieux dit peut-être, avec une explication de texte destinée à ceux pour qui les premières phrases de l’article ne seraient pas suffisamment claires. Ainsi, il ne faut pas que les mesures de discrimination positive « soient […] maintenues en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient ». Logique et parfaitement compréhensible, cette phrase ne pose problème, si l’on peut dire, que lorsqu’on cherche à la voir s’appliquer dans la pratique. C’est ici que les difficultés affluent. Une première difficulté est celle de pouvoir identifier avec précision les « objectifs » que les mesures poursuiv(ai)ent mais, déjà, on pourra se demander s’il est permis, chemin faisant, de procéder à une modification ou à une adaptation des « objectifs » initiaux. La difficulté la plus grande sera, néanmoins, de pouvoir se prononcer sur le succès des mesures, succès qui, automatiquement, quoiqu’en théorie, les invalidera pour le moment d’après. Or, virtuellement, il s’avérera impossible de constater que les objectifs sont atteints et, surtout, déterminer le moment précis où ils l’auront été. Au-delà des difficultés pratiques, force est de noter qu’aucun critère n’est établi pour évaluer le succès ou l’insuccès des mesures à un moment donné. On n’oubliera pas qu’il s’agit, en principe, de procéder à une telle évaluation non pas par rapport à une personne mais par rapport à un ensemble, a priori numériquement important, de personnes. On y a fait allusion, rien ne garantit, c’est un euphémisme, que les personnes appartenant au « groupe racial » auront toutes évolué selon le même rythme ou que les mesures auront été également accessibles et profitables (ou même également connues) pour toutes ces personnes. Si l’on opte pour une différenciation au sein du groupe, quel devrait être le pourcentage de « réussite » ? Pourrait-on se contenter d’une dynamique vers le succès en lieu et place du succès, du moins pour un certain pourcentage de bénéficiaires ? Que faire pour les membres du groupe, même numériquement minoritaires, qui n’auront pas su profiter de l’affirmative action ? Pourrait-on diviser le groupe en sous-groupes dont certains, en fonction de leur (degré de) réussite, seraient déclarés insusceptibles de continuer d’en profiter ? Quid, enfin, si la réussite, soit du groupe, soit d’une portion de celui-ci, s’avère éphémère et, à la première difficulté, redevient « groupe racial […] ayant besoin de la protection qui peut être nécessaire pour l[ui] garantir la jouissance et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité » ? Devrait-il y avoir, dans ce dernier cas, automaticité dans la reconduction des « mesures spéciales » ?

Répondre à toutes ces questions est, à la fois, indispensable et impossible. Cela risque de conférer à l’affirmative action une nature toute d’approximation en ce qui concerne sa mise en œuvre dans la mesure où savoir (et pouvoir) lui assigner un terme semble être une condition de sa mise en œuvre, à moins bien étendu que l’on parte de l’hypothèse que ces mesures vont être pérennes. Peut-elle pourtant une mesure permanente être encore qualifiée de « spéciale » ? Un certain arbitraire ou, dans le meilleur des cas, une certaine approximation risque de devenir le lot de la plupart des « discriminations positives ». Certes, intervient sur ce point, à savoir la nécessité d’échapper à l’arbitraire, une seconde condition négative. Les « mesures spéciales » se doivent de ne point avoir « pour effet le maintien de droits distincts pour des groupes raciaux différents ». Ce membre de phrase n’est pas non plus exempt de difficultés majeures d’interprétation ou d’application. Il introduit l’idée, absolument logique par ailleurs, que, le cas échéant, il faudra faire bénéficier de « mesures spéciales » non pas un seul « groupe racial » mais plusieurs, on suppose en même temps. C’est afin d’éviter l’arbitraire que ce membre de phrase exige que des « groupes raciaux » a priori bénéficiaires de l’affirmative action ne soient pas traités différemment. Naturellement, une première difficulté est déjà de pouvoir établir précisément les limites de différenciation (mais sur la base de quels critères ?) entre « groupes raciaux » avec tout ce que cela pourra impliquer comme approximation, arbitraire et political incorrectness.

Cependant l’observation la plus intéressante (et la plus troublante) est que la condition négative examinée n’interdit pas les traitements différenciés en général mais uniquement le « maintien » de ceux-ci. L’interprétation de ce terme ne va pas de soi. Il semble vouloir dire que des traitements différenciés peuvent parfaitement être établis durant une certaine période, naturellement impossible à déterminer, et que seulement leur validité continue après l’écoulement de cette période serait incompatible avec la Convention. Toutefois, du moment que cette période n’est point déterminée, ce subtil édifice politique et juridique tombe à plat. Il serait possible de lier cette condition à l’autre condition négative que l’on a déjà examinée, à savoir le fait que les « mesures spéciales » ne doivent pas être « maintenues en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient ». Cela donnerait que le traitement différencié prohibé ne puisse s’étendre au-delà du moment où les « objectifs » auront été atteints. Dans ce cas, on peut, néanmoins, se demander ce que la première condition négative (celle sur le non-maintien du traitement différencié) ajoute réellement à la seconde. La seule différence entre les deux conditions négatives de l’article 1 §4 pourrait être que la seconde s’applique à tous les bénéficiaires de cette disposition tandis que la première condition négative, le non-maintien de traitements différenciés pour des « groupes raciaux » différents, s’applique, justement, uniquement au cas de « groupes raciaux ». Les « groupes ethniques » ne seraient donc pas concernés par cette condition[79]. Toutefois, on a déjà vu que les « groupes raciaux » ne peuvent être facilement distingués des « groupes ethniques ». Ce distinguo a donc assez peu de signification et, encore une fois, on peut s’interroger sur la clarté des énoncés de la Convention sur la discrimination raciale[80]. D’autres conventions internationales qui admettent la discrimination positive sont, heureusement, mieux conçues.

B. l’autorisation de la discrimination positive dans d’autres conventions internationales

La principale autre Convention internationale à accepter la discrimination positive est la Convention des Nations Unies de 1979 sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes (a). Toutefois, les personnes handicapées semblent aussi bénéficier, dans la Convention des Nations Unies qui leur est consacrée, d’une acceptation de réglementations nationales cherchant à compenser la perte de chances qu’inéluctablement implique le handicap (b).

a) « Mesures spéciales » en faveur des femmes dans la Convention de 1979

D’une certaine manière, déjà l’intitulé de la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes montre que, aux yeux de ses concepteurs, les femmes ne seraient pas actuellement à l’égal de l’autre sexe et que les différentes dispositions éparpillées dans un grand nombre de traités, tant régionaux qu’universels (à commencer par la Charte des Nations Unies et les deux Pactes de 1966), ne seraient pas suffisants pour éliminer toutes les discriminations dont les femmes pâtiraient. Toutefois, une affirmation suivant laquelle la lutte contre les discriminations est une affaire de nombre des dispositions la condamnant aurait quelque chose d’absolument pathétique. En fait, nombre de dispositions dans la Convention de 1979 se contentent de développer tel ou tel thème particulier mais leur substance aurait pu très facilement être extraite de dispositions plus générales interdisant la discrimination sur la base du sexe. Par rapport à ce grand principe, que l’on trouve, entre autres, dans l’article 2 §1 du Pacte sur les droits civils et politiques et même, ex abundantia (déjà !) dans l’article 3 du même Pacte, quel est en vérité, par exemple, l’apport supplémentaire de l’article 8 de la Convention de 1979 suivant lequel « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que les femmes, […] sans aucune discrimination, aient la possibilité de représenter leur gouvernement à l’échelon international […] » ? Nombre de dispositions de cette Convention ont, avant tout, une signification pédagogique en attirant, en d’autres termes, l’attention des gouvernements, voire celle des ONG, sur tel ou tel point où les discriminations seraient prétendument plus fréquentes ou plus insupportables. On peut, toutefois, se demander si des soucis – légitimes par ailleurs – de pédagogie peuvent être suffisants pour qu’une convention s’ajoute à un nombre déjà important de conventions onusiennes thématiques sur les droits humains même si la prolifération des conventions thématiques est postérieure à 1979. En cela, la Convention sur les femmes ressemble à la Convention sur la discrimination raciale parce que, dans cette dernière aussi, on ne voit pas quel supplément de droits apporte réellement au profit des discriminés nombre de dispositions particulières[81]. Nonobstant, il y a aussi une autre ressemblance entre ces deux conventions anti-discrimination. Elles se réfèrent à la discrimination positive en n’utilisant pas cette expression ou une autre expression analogue.

Le point de départ, dans la Convention de 1979 comme dans celle de 1965, est la définition de la discrimination. Elle se fait, dans les deux textes, dans des termes relativement proches puisque, selon l’article 1er CEDAW, la « discrimination à l’égard des femmes » est « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ». Ce n’est que dans un second temps, suivant aussi la logique de la Convention sur la discrimination raciale, que la Convention sur les femmes excuse certaines mesures que certains États voudraient bien adopter en faveur des femmes, mesures qui rompent, formellement, l’égalité entre les deux sexes et qui, par conséquent, seraient vues comme incompatibles avec la Convention en l’absence de leur autorisation explicite par cette dernière. L’article 4 §1 CEDAW a la teneur suivante :
« L’adoption par les États parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas considérée comme un acte de discrimination tel qu’il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes ; ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints ».

L’article 1 §4 CERD est conceptuellement très proche de cette disposition pour que les rédacteurs de cette dernière n’en soient pas inspirés. On y trouve, en effet, également les deux ensembles de conditions, les unes positives, lesautres négatives, qui visent à asseoir la compatibilité des « mesures temporaires spéciales » avec la CEDAW. Toutes ces conditions doivent être réunies afin que de telles mesures ne soient ab initio ou ne finissent par devenir de la discrimination (prohibée) au sens de l’article 1er CEDAW. En ce qui concerne les conditions que l’on a qualifiées de positives, elles présentent de fortes ressemblances avec celles de l’article 1 §4 CERD mais l’on peut aussi noter quelques dissemblances. Ainsi, dans les deux textes, on parle de « mesures spéciales », mesures que l’on pourrait donc qualifier de ponctuelles, intervenant dans tel ou tel domaine et, sans doute, adaptées au domaine concerné. Cette adaptation implique aussi que ces mesures soient proportionnées à l’objectif à atteindre bien que l’on notera que le texte de la Convention sur les femmes est caractérisé par une certaine économie de moyens (et donc de mots) en comparaison de l’article correspondant de la Convention de 1965. Des expressions un peu lourdes comme « groupes […] ayant besoin de la protection qui peut être nécessaire pour […] », « progrès comme il convient » ont été éliminées. Plus direct, l’article 4 §1 CEDAW énonce immédiatement l’objectif que doivent pouvoir poursuivre les « mesures spéciales ». Il s’agit pour elles de « viser à accélérer l’instauration d’une égalité ». On évite ainsi les circonlocutions inutiles et stylistiquement peu élégantes que comporte la Convention de 1965.

Une autre différence entre les deux textes, un peu plus intéressante, est que la Convention sur la discrimination raciale semble partir de l’hypothèse qu’aucune égalité n’existerait entre le groupe privilégié et le « groupe racial » désavantagé sans pour autant que cela signifie que, si un degré d’égalité existe (à supposer que l’on puisse parler de pourcentages d’égalité), des mesures d’affirmative action ne puissent être adoptées. En revanche, la Convention sur les femmes adopte d’emblée une position moins sobre. Une dose d’égalité ou les prémices de celle-ci existeraient déjà et les « mesures spéciales » ne viseraient qu’« à accélérer l’instauration d’une égalité »[82]. Toutefois, ici encore, au niveau du maniement des concepts, il y a une difficulté : l’égalité existe ou n’existe pas. Et si la version française prend soin, avec les moyens du bord, – de tenter – d’esquiver cet écueil[83], d’autres versions semblent moins bien rédigées sur ce point (« measures aimed at accelerating […] equality », « medidas encaminadas a acelerar la igualdad »)[84].

 

Par ailleurs, l’article indéfini placé devant « égalité » peut, de prime bord, sembler singulier puisque, par définition, il implique qu’il peut y avoir plusieurs « égalités »[85]. Curieux ? C’est un fait pourtant. La Convention de 1979, en qualifiant l’égalité, que les « mesures spéciales » sont censées pouvoir instaurer, d’« égalité de fait » dévoile ouvertement la quintessence même de la philosophie de toute discrimination positive. Il y aurait, en d’autres termes, une égalité formelle, abstraite, purement juridique, et une autre que l’on pourrait qualifier de réelle, matérielle, substantielle. Les deux peuvent, certes, coïncider mais, visiblement, de l’avis des rédacteurs de la disposition examinée, cela ne sera pas toujours le cas. Il y a quelque chose d’indéniablement marxiste dans cette distinction entre le formel et le réel. Comparativement, la Convention sur les femmes dit les choses bien plus clairement que la Convention sur la discrimination raciale. À moins qu’objectif de cette dernière ne soit, dans son article 1 §4, l’acquisition, déjà, d’une égalité juridique ; sauf que, dans ce cas, on n’aurait pas besoin de passer par l’article 1 §4 car une prohibition des discriminations juridiques sur la base de la « race », objectif principal de la Convention de 1965, aurait été largement suffisante.

Enfin, une question importante est celle de savoir entre qui et qui l’« égalité de fait » doit pouvoir être atteinte. Cette question ne reçoit pas de réponse claire dans la Convention sur la discrimination raciale mais l’on peut supposer que l’égalité sera une égalité entre tel « groupe racial » ex hypothesi désavantagé et tel autre groupe, prétendument lui aussi « racial », avantagé par l’histoire, par les conditions économiques régissant la société, par des croyances même, etc. Quid, néanmoins, si l’on peut distinguer plusieurs « groupes raciaux » au développement et au statut, social, économique ou autre, inégal ? La lutte vers l’égalité doit-elle se poursuivre jusqu’à ce que tous les « groupes raciaux » atteignent le même niveau ou peut-on se permettre de considérer qu’atteindre un niveau moyen ou moyen supérieur ferait déjà largement l’affaire ? Les réponses de la Convention de 1965 ne sont pas claires alors même que, visiblement, ainsi qu’on l’a vu, elle part de l’hypothèse d’une pluralité de « groupes raciaux » dans un État donné nous privant, en quelque sorte, de point de référence car, lorsqu’il y a plusieurs points de référence, c’est qu’il n’y en a aucun. Comparée à la Convention sur la discrimination raciale, la Convention sur les femmes se présente, dans ce domaine, et par la force des choses, de manière bien plus simple. Le groupe femmes sera comparé au groupe hommes. On pourrait, certes, se demander si l’on ne pouvait pas distinguer entre plusieurs groupes de femmes au niveau de développement inégal mais tel ne semble pas être la perspective dans laquelle se situe globalement la Convention, les distinctions/discriminations ethniques, confessionnelles, raciales, sociales ou autres ne relevant pas de son ressort en dépit de la grande mode actuelle d’« intersectionnalité »[86]. La Convention sur les femmes envisage, peut-être naïvement, les femmes en tant que groupe homogène face à l’autre sexe[87]. Ponctuellement, elle distingue cependant des besoins spécifiques qu’auraient certaines catégories de femmes comme, par exemple, les « femmes dans les zones rurales » (article 14).

Toujours est-il que, contrairement à la Convention de 1965, celle de 1979 nomme clairement les groupes concernés, même si, à juste titre, elle évite d’utiliser le terme « groupe ». La question est de savoir, à partir du moment où les groupes au développement inégal sont identifiés, si un seul groupe est concerné par les éventuelles mesures de discrimination positive ; de savoir, en d’autres termes, si le groupe femmes peut en être l’unique bénéficiaire. Or, la disposition de l’article 4 §1 CEDAW ne semble pas dévoiler une telle intention même si toute la Convention tourne, bien évidemment, autour de l’idée que les femmes constituent le sexe désavantagé et qu’une discrimination positive ne peut, logiquement, bénéficier qu’à un groupe désavantagé. Comme le préambule l’énonce, « les femmes continuent de faire l’objet d’importantes discriminations ». La question se pose dans les conditions suivantes : doit-on privilégier la syntaxe, pourtant limpide, de l’article 4 §1 ou considérer que, de par cet énoncé du préambule et l’intitulé même de la Convention, cette dernière ne s’intéresse qu’aux femmes et n’entend contribuer qu’à l’égalité des femmes avec les hommes, jamais l’inverse. Or, il s’avère que, dans certains domaines, les hommes peuvent faire figure de groupe désavantagé. Pour faire bref, et à moins que l’on ne veuille voir dans la Convention de 1979 une convention « sexiste » ou « féministe », on peut considérer, en pleine conformité avec la syntaxe de l’article 4 §1, que l’affirmative action peut tout autant bénéficier aux hommes qu’aux femmes[88].

Un peu plus clairement, l’article 4 §2 CEDAW semble porter sur une discrimination positive en faveur uniquement des femmes lorsqu’il énonce que « l’adoption par les États parties de mesures spéciales, y compris de mesures prévues dans la présente Convention, qui visent à protéger la maternité n’est pas considérée comme un acte discriminatoire ». Toutefois, ici encore, il y a des marges pour une interprétation différente[89]. La maternité est, certes, un don attribué par la nature (et par l’étymologie) aux seules femmes mais l’on peut s’interroger sur le sort réservé par la Convention à la paternité. En réalité, la Convention sur les femmes risque de passer pour éminemment conservatrice en négligeant le rôle du père contemporain dans l’éducation des enfants et en donnant donc de lui une image éminemment stéréotypée[90]. Finalement, tout dépend de ce que l’on doit entendre par « maternité ». Si l’on doit y voir la « fonction génératrice propre à la femme »[91], il est manifeste que les « mesures spéciales » de l’article 4 §2 portent uniquement sur les femmes. Si, en revanche, on peut y voir (ou, plutôt, y voir aussi) les « rapports privilégiés d’amour et de tendresse entre une mère et […] ses enfants »[92], une possibilité pour que les pères tirent profit per analogiam de certaines « mesures spéciales » commence à s’entrevoir, sauf, à nouveau, si l’on conclut qu’aucune des dispositions de la Convention ne peut, par définition, jamais bénéficier aux hommes[93], celle-ci ne concernant pas l’égalité entre les deux sexes mais uniquement les droits de la femme[94].

Au-delà des conditions positives pouvant justifier une discrimination positive, on trouve dans l’article 4 §1 CEDAW deux conditions négatives aussi. Tout comme dans la Convention de 1965, ces conditions négatives portent sur la durée des « mesures spéciales »[95]. Tout d’abord, « ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints ». Cette durée limitée dans le temps s’accorde parfaitement avec le caractère dérogatoire (vis-à-vis du principe de l’égalité) des mesures que le texte qualifie, justement, de « spéciales »[96]. La limite temporelle de ces mesures est le moment auquel une « égalité de chances » sera atteinte. En faisant abstraction de l’optimisme dont l’auteur de cette disposition fait preuve[97], on peut se demander en quoi consiste une « égalité de chances » et quels sont les rapports de celle-ci avec l’égalité tout court. Il est tout de même particulier que, d’une part, les « mesures spéciales » peuvent entrer en vigueur en visant « l’instauration d’une égalité » mais, d’autre part, elles cessent lorsqu’elles atteignent une « égalité de chances ». Il se peut bien entendu qu’« égalité » et « égalité de chances » soient la même chose mais, dans ce cas, pourquoi se servir de deux terminologies différentes ? Toutefois, comme ce n’est pas seulement l’« égalité de chances » qui est l’objectif qui, une fois atteint, fait sortir de validité (ou, du moins, de compatibilité avec la Convention) les « mesures spéciales », mais également l’« égalité de traitement », on peut aussi se demander si, aux yeux du rédacteur de l’article 4 §1, l’« égalité » est, en réalité, une « égalité de traitement », qui peut correspondre à une prohibition de discriminations formelles, plus une « égalité de chances », qui peut correspondre à une « réelle » égalité, suivant d’ailleurs l’expression du préambule de la Convention[98]. Cela dit, il sera difficile d’estimer que toutes les femmes (ou, le cas échéant, dans une optique mois « sexiste », tous les êtres humains) finiront au terme de validité des « mesures spéciales » par bénéficier d’une « égalité de chances ». Dans ce cas, il nous faudra nous contenter de moyennes, forcément approximatives et, par conséquent, frustrantes.

Reste le problème de l’autre condition négative suivant laquelle l’adoption des « mesures […] ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes ». Tout comme dans la Convention de 1965, laquelle influence ici plus qu’ailleurs sa sœur de 1979, on s’interrogera sur la valeur ajoutée de cette clause. Peut-on, en effet, concevoir une obligation d’abrogation des « mesures » une fois les objectifs atteints et, en même temps, un maintien de « normes inégales ou distinctes » ?[99] Alors même que, assurément, les « mesures » consisteront en un certain nombre de « normes »[100] de cette nature ? Et si l’obligation de ne point maintenir vaut obligation d’« abroger », quel est le rôle que vient jouer l’obligation pour les « mesures spéciales » d’être « temporaires » ?[101] Est-ce que lire trois fois la même chose dans une même phrase renforce son impact dans les esprits ? À tout le moins, on voit dans cette triple répétition la peur des négociateurs de franchir le pas décisif et de briser le tabou de l’égalité alors que toute la Convention de 1979 est centrée sur l’impératif de l’égalité des sexes. Ce n’est, autrement dit, pas de gaieté de cœur qu’ils ont accepté une dérogation à l’égalité (fût-elle abstraite et formelle) que certains États parties pourraient avoir instauré, même pour la bonne cause, ou qu’ils seraient tentés d’instaurer à l’avenir. Et ils sont naturellement loin d’imposer aux parties des mesures de discrimination compensatrice. D’autres pourtant le font, comme on le verra.

Avant, il convient de porter l’attention sur le fait que, dans la Convention sur les femmes, les « mesures […] doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints ». Le terme « abroger » sied bien à des mesures de nature juridique. Si l’on peut « abroger » une loi ou un règlement, on peut moins, d’un point de vue linguistique, « abroger » un « standard ». Or, « abroger » reste une particularité de la version française et le mélange qu’elle semble faire, dans l’article 4 §1 CEDAW, entre « normes » et « mesures spéciales » peut pleinement justifier l’abrogation de celles-ci. En revanche, la version anglaise, qui se sert du terme vague et indéterminé de « standards », énonce que « these measures shall be discontinued » (et non « abrogated »). Il y a aussi deux autres nuances entre « doivent être abrogées » et « shall be discontinued ». Premièrement, s’il est certain que, dans la langue anglaise, l’utilisation du futur simple implique une obligation, l’utilisation, dans la version française, du verbe « devoir » n’est peut-être pas tout à fait innocente. Elle sert, au contraire, à accentuer le caractère de cette obligation, laquelle devient, en quelque sorte, un impératif absolu[102]. Puis, dans la version française, il est sous-entendu que ce soit une autorité compétente qui procède formellement à l’« abrogation », ce terme ayant le sens qu’il a en droit constitutionnel et administratif. Par contre, la version anglaise est, visiblement, moins formaliste tandis que la version espagnole (« estas medidas cesarán ») n’implique point, elle non plus, que ce soit une autorité administrative ou bien le corps législatif qui fasse en sorte que ces mesures sortent de vigueur. Bien plus souples que la version française, les versions anglaise et espagnole peuvent par conséquent être interprétées comme autorisant un juge à se prononcer sur la cessation d’effets pour une mesure prise par le passé lorsque, à son avis, « les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints ». Cette nuance est, dans un système juridique national, tout sauf inintéressante et pave la voie à un intéressant quoique complexe contentieux judiciaire[103].

La dernière question relative à l’« abrogation » des « mesures spéciales temporaires » concernera le moment précis où cette abrogation devra avoir lieu. Il est vrai que, si l’on conçoit l’abrogation au sens habituel que ce terme revêt en droit constitutionnel ou en droit administratif, ce moment sera, forcément, précis tandis que, si l’on se penche plutôt en faveur du sens véhiculé par les versions anglaise et espagnole, une « discontinuation » ou bien une « cesación », l’on sera fixé plutôt par rapport à une période donnée que par un moment précis. C’est probablement la période qui est envisagée par la recommandation générale n° 25 du Comité. Premièrement, la recommandation envisage, assez logiquement par ailleurs, une période de validité des « mesures » en fonction « des résultats de la mesure en réponse à un problème concret » et non[104] « en fonction de délais prédéterminés », qui, atteints, sortiront automatiquement de vigueur les « mesures »[105]. Deuxièmement, de manière plus originale, mais au fond logique, la recommandation générale tient compte non point d’un moment historique donné auquel les objectifs d’une « mesure spéciale temporaire » auront été atteints et donc sa sortie de vigueur suivrait automatiquement ou, en tout cas, très vite, mais elle envisage, au contraire, le maintien provisoire en vigueur de la mesure « dès que le résultat escompté a[ura] été obtenu depuis un certain temps » (point 20). Ainsi, est sérieusement envisagé le maintien en vigueur d’une mesure d’affirmative action pendant une certaine période que l’on pourrait appeler probatoire. Et la recommandation de recommander : « Il faut continuellement suivre les lois, les programmes et les pratiques visant à instaurer l’égalité de fait ou réelle pour éviter la perpétuation d’un traitement différentiel de plus en plus difficile à justifier » (point 11)[106].

b) Une discrimination positive admise en faveur des personnes handicapées

La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées signée en 2006, Convention très largement ratifiée[107], se réfère largement aux discriminations dont des personnes handicapées sont souvent les victimes mais également à d’éventuelles mesures de discrimination positive. Après avoir condamné toute discrimination à l’égard des personnes handicapées[108], elle énonce ceci dans son article 5 §4 :
« Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention ».

La conception de la discrimination positive est ici à peu près la même que dans les Conventions de 1965 et de 1979 en ce qu’il s’agit, tout d’abord, de mesures dérogatoires au principe d’égalité de traitement des citoyens. L’expression « mesures spécifiques »[109] au lieu de « mesures spéciales » ne peut être vue comme une différence qui mériterait une analyse[110] de même que le fait que ces mesures doivent être « nécessaires » et donc, finalement, proportionnées[111]. Leur objectif, en revanche, qui détermine leur caractère de « nécessaires », comporte une certaine originalité puisque celui-ci combine l’objectif des « mesures spéciales » de la Convention sur la discrimination raciale (« assurer comme il convient le développement ou la protection ») et des « mesures spéciales » de la Convention sur les femmes (« accélérer l’instauration d’une égalité »). « Accélérer » renvoie à un processus tandis que « assurer » se réfère au résultat. Combiner les deux objectifs constitue une solution médiane, un compromis diplomatique qui cache probablement des dissensions internes à la conférence d’adoption de la Convention. Les « mesures spécifiques » peuvent, en d’autres termes, être « radicales » et tendre, par conséquent, à l’objectif idéal, à savoir « assurer l’égalité ». Elles peuvent aussi se montrer d’une moindre ambition et se limiter à rendre plus rapide la marche vers l’égalité sans pour autant forcément tendre à l’« assurer » in fine. Le choix dépend de chaque État partie. Que les mesures aillent jusqu’au bout ou qu’elles s’arrêtent à la moitié du chemin, l’égalité visée est toujours une égalité « de facto », caractéristique qui constitue la quintessence de toute affirmative action.

Ce qui attire l’attention à la lecture de l’article 5 §4 de la Convention sur les personnes handicapées est le fait qu’aucune « mesure spécifique » n’est envisagée sous un angle ratione temporis alors que toutes sortes de limite dans le temps caractérisent les « mesures spéciales » dans les deux autres Conventions examinées. Il est difficile de croire qu’il s’agit d’un oubli. Tout simplement, hélas, un handicap, en tout cas la plupart d’entre eux, crée une situation de désavantage non seulement profond mais aussi et, surtout, permanent[112]. C’est donc le maintien de telles « mesures spécifiques » qui seul peut faire qu’une certaine inégalité compensatrice puisse contribuer à effacer ou, pour être plus pragmatique, à atténuer le désavantage que crée automatiquement un handicap tel que défini dans l’article 1er, al. 2, de la Convention[113].

De manière fort intéressante, l’observation générale n° 6 du Comité des droits des personnes handicapées, un des textes onusiens les plus inspirés en matière d’égalité et de non-discrimination, pose deux limites aux mesures d’« action positive » en faveur des personnes handicapées, une limite ratione materiae et une autre relative à la procédure de leur adoption. Ces mesures « ne doivent pas conduire à la perpétuation de l’isolement, de la ségrégation, des stéréotypes, de la stigmatisation ou d’autres formes de discrimination à l’égard des personnes handicapées. Les États parties doivent donc consulter étroitement et faire activement participer les organisations qui représentent les personnes handicapées, lorsqu’ils adoptent des mesures spécifiques » (point 29). L’objectif de cette phrase est évident et assurément noble. S’il est aussi réaliste, cela est une autre question. Dès le moment qu’une mesure de discrimination positive bénéficie à un groupe, les membres de celui-ci peuvent être vus comme stigmatisés et ce n’est, hélas, pas une quelconque pédagogie imposée d’en haut qu’elle peut changer tel préjugé sociétal. La participation des organisations représentatives des personnes handicapées dans l’adoption des « mesures spécifiques », quoique manifestement utile, ne peut forcément changer grand-chose sur ce point. Elle sert, toutefois, à adouber les « mesures spécifiques » et, ce faisant, à atténuer la crainte ou les hésitations des autorités nationales qui les adoptent formellement. Si l’on en croit l’observation générale, il faut canaliser les États et, à la limite, faire en sorte que la discrimination positive décrétée n’aboutisse pas à des résultats inverses de ceux qu’ils souhaitent. L’idée est intéressante et pourrait être exportée au cas de nombreuses autres politiques d’affirmative action.

Enfin, on observera que la Convention des Nations Unies de 1989 sur les droits de l’enfant abonde, elle aussi, en références à des « mesures spéciales ». Toutefois, tant que celles-ci se réfèrent à l’ensemble des enfants, on ne peut raisonnablement parler de discrimination positive. Si tout le monde, même dans certaines limites d’âge, bénéficie de « mesures » compensatrices, personne, en réalité, n’en bénéficie. On notera une seule exception, seule de l’article 23 §2 qui reconnaît « le droit à des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux », ce qui renvoie, à première vue, aux mesures de discrimination positive au profit des personnes handicapées et donc à la Convention spécifique des Nations Unies, adoptée, il est vrai, dix-sept ans plus tard. Toutefois, la discrimination positive au profit des enfants handicapés semble davantage limitée dans la Convention de 1989 que dans celle de 2006. Plus particulièrement, les « soins spéciaux » en faveur des enfants handicapés sont fonction des « ressources disponibles » dans chaque État partie. La Convention de 1989 cède, néanmoins, volontiers le pas devant une autre convention qui contiendrait des « dispositions plus propices à la réalisation des droits de l’enfant » (article 41), clause de « mieux disant » dont le modèle semble être l’article 53 de la Convention européenne des droits de l’homme[114]. On remarquera aussi que le terme de la version française « soins spéciaux » au profit des enfants handicapés n’est pas des plus réussis en ce qu’il renvoie plus ou moins étroitement au domaine de la santé. Ce terme noie une tentative de discrimination positive dans une problématique plus générale et assez neutre puisque, c’est une lapalissade, ce sont des personnes malades qui ont besoin de « soins spéciaux », pour celles en bonne santé des « soins » normaux, essentiellement préventifs, pouvant largement suffire. Le terme anglais de « special care » semble davantage approprié[115].

Partie II – Une discrimination positive imposée

Tout comme par rapport à la discrimination positive autorisée, de même par rapport à la discrimination positive imposée, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale a une signification toute particulière. Non seulement, elle constitue le premier instrument international à y faire référence mais, probablement, nulle part ailleurs une obligation de discrimination positive n’est-elle aussi clairement énoncée si l’on excepte la récente Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance. Toutefois, cette obligation s’accompagne d’un certain nombre d’incertitudes, voire de difficultés substantielles d’interprétation de la disposition pertinente, incertitudes et difficultés qui peuvent faire que son impact s’en trouve diminué ou relativisé (A). Les ambiguïtés en la matière, quoique non d’une nature identique, se rencontrent également dans certains autres instruments qui, à leur tour, envisagent plus ou moins clairement une affirmative action obligatoire (B).

A. Des obligations d’affirmative action face aux tolérances de l’affirmative action: un jeu risqué?

Concilier une permission avec une obligation n’a rien d’évident et la Convention de 1965 souffre de cette (apparente ?) contradiction (a)[116]. Ses homologues interaméricaines de 2013 semble se porter mieux de ce point de vue. Non seulement elle assume clairement une obligation de discriminer positivement mais, en plus, elle trouve un terrain d’entente entre autorisation et obligation même si tout n’est pas parfait en la matière (b).

a) L’obligation de discrimination positive dans la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale: une clarté obscure?

La Convention de 1965 comporte incontestablement une obligation pour les États parties de faire valoir, dans certaines situations, des mesures compensatrices en faveur de certains groupes que l’on estimera comme désavantagés. Du coup, cette obligation devra être comparée à l’autorisation de telles mesures spéciales énoncée dans l’article 1 §4 de cette Convention, que l’on a déjà analysé. Les mesures obligatoires de discrimination positive sont énoncées dans son article 2 §2 qui a la teneur suivante :
« Les États parties prendront, si les circonstances l’exigent, dans les domaines social, économique, culturel et autres, des mesures spéciales et concrètes pour assurer comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d’individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions d’égalité, le plein exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces mesures ne pourront en aucun cas avoir pour effet le maintien de droits inégaux ou distincts pour les divers groupes raciaux, une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient ».

Même une première et rapide lecture de cette disposition rend évident que ses termes se reflètent, du moins en partie, dans les termes de l’article 1 §4 de la Convention. Les deux dispositions sont deux sœurs jumelles possédant pourtant chacune son propre caractère et souhaitant mener sa vie chacune à sa guise. La différence de caractère est particulièrement tranchée lorsque l’on considère que la disposition de l’article 1 §4 est permissive tandis que celle de l’article 2 §2 est autoritaire, du moins à première vue. Le fait que la seconde impose une obligation se manifeste par l’emploi du futur simple (« Les États parties prendront »). Comme le signale Le Bon Usage, « le futur simple peut s’employer au lieu de l’impératif »[117]. Certes, il y a plusieurs manières dans la langue française pour noter l’obligation, opposée à la faculté ou la possibilité, et l’on peut se demander si toutes véhiculent le même degré de contrainte. Il se peut que l’utilisation du verbe « devoir » ou de l’expression « être tenu à » soient à même d’intensifier la contrainte cependant que la contrainte est déjà présente dans l’emploi du futur simple. Du reste, cette conclusion est facile à corroborer si l’on regarde les versions anglaise (« States Parties shall […] take ») et espagnole (« Los Estados partes tomarán ») de la même disposition. Toutes las deux se servent également du futur simple, mode verbal qui, dans les langues correspondantes, est par excellence la notation d’une obligation. Et si le moindre doute subsistait, la prise en considération de la version russe confirmera définitivement que l’article 2 §2 impose bel et bien une obligation juridique (« Государства-участники должны принимать »)[118].

Cela dit, l’obligation en question est, d’une certaine manière, atténuée par l’expression qui suit immédiatement le verbe « prendront ». « Si les circonstances l’exigent » est typiquement une expression qui module une obligation et cela d’une double manière. En premier lieu, il doit y avoir des « circonstances » particulières, ce qui signifie que, en temps normal, l’article 2 §2 ne peut jouer. Puis, les « circonstances » se doivent d’être d’un tel degré qu’elles imposent la prise de mesures de discrimination positive[119]. La difficulté majeure restera, néanmoins, de savoir qui peut juger que les « circonstances exigent » (ou n’« exigent » pas) la prise des mesures dont il sera question. Dans le silence du texte, on peut, de prime abord, penser à chaque État partie qui, de manière individuelle et autonome, se doterait du pouvoir d’évaluer les « circonstances ». Cela s’accorde parfaitement avec les caractéristiques du droit international général qui impose aux États contractants d’« exécuter » les traités eux-mêmes, mais « de bonne foi »[120]. Dans cette optique, seul donc le principe bona fide limiterait le pouvoir de l’État partie à la CERD d’évaluer la présence de « circonstances [qui] exigent ». Il ne faut pas cependant oublier le rôle que peut jouer en la matière le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale que la Convention crée.

Avant d’examiner l’éventuel rôle du Comité en la matière, il est essentiel de comprendre comment l’article 2 §2 CERD conçoit l’obligation de la discrimination positive alors même que, dans son article 1 §4, la Convention se contente, lorsque certaines conditions sont satisfaites, d’entériner une discrimination positive mise en œuvre par un État sur sa propre initiative. Si une discrimination positive est un devoir, voire même une obligation juridique, il devient a priori incompréhensible comment elle peut, en même temps, être soumise à une procédure d’autorisation. Ce qui est obligatoire n’a pas besoin d’être autorisé mais aussi, inversement, ce qui est autorisé n’(en) est pas (pour autant) obligatoire. La seule issue à ces contradictions logiques est de penser que la discrimination positive dont parlent les deux dispositions de la Convention n’est pas la même. Une comparaison entre la mise en œuvre des deux dispositions devient ainsi indispensable.

S’agissant, tout d’abord, des bénéficiaires des « mesures », ils semblent, à première vue, être les mêmes dans les deux cas. Malgré tout, si l’on cherche dans les détails, on découvre que bénéficiaires des « mesures » imposées sont les seuls « groupes raciaux », à l’exclusion donc des « groupes ethniques ». À supposer que l’on puisse établir une vraie distinction entre les deux « groupes », force est de considérer que les rédacteurs de la Convention imposent la discrimination compensatrice uniquement par rapport aux premiers, le « développement » desquels constitue, après tout, si les mots ont un sens, la raison d’être de la Convention. Il est donc possible qu’un État partie n’ait pas à se livrer à titre obligatoire à une affirmative action lorsque le groupe reste uniquement « ethnique » et n’est pas en même temps « racial ». Cela serait, par exemple, le cas d’un groupe dont l’« ethnicité » distinctive passerait par une langue particulière, par des coutumes (y compris de nature juridique) particulières, etc. C’est donc ici qu’il devient indispensable de distinguer entre les deux groupes bénéficiaires, en égalité, de ce que prévoit l’article 1 §4. C’est ici aussi que la Convention sur la discrimination raciale se souvient qu’elle porte vraiment sur la discrimination « raciale », se permettant, ailleurs que dans l’article 2 §2, d’abriter sous ses ailes bienveillantes plusieurs groupes dont certains seulement seraient « raciaux »[121].

Les « individus » sont également mentionnés parmi les bénéficiaires de l’article 2 §2, mais de manière bien plus rationnelle que dans le cadre de l’article 1 §4. Il ne s’agit plus d’« individus » de manière générale, expression qui, de par son caractère vague, porte préjudice à la crédibilité de la Convention, mais « d’individus appartenant à ces groupes [raciaux] »). La question est, néanmoins, comment et pourquoi on peut faire une distinction entre un ensemble et certains membres (lesquels par ailleurs ?) d’un ensemble. La seule solution à cette difficulté serait peut-être de considérer que la mention distincte des « individus » se réfère à des sous-groupes (mais, alors, de quelle importance numérique ?) dont certains ne pourraient in fine bénéficier des « mesures » au même rythme que la majorité du groupe[122]. La référence aux « individus » aurait ainsi quelque chose à voir avec le maintien en vigueur des « mesures » en faveur d’« individus » n’ayant pas su se « développer » à l’égal de la majorité du groupe. Certes, il n’est pas facile de distinguer entre sous-ensembles du même ensemble, ni juridiquement ni politiquement. Mais, justement, parce que ceci s’avère difficile pour plusieurs raisons, la référence à des « individus appartenant à ces groupes » « règle » la difficulté. Escamoter un problème est parfois considéré comme une manière pour le régler.

Quant aux conditions de sortie de validité des « mesures spéciales et concrètes », elles sont à peu près les mêmes que celles pour les « mesures spéciales » de l’article 1 §4. Les deux ensembles de « mesures » devraient, à un moment donné, être démantelées. De manière attendue, ce moment sera évalué de manière fonctionnelle (« une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient »[123]) et non pas de manière purement temporelle. On notera que, contrairement aux « mesures » de l’article 1 §4, dont la sortie de validité obéissait de manière illogique à deux critères séparés quoique fort proches (pas de « maintien de droit distincts » ; non « maintenues en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient »), on revient, s’agissant des « mesures » de l’article 2 §2, à plus d’économie de mots tout en disant la même chose : les objectifs atteints, on se contente d’un non-maintien « de droits inégaux ou distincts pour les divers groupes raciaux »[124]. Il n’est pas certain qu’il y ait une différence entre « droits distincts » (article 1 §4) et « droits inégaux et distincts » (article 2 §2), les deux épithètes, eu égard au contexte, relevant probablement, dans cette dernière expression, de la redondance. On observera, enfin, que le « non-maintien » se rapporte chaque fois aux seuls groupes « raciaux », « individus » (article 2 §2) et « groupes ethniques » et « individus » (article 1 §4) disparaissant inexplicablement de toute considération de « non-maintien » de « droits ». Cela dit, et dans la stricte mesure où les objectifs des deux ensembles de « mesures » ne seraient pas les mêmes, on peut se demander si elles sont vouées à être révoquées simultanément. La question est de savoir si, par rapport à un même « groupe », une « mesure » de discrimination positive autorisée doit cesser au moment même où une « mesure » de discrimination positive identique (ou analogue) imposée cesse. Autrement dit, est-ce qu’il y aurait une marge pour un État partie de maintenir en vigueur une « mesure » à titre volontaire alors même que cette mesure ne lui serait plus imposée ? On pourrait répondre que cela devrait pouvoir être le cas mais, en étant plus attentif, on constate que les conditions de sortie de validité des « mesures » sont largement les mêmes dans les deux paragraphes examinés ici[125]. On peut, dans ce cas, se rapporter au domaine exact de leur application.

Or, regarder le domaine d’application ratione materiae de ces deux dispositions peut donner lieu à des surprises. On remarque ainsi que l’article 1 §4 se réfère aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales de manière générale alors même que les « mesures » de l’article 2 §2 se concentrent aux « domaines social, économique, culturel ». Certes, ces épithètes sont suivies des mots « et autres », mots qui peuvent être interprétés de manière large, mais il reste significatif que ce sont les droits dits de deuxième génération qui sont concrètement identifiés. De là, on pourrait conclure que l’obligatoriété d’une discrimination positive viserait essentiellement, peut-être même exclusivement, les droits sur lesquels portent le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui, certes, n’était pas encore conclu en 1965 mais qui était déjà très largement rédigé et sur le point d’être formellement adopté. Signe indicatif de cette tendance est aussi le fait que, contrairement à l’article 1 §4, l’article 2 §2 prévoit l’adoption de mesures non seulement « spéciales » mais aussi « concrètes ». Le « concret » va au-delà du théorique, de l’abstrait, du juridique et sied particulièrement bien à ces catégories de droits humains. Il en va probablement de même de l’objectif qui consiste dans le « développement » des groupes bénéficiaires des « mesures » de l’article 2 §2, terme, lui aussi, plus concret que le « progrès » de certains groupes auquel se réfère l’article 1 §4[126]. Une distinctivité ratione materiae entre les dispositions sub examine commence ainsi à être entrevue. Cela dit, chaque fois l’objectif final est le même (ou presque) : « la jouissance et l’exercice des droits de l’homme » (article 1§4) ; « le plein exercice des droits de l’homme » (article 2 §2).

En ce qui concerne, maintenant, le rôle du Comité de la discrimination raciale, celui-ci est largement conçu sur le modèle de tous les Comités « gérant » les conventions onusiennes sur les droits de l’homme[127]. Il s’agit d’un rôle double. Pour – un petit – nombre d’États parties qui ont souscrit la déclaration de l’article 14 §1 de la Convention[128], le Comité peut jouer un rôle d’organe (quasi-)judiciaire en recevant des communications de personnes (ou de groupes) se plaignant d’être victimes d’une violation par l’État partie mis en cause « de l’un quelconque des droits énoncés dans la présente Convention ». La question est, déjà, de savoir si l’article 2 §2 de la Convention crée un « droit », surtout un droit individuel, alors même que les mesures spéciales de discrimination positive s’adressent, certes, à des individus mais dans la mesure où ceux-ci appartiennent à l’un des « groupes » concernés[129]. En vérité, il y a eu certaines communications individuelles portées devant le Comité qui ont allégué une violation de l’article 2 §2. Sauf erreur, toutes ces communications ont été déclarées irrecevables[130] ou, jugées recevables, elles n’ont pas révélé, de l’avis du Comité, de violation de la Convention sur le fond sur le terrain de l’article 2 §2[131]. Il y a ici un manque de maîtrise du subtil mécanisme de cette disposition de la part des plaignants et de leurs conseils[132].

Concernant, maintenant, le rôle, davantage traditionnel, que joue le Comité en tant qu’évaluateur des rapports périodiques que les parties se sont engagées à lui soumettre, il sera plus facile de constater des manquements par rapport à l’article 2 §2. Une question qui risque, néanmoins, de perturber son travail est sa connaissance même de situations susceptibles de relever d’une obligation de discriminer positivement. En principe, un tel manquement aurait dû être porté à la connaissance du Comité par ceux qui s’en prétendraient victimes (même à titre collectif) sauf que, dans ce cas, la voie de la communication leur serait ouverte. En quelque sorte, une soixantaine[133] de parties à la CERD échappent donc à la possibilité du Comité de prendre connaissance d’une éventuelle violation de l’article 2 §2 directement par les intéressés[134]. Restent les autres moyens que l’on peut imaginer, notamment la prise de connaissance d’une telle violation par le Comité par ses propres moyens au risque, toutefois, que cette connaissance soit floue, approximative, biaisée quelle que soit par ailleurs la qualité du dialogue du Comité avec les représentants de l’État partie auteur du rapport périodique. Parfois, le Comité demande au gouvernement de l’informer sur l’éventuelle existence de « groupes raciaux » qui, s’ils existent et s’ils sont défavorisés, auraient droit à des mesures de discrimination positive.

Malgré tout, si l’article 2 §2 CERD impose une obligation d’agir, l’inertie de l’État partie devrait inciter le Comité à recommander sur ce point une action des autorités nationales. Il est évidemment impossible dans le cadre de cette étude de se pencher un tant soit peu sur l’évaluation des rapports nationaux par le Comité CERD mais une impression générale est que l’article 2 §2 est largement discuté quoique non, le plus souvent, en des termes d’obligation juridique qui n’aurait pas été respectée. Il est vrai (et naturel) que le ton feutré des diplomates l’emporte le plus souvent. Le débat de fond, qui existe, est parfois obéré de considérations qui portent sur nombre de domaines connexes, peut-être même pas tous relevant du domaine d’application de la CERD (langues, religions, situation des étrangers, droits des réfugiés et des immigrants…) en dépit des miracles que produit l’intersectionnalité. Une chose semble, en tout cas, certaine. Le Comité s’intéresse bien plus à l’instauration de mesures de discrimination positive sans se soucier vraiment de la temporalité de celles-ci ou encore des conditions qui les rendent conformes à la Convention. Il est vrai que les États se montrent souvent hésitants, voire perplexes en la matière. Inversement, le Comité ne semble pas s’intéresser particulièrement au sujet des mesures affirmatives déjà en place ou leur éventuelle conformité à la Convention. Dans les évaluations du Comité, il est très souvent question de l’article 2 §2, beaucoup moins de l’article 1 §4 CERD[135].

Pour être plus complet en ce qui concerne l’action des organisations universelles dans le domaine de lutte contre la discrimination raciale, il faudra aussi envisager brièvement deux autres instruments. Aucun des deux n’a la nature d’un traité international. Pour commencer, la déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée en 1963[136] fait figure, d’emblée, de texte ayant préparé la CERD, adoptée, elle, sous le même intitulé, deux ans plus tard. Suivant l’article 2 §3 de la Déclaration,
« Des mesures spéciales et concrètes devront être prises dans des circonstances appropriées pour assurer le développement ou la protection adéquate des personnes appartenant à certains groupes raciaux en vue de garantir à ces personnes la pleine jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces mesures ne devront en aucun cas avoir pour conséquence le maintien de droits inégaux ou distincts pour différents groupes raciaux ».

On constate, du premier coup d’œil, les ressemblances conceptuelles entre la Déclaration et la Convention. On constate, toutefois, aussi nombre de dissemblances qui, globalement, ne militent pas en faveur de la Convention. Sans entrer dans les détails, on voit immédiatement que le texte de 1963 est conçu de manière bien plus simple et stylistiquement plus élégante. Point ici de jeu compliqué entre « groupes raciaux » et « individus » appartenant à ceux-ci. En lieu et place de « pour assurer comme il convient le développement », on a tout simplement « pour assurer le développement […] adéquat ». De même, à la place de « si les circonstances l’exigent », on lit « dans des circonstances appropriées », expression probablement moins contraignante que celle de 1965 et imposant par conséquent plus largement une obligation d’adoption de « mesures spéciales et concrètes ». L’obligatoriété est d’ailleurs exprimée sans ambages (« Des mesures […] devront être prises »). Lesdites mesures concerneront, au demeurant, n’importe quel domaine et non pas certains domaines énumérés, quoique, on l’a vu, pas limitativement, dans l’article 2 §2 CERD. Ce qui constitue, en tout état de cause, la grande différence entre la Déclaration et la Convention est le fait que la première ne connaît que l’hypothèse d’une discrimination positive imposée, point celle d’une discrimination positive autorisée. Cela simplifie incontestablement les choses en même temps que cela rend la Déclaration bien plus radicale que la Convention. Il est possible que, deux ans après l’adoption de la Déclaration, ceux en charge de la négociation de la Convention se sont aperçus de cette radicalité qu’ils se sont proposé d’opposer/juxtaposer à la simple autorisation d’actions nationales positives par le bais de l’article 1 §4 dont l’équivalent dans la Déclaration n’existe tout simplement pas. Mais, d’une certaine manière, cela cadre bien avec les natures juridiques différentes des deux textes. Lorsqu’on assume des obligations politiques ou morales, on se permet souvent d’être généreux, radical, révolutionnaire. C’est lorsque l’on est sur le point d’assumer des obligations juridiques et concrètes, bref des obligations, que l’on devient timoré même si la prudence retrouvée ne peut totalement effacer la radicalité d’antan.

Le caractère politique et moral des obligations prévues est également apparent dans la Déclaration de l’UNESCO de 1978 sur la race et les préjugés raciaux sans toutefois atteindre la clarté qui caractérise la Déclaration de 1963. Les bons sentiments anti-discrimination sont nombreux, essentiellement dans l’article 9 de la Déclaration de l’UNESCO, mais, juridiquement, à supposer, déjà, que cette Déclaration possède une réelle valeur juridique, ce qui est fort douteux[137], il y a des généralités fort gênantes qui en diminuent autant l’« exploitabilité » du texte par les juristes. Il n’y a aucune définition de la « discrimination raciale », terme que l’on rencontre dans l’article 9 §1, et il n’est pas certain que la considération, correcte, dans la même disposition, suivant laquelle « le principe de l’égalité en dignité et en droits de tous les êtres humains […], quelles que soient leur race, leur couleur et leur origine, est un principe généralement accepté et reconnu en droit international » serve un tant soit peu à combler cette lacune.

En revanche sont intéressantes deux dispositions que l’on pourrait qualifier d’affirmative action. L’article 9 §1 la Déclaration de 1978 parle de « mesures spéciales » lesquelles « doivent être prises en vue d’assurer l’égalité en dignité et en droits des individus et des groupes humains partout où cela est nécessaire en évitant de leur donner un caractère qui pourrait paraître discriminatoire sur le plan racial ». On est indéniablement ici sur un terrain connu et, pourtant, nombre d’observations critiques devront être formulées. Au-delà du caractère obligatoire[138] de la prise de « mesures spéciales », ce qui sonne immédiatement bizarrement est le domaine d’application de cette affirmative action : « partout où cela est nécessaire » (« wherever necessary » ; « dondequiera que ello sea necesario »). Il est difficile de se montrer plus vague. À partir de là, la Déclaration aurait pu devenir juste un vœu pieux, à mille lieues de standards juridiques élémentaires, n’eût été la seconde phrase du même article 9 §2. Selon celle-ci, « une attention particulière doit être accordée aux groupes raciaux ou ethniques socialement ou économiquement défavorisés ». Est ici formulée, en toute franchise, la justification véritable de toute politique de discrimination positive, rare à trouver en droit international aussi clairement exprimée (par peur de stigmatisation des intéressés ?). Seuls des « groupes raciaux ou ethniques » sont éligibles pour obtenir une « attention particulière ». Celle-ci intrigue doublement. Par elle-même, c’est-à-dire par son manque singulier de substance mais aussi par rapport aux non-bénéficiaires de ladite « attention » alors même que tous les « individus » et tous les « groupes humains » sont bénéficiaires des « mesures spéciales »[139]. Le fait que cette « attention » est « particulière » ne signifie, du reste, pas que les autres (qui ne sont pas forcément des groupes mais peuvent aussi être des « individus », on suppose hors groupe) ne bénéficient d’aucune « attention ». La distinction entre une « attention » de droit commun et une « attention particulière » est vouée à demeurer le grand mystère de la disposition examinée.

Au-delà, alors que les « mesures spéciales » visent à « assurer l’égalité en dignité et en droits », programme vaste et vague, l’« attention particulière »[140] vise, en premier lieu, à « assurer [aux intéressés], en pleine égalité et sans discrimination ni restriction, la protection des lois et règlements ». En vérité, on est ici bien moins dans une perspective d’affirmative action que dans une perspective d’interdiction de discriminations juridiques. Le mélange des deux situations est, d’un point de vue juridique, sociologique et politique, préoccupant mais l’« attention particulière » visera aussi à « assurer [aux intéressés] le bénéfice des mesures sociales en vigueur, notamment en matière de logement, d’emploi et de santé »[141]. L’identification de ces domaines est assurément la bienvenue après l’effroyable généralité du « partout où cela est nécessaire ». Il reste que l’on ne voit pas comment une « attention particulière » ou même, plus généralement, des « mesures spéciales » sont aussi impliquées puisque le texte parle clairement de « mesures sociales en vigueur ». Le moins que l’on puisse dire est que des « mesures spéciales » ne peuvent juste être, dans le cadre d’une affirmative action, ce qui est déjà disponible[142]. Sans oublier que si, dans la version française, l’« attention particulière » dont il est question « doit être accordée », la même « attention », dans la version anglaise, « should be paid ». Le conditionnel change virtuellement tout[143].

b) Les Conventions interaméricaines de 2013: assumer sans ambages?

En 2013, l’Organisation des États américains a adopté deux conventions jumelles portant sur une problématique proche. La première, qui sera pour l’essentiel étudiée ici, est contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance (Convention A-68) tandis que la seconde est contre toute forme de discrimination et d’intolérance (Convention A-69). Leur architecture les rapproche singulièrement ainsi que nombre de définitions portant sur la discrimination à tel point que l’on peut se demander pourquoi l’Organisation de Washington n’a pas adopté une seule convention à la place des deux[144]. Probablement, l’explication réside dans le fait qu’elle a souhaité souligner tout particulièrement l’importance de la lutte contre la discrimination raciale au lieu de banaliser celle-ci au sein d’un traité unique sur les discriminations. La définition de la « discrimination raciale » dans l’article 1 §1 de la Convention A-68 bénéficie du débat qui a pu se dérouler pendant plusieurs décennies au sujet de la définition de cette expression dans la CERD[145]. La définition de la « discrimination » dans l’article 1 §1 de la Convention A-69 est similaire sauf qu’elle ne se réfère pas aux motifs caractéristiques de la « discrimination raciale » que l’on trouve dans la définition de l’autre Convention de 2013. À la place de « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique », on trouve, en revanche, une interminable liste de motifs (vingt-cinq !)[146] pouvant fonder une « discrimination » prohibée.

Un autre trait commun, que les deux Conventions empruntent à la CERD, est le jeu autorisation/imposition de la discrimination positive. Toutes les deux utilisent par ailleurs explicitement cette terminologie (« mesures spéciales ou de discrimination positive »)[147] dans leurs articles (respectivement, article 1 §5 et article 1 §4) portant sur l’autorisation ou bien la terminologie « politiques spéciales et mesures de discrimination positive » dans leurs articles portant sur l’obligation de discriminer positivement (chaque fois, article 5). Certes, ces deux ensembles terminologiques ne sont pas identiques. Ils restent, néanmoins, très proches même si la référence à des « politiques » peut signifier une plus grande systématisation et institutionnalisation s’inscrivant aussi dans le temps long. Passer d’une autorisation à une obligation[148] de discriminer positivement ne va pas de soi ainsi que l’on a eu l’occasion de le remarquer en étudiant la CERD. Malheureusement, les difficultés d’appréhender le binôme autorisation/obligation sont présentes dans les Conventions de 2013 aussi[149].

Une première difficulté, première mais essentielle, concerne l’identification des bénéficiaires d’une affirmative action autorisée. En sont bénéficiaires « des groupes qui requièrent une telle protection ». Le verbe « requérir » souligne le caractère de nécessité de la discrimination positive mais, à part cela, il est difficile de comprendre en quoi peut consister la « protection » en question. On peut juste imaginer, en creux, qu’il doit s’agir de « groupes » qui sans la « protection » que leur vaut la discrimination positive ne sauraient jouir de (ou exercer), « dans des conditions d’égalité, […] un ou […] plusieurs droits de la personne et libertés fondamentales ». Il est difficile d’être plus vague mais, justement, cela accorde une plus grande liberté aux États parties d’adopter des « mesures spéciales ». Ce qui est surprenant est, néanmoins, le fait que ces « mesures », dit le texte, « ne sont pas réputées constituer une discrimination raciale ». Cette surprise signifie, au fond, que les groupes bénéficiaires sont eux-mêmes des « groupes raciaux ». Probablement, le texte aurait gagné en le disant clairement.

L’article 5, qui porte sur la discrimination positive obligatoire, semble, à première vue, plus clair s’agissant des bénéficiaires de telles politiques. Il s’agit « des personnes ou groupes sujets au racisme, à la discrimination raciale et aux formes connexes d’intolérance ». Cet article définitif embrasse, à l’évidence, la totalité des personnes et groupes qui possèdent les caractéristiques décrites, ce qui veut dire qu’un État partie ne peut distinguer à l’intérieur de cette masse de personnes et groupes ceux qu’il fera accéder aux avantages de sa politique de discrimination positive. On doit distinguer entre avantagés et désavantagés, mais point entre désavantagés. L’intention semble louable et limitative d’éventuels arbitraires sauf lorsqu’on prend en considération les trois autres versions faisant foi. Chaque fois, l’article définitif cher à la version française est absent[150], ce qui signifie qu’un État partie, sur la base des autres versions, peut, implicitement, désavantager un désavantagé par rapport à ses compagnons d’infortune, tout simplement en lui accordant moins d’avantages qu’aux autres. Sinon, les personnes et les groupes concernés sont ceux sujets aux fléaux que la Convention A-68 cherche à combattre, à savoir la « discrimination raciale », le « racisme » et[151] les « formes connexes d’intolérance ». La « discrimination raciale » est définie avec un certain luxe de détails qui font inclure dans la notion des concepts comme la « discrimination raciale indirecte » 
ou encore la « discrimination multiple ou aggravée ». Si l’« intolérance » est – tant bien que mal – définie[152], on voit, en revanche, beaucoup moins bien en quoi peut consister une « forme connexe d’intolérance » les victimes de laquelle doivent avoir droit à une discrimination positive. Des interrogations analogues peuvent être soulevées s’agissant de la définition du « racisme », fléau défini comme « toute théorie, doctrine, idéologie ou ensemble d’idées qui affirment l’existence d’un lien de causalité entre les caractéristiques phénotypiques ou génotypiques d’individus ou de groupes et leurs caractéristiques intellectuelles et culturelles ainsi que leurs traits de personnalité, y compris le concept faux de supériorité raciale » (article 1 §4, al. 1). Il n’est sûrement pas facile de définir juridiquement le « racisme » et cette définition est loin de démériter. Le problème est, toutefois, que l’on voit mal, d’un pur point de vue juridique, comment on doit faire bénéficier d’avantages concrets quelqu’un, dans le cadre d’une politique de discrimination positive, si celui-ci est victime d’une « théorie » ou d’une « doctrine ». Le problème n’est pas la « doctrine », si détestable soit-elle, mais les éventuelles conséquences qui peuvent faire qu’une personne ou un groupe soient désavantagés. Ces conséquences seront communément qualifiées de « discrimination raciale » tant et si bien que la présence du « racisme » dans l’article 5 est largement inutile, voire même nuisible à la bonne appréhension des groupes à protéger. Par ailleurs, la distinction entre « groupes » et « personnes » est, tout comme dans la CERD, difficile à expliquer. Si une « personne » est victime d’une « discrimination raciale », c’est parce qu’elle appartient à un « groupe racial » discriminé. Extraire du groupe des personnes individuelles n’a, ici, pas beaucoup de sens.

La comparaison de la raison d’être des mesures de discrimination positive autorisée et de celles de discrimination positive imposée est par ailleurs indispensable pour mieux comprendre leurs différences. Les premières visent à « garantir la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, d’un ou de plusieurs droits de la personne et libertés fondamentales ». Les secondes sont conçues « pour garantir la jouissance ou l’exercice des droits et libertés fondamentales ». À première vue, il n’y a aucune différence. Toutefois, ajoute l’article 5, les mesures d’affirmative action imposée ont aussi un but, celui « de promouvoir des conditions équitables pour l’égalité des chances, l’inclusion et l’avancement de ces personnes ou groupes ». On ne s’attardera pas sur ces notions qui ont déjà été étudiées dans le cadre de l’analyse de la CERD. Ce qui est intéressant, en revanche, perspective qui est moins clairement exprimée dans la CERD, est que « la jouissance ou l’exercice des droits et libertés fondamentales » n’est, dans la logique de l’article 5, que – presque – un épiphénomène secondaire par rapport au vrai but, celui de faire en sorte que, grâce à l’égalité des chances » ou à l’ « avancement », ladite « jouissance » et ledit « exercice » des droits de l’homme deviendra automatique ne nécessitant plus les béquilles d’une quelconque affirmative action.

Quant aux conditions de terminaison de validité des politiques et mesures de discrimination positive, les solutions de la Convention A-68 sont assez classiques même si elles sont exprimées avec une plus grande clarté en comparaison d’autres instruments. Ainsi, les « mesures » autorisées par l’article 1 §4 le sont « à condition [qu’elles] n’aboutissent pas au maintien de droits distincts pour différents groupes et qu’elles ne soient pas prorogées une fois leurs objectifs atteints ». En revanche, l’article 5 comporte un trait d’originalité dans la mesure où une affirmative action imposée « ne saurai[t] aboutir au maintien de droits distincts pour différents groupes et ne saurai[t] être prorogée au-delà d’une période raisonnable ou après la réalisation de cet objectif ». Ce qui attire l’attention est bien sûr le fait que sa sortie de validité peut advenir à deux moments différents. En d’autres termes, elle peut cesser au moment où ses objectifs, à savoir la création d’une égalité des chances ou d’un avancement du groupe désavantagé, sont remplis. Toutefois, on a déjà vu, en étudiant d’autres instruments, que ces termes peuvent être interprétés de différentes manières tandis que le moment où un groupe bénéficiaire aura acquis un « avancement » (« progress », « progreso » et « progresso », dans les autres versions) ne saura jamais être déterminé de manière précise. Reste donc l’alternative, celle d’une validité pendant une « période raisonnable ». La raisonnabilité est à peine moins facile à déterminer que le progrès. En l’admettant, on signifie, néanmoins, qu’une politique de discrimination positive peut cesser de produire ses effets et répandre ses avantages même si elle n’a pas atteint ses objectifs. Au fond, on signifie aux désavantagés qu’ils n’ont pas su saisir leur chance. L’idée est assez paternaliste et condescendante. Toutefois, aider à « avancer » l’est-il moins ?[153]

B. Les ambiguïtés d’une discrimination positive obligatoire dans divers autres traités internationaux

On répétera que, si l’on excepte les conventions interaméricaines de 2013, le cas de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est unique puisque, en elle-même, est contenue à la fois une autorisation de mesures d’affirmative action et une obligation d’en instaurer, avec, il est vrai, une possible différenciation entre ces deux branches de l’apparent paradoxe suivant leur domaine d’application matérielle ; sauf que la différence entre les deux domaines d’application matérielle n’est pas très claire. D’autres conventions échappent à ce déchirement logique de manière fort simple. Soit elles se bornent à justifier, sous certaines conditions, des « mesures spéciales », soit, inversement, elles obligent les États parties, dans des conditions, logiquement, davantage strictes, à en adopter. Toutefois, cette impeccable logique ne se rencontre pas toujours dans toute sa rigueur. De la Charte arabe des droits de l’homme (a) à des conventions sur les droits des femmes (c), en passant par la Convention sur les personnes handicapées (b), le droit international semble souvent hésiter.

a) À l’ombre des lois divines: discrimination positive et Charte arabe des droits de l’homme

Des dissensions internes au sein des conférences d’adoption des textes pertinents conduisent parfois à des compromis politiques dont la traduction juridique fait que des interprétations divergentes peuvent également trouver des appuis textuels. En complément, des maladresses (voulues, le cas échéant ?) ajouteront à l’incertitude de certaines solutions. Un exemple, à cet égard, constitue la Charte arabe des droits de l’homme de 2004. Dans son article 3, litt. a, elle impose une, à première vue, assez classique interdiction de discrimination par rapport à la jouissance des droits et libertés que la Charte consacre. Pour qu’elle puisse être interdite, une discrimination doit pouvoir s’appuyer sur une impressionnante série de motifs (quatorze !), entre autres la race, la couleur, la croyance religieuse, l’origine nationale, voire le handicap physique ou mental. En contrepartie, cette liste est une liste exhaustive[154], ce qui tranche sur le modèle de bien d’autres instruments, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l’homme[155]. Ainsi, par exemple, si une discrimination fondée sur le sexe est prohibée, une discrimination fondée sur les préférences sexuelles risque de ne pas pouvoir l’être aussi. Ce qui retient l’attention est, néanmoins, le fait que la Charte arabe de 2004 semble imposer une dose de discrimination positive sans, au préalable, justifier des mesures de discrimination positive qu’un État partie prendrait de sa propre initiative.

Passer, ainsi, immédiatement à la vitesse supérieure est original en comparaison de la CERD, d’autant plus que la Charte arabe a été, jusqu’à l’adoption des deux conventions interaméricaines en 2013, le seul instrument à nommer « discrimination positive » l’ensemble de ces mesures compensatrices. La Charte se réfère à deux reprises à la discrimination positive en des termes à la fois proches et différents. Tout d’abord, on lit dans son article 3, litt. b, que:
« Les États parties à la présente Charte prennent les mesures requises pour garantir l’égalité effective dans l’exercice de tous les droits et de toutes les libertés consacrés par la présente Charte, de façon à assurer une protection contre toutes les formes de discrimination fondées sur l’un quelconque des motifs mentionnés au paragraphe précédent »[156].

Prendre, dans l’objectif de lutter contre des discriminations, « les mesures requises pour garantir l’égalité effective » est un signe caractéristique de toute affirmative action. On trouve le caractère de nécessité (« requises ») qui conditionne traditionnellement la « légalité » de ce type de mesures de même que l’on voit apparaître clairement la distinction, intrinsèque à la philosophie de l’affirmative action, entre « égalité effective » et égalité tout court, c’est-à-dire égalité abstraite, juridique, formelle. Dans ce dernier domaine, la Charte arabe va d’ailleurs très loin lorsqu’elle énonce que ce sont précisément ces « mesures » qui visent « à assurer une protection contre toutes les formes de discrimination fondées sur l’un quelconque des motifs mentionnés au paragraphe précédent ». Bref, une lutte anti-discrimination sans mesures de discrimination positive serait, pour la Charte, inconcevable. Le concept, surtout lorsqu’il est si clairement énoncé, est proprement révolutionnaire et fait que, a priori, la Charte arabe[157] puisse occuper d’emblée une place de choix parmi les instruments de protection des droits de l’homme, abstraction faite de nombre de points faibles dont l’absence réelle de tout mécanisme de surveillance internationale n’est, bien évidemment, pas le moindre[158]. Est-il si sûr, néanmoins, que la Charte va jusque là ?

Ce qui gêne est le fait que deux autres caractéristiques de la doctrine de la discrimination positive ne se retrouvent point dans l’article 3, litt. b. Il s’agit, d’abord, du fait qu’aucune condition ratione temporis n’est fixée, même de manière approximative. Or, prolonger éternellement un ensemble de mesures de discrimination compensatrice (une absence de délai est une possible définition de l’éternité) n’est, primo, pas très sérieux, secundo, fait douter de la volonté d’imposer une réelle politique de discrimination positive, et, tertio, fait apparaître, dans le meilleur des cas, un profond pessimisme, à savoir que des mesures compensatrices ne réussiront jamais à compenser, d’où la nécessité de les maintenir en vigueur pour toujours[159]. Or, un politicien adepte de l’affirmative action se doit d’être optimiste. L’affirmative action n’est pas (qu’) une philanthropie, laquelle, quelles qu’en soient les vertus et la nécessité, aboutit toujours à maintenir des inégalités criantes. La philanthropie pourra se perpétuer parce qu’elle n’entend pas éliminer les inégalités mais juste en atténuer les effets. Inversement, le rêve de toute affirmative action est de pouvoir disparaître, son objectif atteint.

L’autre doute que fait naître l’article 3, litt. b, de la Charte arabe de 2004 quant à la sincérité de ses rédacteurs au sujet d’une affirmative action rendue obligatoire a trait à l’absence de groupes bénéficiaires. Or, si tout le monde bénéficie d’une discrimination positive, c’est que personne n’en bénéficie. La discrimination positive est ce qu’elle est : discriminante. Et la disposition examinée de la Charte arabe s’avère totalement incapable, à supposer que tel fût l’objectif de ses promoteurs, de discriminer entre groupes de personnes. Sa fortune pourrait, néanmoins, être meilleure s’agissant du second cas où elle s’aventure dans le domaine délicat de la « discrimination positive » (« الإيجابي لتمييز » [altamyiz al’iijabiu]). C’est d’ailleurs ici que cette terminologie apparaît expressis verbis.

En effet, suivant l’article 3, litt. c, première phrase, de la Charte,
« l’homme et la femme sont égaux sur le plan de la dignité humaine, des droits et des devoirs dans le cadre de la discrimination positive instituée au profit de la femme par la charia islamique et les autres lois divines et par les législations et les instruments internationaux ».

On ne s’attardera guère sur les références de cette disposition au concept de la dignité ou à celui de l’égalité[160] ou même à celui, plus original des « devoirs », concept toujours perturbant dans un contexte de protection de droits humains[161]. L’attention sera, en revanche, retenue, à juste titre, par le concept de « discrimination positive » par rapport, spécifiquement, aux relations homme/femme. Les rédacteurs de la Charte situent d’emblée le débat de l’égalité entre les deux sexes dans le cadre de cette inégalité compensatrice. Ils n’ont sûrement pas tort et, ce faisant, ils suivent la ligne claire de la Convention des Nations Unies de 1979 mais, contrairement à cette dernière, ils ne s’abstiennent point d’énoncer explicitement que les compensations devront œuvrer en faveur des – seules – femmes. Ce qui est remarquable est, en tout cas, l’adoption, sur ce point, d’une position que l’on pourrait qualifier de passive. La Charte arabe ne ferait, en d’autres termes, que constater un fait, à savoir que, en dehors de mesures de discrimination positive, il ne peut y avoir égalité ni dignité pour les femmes.

Cette constatation obéit à un a priori politique et anthropologique enraciné dans des sociétés patriarcales et plus ou moins corroboré par la réalité mais, en même temps, il semble y avoir une seconde constatation, à savoir que le cadre de la discrimination positive existe d’ores et déjà et que, en principe, il s’avère suffisant. Au point de vue de la grammaire, cela résulte, en grande partie, du fait de l’utilisation du participe passé « instituée »[162]. « Instituée » par qui ? C’est le texte même qui donne la réponse : c’est la charia islamique qui est censée jouer le premier des rôles en la matière (ce n’est pas un hasard si elle est mentionnée la première). La charia, citée ici pour l’unique fois dans toute la Charte[163], est secondée, dans la disposition examinée, par « les autres lois divines », que l’on aurait du mal à identifier clairement même si l’on peut raisonnablement supposer qu’il s’agit d’autres lois religieuses, principalement celles auxquelles semble faire référence le deuxième considérant du préambule de la Charte (« Afin de concrétiser les principes éternels de fraternité, d’égalité et de tolérance entre les êtres humains consacrés par l’Islam et les autres religions révélées »)[164]. Tout aussi intéressante est la référence aux « législations et […] instruments internationaux » et c’est cette dernière référence qui doit être vue de plus près. Si ce sont les législations nationales qui assurent la discrimination positive, sans laquelle il ne peut exister de dignité ou d’égalité pour la femme, alors il n’est pas possible qu’un État revienne sur une telle législation. En quelque sorte, la situation est gelée par l’article 3, litt. c, première phrase, de la Charte au profit, plus particulièrement, du statu quo. À cela contribue aussi l’article 43 de la Charte aux termes duquel « aucune disposition de la présente Charte ne sera interprétée de façon à porter atteinte aux droits et aux libertés protégés par les lois internes des États parties ou énoncés dans les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’Homme que les États parties ont adoptés ou ratifiés, y compris les droits de la femme, de l’enfant et des personnes appartenant à des minorités »[165]. Il va de soi que le premier instrument international qui vient à l’esprit est la Convention des Nations Unies de 1979. Sauf que, à première vue (mais l’on reviendra sur cette question), cette Convention ne semble pas imposer aux États parties une obligation d’adopter des mesures de discrimination positive tout en les autorisant à en prendre sous certaines conditions. En revanche, la Charte arabe, comme on l’a vu aussi précédemment, n’impose aucunement de conditions pouvant justifier des mesures de discrimination positive, surtout pas de conditions ratione temporis, à moins qu’elle ne le fasse implicitement par son renvoi tacite à la Convention de 1979.

On n’examinera pas l’affirmation de la disposition analysée suivant laquelle les lois divines accordent une discrimination positive en faveur de la femme. Un tel examen est virtuellement impossible[166]. On se bornera à rappeler que des réserves ou déclarations à nombre de dispositions de la Convention sur les femmes formulées par plusieurs États à majorité musulmane[167] ont suscité une controverse, notamment dans le monde occidental, comme il est attesté par un nombre élevé d’objections[168] à de telles réserves ou encore par une doctrine abondante et dubitative[169]. Et la question est de savoir si la référence aux « instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’Homme que les États parties ont adoptés ou ratifiés » vise réellement ces instruments ou bien ces instruments altérés par les réserves dont il est question.

Quoi qu’il en soit, une question demeure : si aucune dignité et égalité de la femme ne peuvent être assurées en dehors d’un cadre de discrimination positive assuré par les lois divines et humaines mentionnées, peut-on concevoir qu’un État accède à la Charte sans assurer une telle discrimination compensatrice ? La question doit être étudiée en tenant compte de la seconde phrase de l’article 3, litt. c, de la Charte qui énonce que, « en conséquence, chaque État partie à la présente Charte s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la parité des chances et l’égalité effective entre l’homme et la femme dans l’exercice de tous les droits énoncés dans la présente Charte ». L’expression « discrimination positive » n’est pas reconduite dans cette phrase mais il appert du contexte que c’est bien d’elle dont il est question. Des mots tels que « mesures nécessaires », « parité des chances », « égalité effective » ne trompent point. Toutefois, indépendamment de l’absence de toute condition régissant ces « mesures », notamment quant à la terminaison de leur validité[170], l’apport de la seconde phrase à la première est loin d’être clair. Tout d’abord, on observera que la relation entre les deux phrases est forte ainsi que le démontre l’expression « en conséquence »[171]. Grammaticalement, cette expression relie étroitement ce qui suit à ce qui précède et montre, plus particulièrement, la marche à suivre pour que les objectifs qui précèdent puissent être réalisés. Or, le problème est que ce qui précède, bref la première phrase, ne pose aucun objectif mais se contente, au contraire, d’affirmer un état des lieux. Puis, que pourrait-on faire de plus que les lois divines en la matière ? À supposer que la Charte arabe ne soit pas irrévérencieuse, ce dont on s’en doute sans difficulté, il n’y aurait plus que des questions de détail à régler au niveau des législations nationales puisque, de toute façon, l’essentiel est fait. À en croire l’article 3, litt. c, déjà depuis treize siècles. Même ainsi, à la marge, la Charte demeure pourtant un des rares textes internationaux à pousser, voire à obliger, les États parties à entamer une politique de discrimination positive du moins en ce qui concerne les rapports entre les sexes[172]. Cela malgré les quelques maladresses rédactionnelles signalées.

b) Une discrimination positive obligatoire en faveur des personnes handicapées?

Un autre traité international obligeant les États parties à adopter des mesures de discrimination positive semble être la Convention sur les personnes handicapées de 2006. Pourtant, on a déjà vu que cette Convention accepte, dans un premier temps, de ne point considérer comme relevant d’une discrimination interdite des mesures de discrimination positive éventuellement adoptées par les États parties. Si, en plus, elle oblige à adopter de telles mesures elle serait, à l’égal de la CERD, un traité jouant, non sans certaines contradictions, sur les deux tableaux, la tolérance et l’obligation. La réalité est plus complexe. Selon son article 5 §3, « afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés ».

Il ne fait aucun doute que cette disposition impose une obligation ainsi que le présent indicatif (ils « prennent ») le montre. Toutefois, c’est le contenu même de cette obligation qui fait que la Convention de 2006 échappe à la cruelle contradiction « autorisation ou obligation » qui caractérise la Convention sur la discrimination raciale. En effet, l’obligation de discrimination positive que l’on évoque est matériellement limitée tout en étant cruciale pour ses bénéficiaires. Il s’agit pour les États parties de « faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés ». Cette dernière expression[173] est définie dans l’article 2, al. 4, de la Convention comme « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ».

On observera que, tout comme dans l’article 5 §4 de cette Convention, il n’y, en la matière, aucune limite dans le temps. Ceci n’est pas gênant dans la mesure où, malheureusement, de telles mesures ne seront jamais à même de placer les personnes handicapées sur un absolu pied d’égalité matériel avec les personnes ne souffrant pas d’un handicap. Sauf miracle de la médecine, le handicap caractérisera toujours une personne handicapée et des « aménagements raisonnables » seront toujours nécessaires afin que les bénéficiaires puissent exercer parfois même des droits humains élémentaires. Malgré cette particularité, on peut, néanmoins, se demander s’il s’agit là d’une vraie mesure de discrimination positive. À partir du moment où le handicap contre lequel est censé lutter un « aménagement raisonnable » est à la fois permanent et intrinsèque, on s’éloigne de la philosophie générale de l’affirmative action suivant laquelle il y a toujours l’espoir que celle-ci puisse, à terme, éliminer une inégalité de fait[174].

C’est pourtant la Convention elle-même qui se charge de la réponse à cette difficulté puisque, après avoir fourni une définition plus ou moins classique de la discrimination, plus particulièrement, ici, de la « discrimination fondée sur le handicap », son article 2, al. 3, ajoute que « la discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ». Bref, ce n’est pas que l’adoption d’« aménagements raisonnables » constitue une mesure de discrimination positive ; c’est le refus d’en adopter qui est constitutif d’une discrimination tout court[175]. Le jeu, toujours subtil, entre discrimination positive et discrimination « ordinaire » prend ici des dimensions et une originalité que l’on ne rencontre pas ailleurs si, toutefois, l’on insiste à considérer que l’adoption des « aménagements raisonnables » est une forme de discrimination positive.

Il a été, toutefois, observé que, si le refus d’« aménagements raisonnables » forme une « discrimination fondée sur le handicap », comme l’article 2, al. 3, le dit, l’adoption de tels « aménagements » saurait difficilement être vue comme une discrimination positive tout simplement parce que l’interdiction des discriminations en général est un classique droit civil et politique. Comme la grande majorité des droits de cette « génération », elle n’a pas, en principe, besoin de mesures positives pour s’affirmer (et encore moins de mesures de discrimination positive). En d’autres termes, « the principle of progressive realization does not apply »[176] à une interdiction de discriminer. L’idée est séduisante mais elle se heurte malheureusement à la dure réalité. Alors que, en règle générale, les droits civils et politiques à effet immédiat imposent des obligations de ne pas faire, il est évident que l’adoption d’« aménagements raisonnables » au profit des personnes handicapées impose une obligation de faire. Et en cela elle se rapproche typiquement des droits sociaux.

Ce rapprochement prend, au demeurant, une forme assez explicite puisque lesdits « aménagements », outre qu’ils sont « nécessaires » et adaptés à chaque situation particulière, « n’impos[e]nt pas de charge disproportionnée ou indue ». Cette référence aux finances publiques[177] n’est pas sans rappeler une clause traditionnelle dans des instruments sur les droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, par exemple, selon l’article 2 §1 du Pacte des Nations Unies portant sur ces droits, un État partie « s’engage à agir […] en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte » « au maximum de ses ressources disponibles »[178]. Implicitement, il y a, dans le Pacte comme dans la Convention sur les personnes handicapées, une limitation de l’effort à accomplir puisque les « ressources disponibles » ne sont jamais illimitées[179]. Toutefois, il s’agit, dans le Pacte, d’utiliser, à cette fin, le « maximum » de ces ressources. C’est cet effort maximal qui fait défaut dans la Convention de 2006[180] puisque, se situant – forcément – dans le cadre des ressources disponibles, on introduit, au surplus, la notion de « charge disproportionnée ou indue »[181]. Et si l’on peut comprendre (ou admettre) la notion de « charge disproportionnée », celle de « charge indue » demeure mystérieuse à plus d’un titre. « Indue » par rapport à quoi ? On ne peut avoir un droit et, en même temps, entendre que ce droit est, dans nombre de circonstances, non dû[182]. Or, il paraît que cette « réserve » du rédacteur de la Convention est utilisée largement par un grand nombre d’États parties[183]. On ajoutera que c’est déjà l’épithète « raisonnable » qui peut paraître suspecte dans un hypothétique cadre de droits civils et politiques[184]. « Raisonnable » pourrait aussi être rapproché de la « charge disproportionnée ». Cette épithète pourrait même éclairer et justifier cette réserve dans la définition même des « aménagements »[185], le tout sans oublier la présence de l’article indéfini dans la phrase « les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés » tout comme on se réfère dans la définition de la « discrimination fondée sur le handicap » au « refus d’aménagement raisonnable »[186], tout cela laissant une marge d’appréciation non négligeable aux États parties. Le fait qu’ils « prennent toutes les mesures appropriées » peut difficilement contrebalancer cette marge importante[187].

On peut conclure en disant que, à supposer que la Convention de 2006 impose une discrimination positive[188], en dépit de la lettre de l’article 5, al. 4, celle-ci est bien particulière et se réfère uniquement aux « aménagements raisonnables » alors que la discrimination positive autorisée de l’article 2, al. 3, peut couvrir n’importe quel autre domaine. Au fond donc, en dépit de certaines maladresses, ce traité ne comporte pas de contradiction interne criante entre autorisation et obligation comme cela pourrait, en revanche, être reproché à la Convention sur la discrimination raciale et, dans une moindre mesure, aux deux Conventions interaméricaines sur la discrimination de 2013, puisque les domaines couverts par l’obligation et l’autorisation sont assez clairement différenciés.

c) Une discrimination positive obligatoire en faveur des femmes? Entre incertitudes universelles et quasi-certitudes africaines

Il restera à parler, à nouveau, de la Convention sur les femmes de 1979. Si celle-ci se montre a priori adepte de la seule autorisation de mesures de discrimination positive, certaines prises de position du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes peuvent (légèrement ?) semer le doute.

La position de ce Comité est essentiellement exposée dans sa recommandation générale n° 25 portant sur l’article 4 §1 de la Convention de 1979. On y trouve une volonté affichée d’imposer aux États parties des obligations de discriminer positivement ou, selon la phraséologie à la fois de l’article 4 §1 et de la recommandation générale, d’adopter des « mesures temporaires spéciales visant à accélérer la réalisation d’un objectif concret ». La difficulté est que, très clairement, la Convention, notamment son article 4 §1, ne va pas jusque-là et se borne à accepter, tolérer ou excuser des mesures prises volontairement par les États en ce sens. Transformer une autorisation en obligation est ni plus ni moins une tentative de réécrire la Convention. Conscients de ce risque, les auteurs de la recommandation générale n° 25 cherchent à s’appuyer sur la Convention même quoique, pour des raisons évidentes, pas tellement sur son article 4 §1 dont le texte est assez clair[189]. L’interprétation à laquelle se livre le Comité se base sur l’idée que « la Convention est un instrument évolutif » (point 3) et qu’il faut pouvoir l’interpréter à la lumière de son objectif et de son but général (point 4) qui, manifestement, n’est autre que celui « d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » (point 14). Ajouter, toutefois, immédiatement après ce dernier membre de phrase les mots « notamment les causes et les conséquences de leur inégalité de facto ou réelle » est, probablement, aller praeter legem. Ajouter ensuite que « les mesures temporaires spéciales envisagées dans la Convention sont un moyen d’instaurer l’égalité de facto ou réelle » est sans doute correct mais l’on retombe dans une interprétation « idéologique » avec l’affirmation que l’adoption de telles mesures ne constitue pas « une exception aux règles de la non-discrimination et de l’égalité » (point 14). Le fait que, selon le Comité lui-même, la prise de telles mesures ne peut être la règle (or, communément, ce qui n’est pas la règle est une exception à la règle…) résulte de l’affirmation de la recommandation générale que les mesures « temporaires » ne « doivent pas être considérées comme nécessaires à tout jamais » (point 20)[190]. Au-delà de cette tautologie, la recommandation générale s’attelle aussi à expliquer que les mesures sont qualifiées de « spéciales » non pas parce qu’elles sont dérogatoires au principe d’égalité mais parce qu’elles « sont prises aux fins de la réalisation d’un objectif particulier » (point 21)[191]. En vérité, on peut rarement voir des mesures dérogatoires qui ne viseraient pas un objectif particulier. En conclusion, la recommandation générale n° 25 indique que « les États parties devraient expliquer pourquoi, le cas échéant, ils n’ont pas adopté de mesures temporaires spéciales », notamment dans les rapports qu’ils soumettent périodiquement au Comité. Or, le seul fait que le conditionnel est utilisé ici signifie une certaine absence de conviction profonde du Comité quant à l’interprétation de l’article 4 §1 qu’il suggère. En même temps, sauf erreur, nulle part la recommandation générale n’envisage qu’une obligation de discrimination positive soit imposée tout court par la Convention. Tourner autour de cette idée est un aveu que l’idée n’est pas encore imposée en même temps que cela constitue une préparation psychologique pour d’évolutions futures.

Au-delà des ambiguïtés de la Convention de 1979 sur les femmes, (ré)interprétée par la recommandation générale analysée, force est de s’arrêter brièvement sur un traité régional concernant les droits du « deuxième sexe ». Le Protocole de Maputo de 2003 relatif aux droits des femmes, déjà mentionné[192], semble bien instituer une obligation de discrimination positive en ce que les États parties « s’engagent à […] prendre des mesures correctives et positives dans les domaines où des discriminations de droit et de fait à l’égard des femmes continuent d’exister » (article 2 §1, litt. d). Il est certain que, affectée d’une certaine généralité, cette phrase n’attire pas immédiatement l’attention mais, si l’on se penche de plus près sur ce texte, on découvre certains éléments bien connus des politiques de discrimination positive. Déjà l’épithète « positives » en dit long tout comme celui de « correctives » qui, manifestement, visent à modifier la situation des femmes là où celles-ci souffrent de désavantages[193]. Si ces derniers sont de nature purement juridique (« de droit », dit le texte), tenter de les éliminer ne relèvera sûrement pas d’une discrimination positive mais d’une lutte ordinaire contre des discriminations négatives. Lorsque, en revanche, le même texte fait mention de « discriminations […] de fait », on semble être plus proche d’une problématique d’affirmative action. Le fait que les deux sortes de discriminations, celles « de droit » (« in law », « na lei ») et celles « de fait » (« in fact », « de facto ») sont allégrement mélangées est sans doute gênant et contribue à diminuer l’impact du texte en ce qui concerne l’affirmative action. Il n’empêche, la prise en considération de l’élément ratione temporis est la bien venue puisque, on l’a déjà dit, on ne peut concevoir de mesures de discrimination positive ad vitam aeternam. Certes, cette prise en considération est timide mais elle existe puisque les « mesures correctives et positives » sont à prendre là où les « discriminations […] de fait à l’égard des femmes continuent d’exister ». Implicitement, ce membre de phrase signifie que, lorsque lesdites « discriminations […] de fait » cessent d’exister, leur ratio disparaît aussitôt et quelqu’un (on suppose les autorités nationales compétentes[194]) devra les sortir de vigueur.

Par ailleurs, l’article 2 §1, litt. d, du Protocole de Maputo prend sûrement fait et cause en faveur d’une obligation de discrimination positive dans les conditions que l’on vient de voir. L’indicatif du présent dans l’expression « les États […] s’engagent à prendre des mesures correctives et positives » milite en ce sens. Toutefois, à y regarder de plus près, cette obligation n’est pas aussi directe que si elle était formulée « les États […] prennent des mesures correctives et positives ». La médiatisation de l’obligation qu’implique le verbe « s’engager à » diminue quelque peu la force de l’obligation[195]. Cela mais aussi les autres remarques formulées auparavant peuvent mener à la conclusion suivante. Les États membres de l’Union africaine hésitent à imposer sans ambages une obligation d’affirmative action généralisée, ce qui dévoile probablement des dissensions internes sur ce point – éternellement – délicat. D’où aussi certaines dispositions spécifiques du Protocole de Maputo qui imposent une telle obligation dans des domaines déterminés comme, par exemple, dans le domaine de la parité dans les processus électoraux[196]. En fait, si une affirmative action est imposée de manière générale, comment apprécier le fait qu’une affirmative action est imposée dans des domaines spécifiques aussi ? En principe, on distingue le spécifique par rapport au général lorsque le premier cherche à contrarier le second. Pas lorsqu’il se conforme à lui.

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« Politique de rattrapage entre groupes inégaux »[197], la discrimination positive gagne du terrain en droit international alors que, pendant longtemps, elle fut cantonnée dans la seule CERD, une Convention dont le texte est parfois contradictoire, presque toujours ambigu, souvent maladroit. Il est vrai que nombre de conventions, universelles ou régionales, qui lui ont succédé, sans aucunement la remplacer, contiennent des formules revues et corrigées. C’est, en grande partie, le cas de conventions thématiques sur les droits de l’homme. L’observation est presque tautologique. Ce sont de telles conventions dont le nombre a pu monter prodigieusement durant les années 1990 et 2000 (les choses se sont calmées un peu depuis) qui se sentent plutôt à l’aise avec la discrimination positive à tel point que, assez souvent, ce sont leurs dispositions y portant qui constituent une des principales innovations de ces textes, innovations qui justifient, parfois, presque leur existence elle-même. En revanche, les conventions « généralistes » se gardent, à l’instar de la Convention européenne des droits de l’homme, à bonne distance de cette discrimination compensatrice[198]. Si elles pouvaient être interprétées comme contraires à l’idée de la discrimination positive, un nouveau champ de rivalité pourrait s’ouvrir entre textes s’en tenant à une idée convenue et quelque peu désincarnée de l’égalité et textes, certes un peu moins prestigieux (mais pas forcément moins ratifiés), qui, pour paraphraser un philosophe, ne se contenteraient plus d’interpréter le monde mais viseraient à le transformer[199].

 

 

 

Auteurs

Syméon Karagiannis, Professeur à l'Université de Strasbourg.

Pour citer cet article

Syméon Karagiannis, « La discrimination positive dans certaines conventions internationales de protection des droits de l’homme », Europe des Droits & Libertés/Europe of Rights & Liberties, mars 2022/1, n° 5, pp. 41-97.

« Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination ».

On ne doit pas oublier que, hormis quelques conventions – très – thématiques, le premier traité international à placer une telle emphase sur la « jouissance » des droits de l’homme et à condamner certaines distinctions fut la Charte des Nations Unies, le Pacte de la Société des Nations ayant été singulièrement plus abstrait, timide, presque embarrassé en la matière (cf. S. Karagiannis, « À propos des droits de l’homme dans la Charte des Nations Unies », Journal du droit international [Clunet], 2018, pp. 733-800, spéc. p. 742 et s).

Articles 1 §3 ; 13 §1, litt. b ; 55, litt. c ; 77, litt. c.

À peine plus soucieuse d’équilibre, la version anglaise du même Pacte utilise six fois « discrimination » et deux « distinction ». Le score est identique dans la version espagnole mais la proportion sept contre un revient dans la version russe (au profit donc de « дискриминация » et aux dépens de « различие »). Ce sont ces quatre versions linguistiques qui seront étudiées tout au long de la présente étude lorsqu’il s’agira de conventions onusiennes.

Pour Marc Bossuyt, la « discrimination » est perçue comme « un traitement distinctif injustifié et la préférence est accordée, même en anglais, aux vocables ‘‘neutres’’ tels que ‘‘distinction’’ ou ‘‘différenciation’’, quand on veut éviter la coloration péjorative du terme de discrimination » (L’interdiction de la discrimination dans le droit international des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1976, p. 26).

Dorénavant CEDAW ou bien « Convention sur les femmes » ou encore « Convention de 1979 ».

À noter qu’il est impossible d’étudier dans le cadre de la présente étude la pratique, y compris jurisprudentielle, de l’Union européenne dans le domaine de la discrimination, y compris dans celui de la discrimination positive concernant surtout les deux sexes. Sur « l’interprétation européenne des traitements préférentiels », tant à Luxembourg qu’à Strasbourg, voir les excellents développements de Manuela Brillat, Le principe de non-discrimination à l’épreuve des rapports entre les droits européens, Paris, Institut universitaire Varenne, 2015, p. 96 et s.

Dorénavant CERD ou « Convention de 1965 » ou « Convention sur la discrimination raciale ».

Sans parler de certaines conventions régionales.

Elle bénéficie, en mars 2022, de 182 ratifications nationales contre 173 pour le Pacte civil et politique de 1966 et autant pour la Convention de 1984 contre la torture mais juste 24 pour la Convention de l’OIT de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux, une Convention qui porte sur un objet dont la Convention sur la discrimination raciale pourrait largement traiter. Seules la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006 (184 ratifications), celle sur les femmes (189) et celle sur les droits de l’enfant (196) la dépassent en termes de popularité planétaire.

Ainsi qu’on l’a vu, la Charte des Nations Unies ne prohibe la « distinction » que sur la base de quatre motifs. Un de ces motifs est, justement, la « race ». Tout en élargissant la liste des motifs à dix et tout en rendant cette liste non exhaustive, l’article 2 §1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme mentionne toujours le motif de la « race ». Il le mentionne d’ailleurs à la première place, ce qui, symboliquement, n’est pas innocent d’autant plus que la race occupe la première place aussi dans la liste équivalente que dresse chacun des deux Pactes, ou encore la Convention américaine des droits de l’homme (articles 1 §1 et 27 §1), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 2) et la Charte arabe des droits de l’homme de 2004 (articles 3, litt. a et 34, litt. a) ; mais pas la Convention européenne des droits de l’homme qui, dans son célèbre article 14, met en tête de la liste des discriminations prohibées celle fondée sur le « sexe ».

On part de l’hypothèse, quoique parfois contestée, que la Déclaration universelle des droits de l’homme ne constitue qu’un non binding agreement. De même, il est toujours discutable de savoir si les quelques droits de l’homme, souvent tournant autour de l’idée d’égalité/non-distinction, que l’on trouve dans la Charte des Nations Unies, sont susceptibles d’être mis en œuvre par des juges nationaux dans des affaires litigieuses. Voir, notamment, pour les fortunes diverses de l’ambigu article 56 de la Charte dans la jurisprudence des États-Unis, S. Karagiannis, « À propos des droits de l’homme dans la Charte des Nations Unies », op. cit., p. 789 et s.

Contra Ruth Bader Ginsburg et D. Jones Merritt selon lesquelles, « if we take seriously the promises of employment, education, and sustenance made in the Universal Declaration of Human Rights, these discrepancies demand affirmative government attention. It seems implausible that such marked differences would occur with no discrimination lurking in the background. […] And even without hard proof of discrimination, as I just noted, the Declaration’s economic and social prescriptions suggest an affirmative obligation to address marked degrees of disadvantage » (« Affirmative Action : An International Human Rights Dialogue », Cardozo Law Review, 1999-2000, pp. 253-282, spéc. p. 268).

Toutefois, il faut aussi compter avec la puissance d’imagination de certains Comités onusiens tentés parfois par le praeter legem. Ainsi, par exemple, dans sa première observation générale (1989), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels note que « le premier pas vers la concrétisation des droits économiques, sociaux et culturels consiste donc à prendre conscience de la situation réelle et à porter un diagnostic sur cette situation » (par. 3), ce qui signifierait, de l’avis de plusieurs experts, que la voie vers une discrimination positive est ainsi ouverte (ainsi, entre autres, M. Bossuyt, La notion d’action positive et son application pratique, Commission des droits de l’homme, Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, rapport final, 2002, par. 42). Voir aussi sur le Comité des droits de l’homme, de plus en plus adepte de mesures d’affirmative action, S. Joseph et M. Castan, The International Covenant on Civil and Political Rights. Cases, Materials, and Commentary, Oxford, OUP, 3ème éd., 2013, p. 809 et s. B.G. Ramcharan s’appuie sur les travaux préparatoires des deux Pactes pour conclure que « it was accepted during the drafting of both covenants that a prohibition of discrimination or distinction does not preclude positive measures taken in favor of disadvantaged groups » (« Equality and Nondiscrimination », in L. Henkin (ed.),  The International Bill of Rights : The Covenant on Civil and Political Rights, New York, Columbia UP, 1981, pp. 246-269, spéc. p. 259).

A vrai dire, on ne sait pas comment la nommer. Des appellations telles que « discrimination positive », « discrimination à rebours », « discrimination compensatrice », « action positive », « affirmative action » (ou sa bizarre traduction en français d’ « action affirmative »), voire « favourable discrimination » (N. Lerner, The UN Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination, Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1980, p. 32) sont des appellations que l’on rencontre dans la doctrine ou, parfois, dans la jurisprudence et dans les observations générales de certains Comités onusiens chargés de la « gestion » de telle ou telle convention sur les droits de l’homme. Chacun de ces termes a ses détracteurs. La plupart des Conventions (ce qui veut dire pas toutes …) renoncent à prévoir une appellation particulière et se contentent de périphrases (« mesures spéciales », etc.) qui, elles aussi, varient d’un instrument à l’autre. Avec le risque supplémentaire, néanmoins, de laisser le lecteur confondre certaines mesures particulières avec une discrimination positive « authentique ». Car, on le verra, n’est pas discrimination positive qui veut. Certains critères existent pour qu’on puisse la reconnaître. L’ennui est qu’ils peuvent varier.

O. Beaud, « L’affirmative action aux États-Unis : Une discrimination à rebours ? », Revue internationale de droit comparé, 1984, pp. 505-521 ; G. Calvès, L’Affirmative Action dans la jurisprudence de la Cour Suprême des États-Unis. Le problème de la discrimination positive, LGDJ, 1998.

Cela dit, l’affirmative action n’est pas un phénomène exclusivement américain, plusieurs États asiatiques et parfois africains en ayant expérimenté certaines formes avant même les États-Unis. Voir pour un passage en revue des lois et des résultats concrets d’une telle action en Inde, en Malaisie, au Sri-Lanka et au Nigéria T. Sowell, Affirmative Action Around the World. An Empirical Study, New Haven, Yale University Press, 2004. L’Afrique du Sud de l’après-apartheid constitue une autre terre d’élection de l’affirmative action (cf. O. Dupper, « Affirmative Action in South Africa : (M)Any Lessons for Europe ? », Verfassung und Recht in Übersee, 2006, pp. 138-265). En revanche, les États européens se montrent davantage réticents. Voir, entre autre, pour la France, F. David, La notion de discrimination positive en droit public français, thèse, Université de Poitiers, 2001 ; A. Levade, « Discrimination positive et principe d’égalité en droit français », Pouvoirs, 2004/4, 55-71 ; A.-M. Le Pourhiet, « Discriminations positives ou injustice ? », RFDA, 1998, n° 3, p. 519 et s ; B. Majza, « Équité et droits fondamentaux », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2002, pp. 79-89 ; J. Chevallier, « Réflexions sur la notion de discrimination positive » in Libertés, justice, tolérance, Mélanges Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 415-428.

On peut se demander si on ne se trouve pas ici devant une problématique relevant du droit de la responsabilité internationale et, notamment, des circonstances susceptibles d’atténuer une responsabilité, ce qui supposerait, toutefois, que discriminer positivement, c’est toujours discriminer ; on verra qu’un courant de pensée, notamment dans divers Comités onusiens de droits de l’homme, pense autrement. Si, néanmoins, c’est bien le cas, on peut mentionner Federica Paddeu lorsqu’elle paraphrase (à peine) James Crawford, le dernier rapporteur spécial de la Commission du droit international sur le thème de la responsabilité : « If the defence is very convincing, then it is a justification, if it is less convincing then it is an excuse » (Justification and Excuse in International Law. Concept and Theory of General Defences, Cambridge, CUP, 2018, p. 48).

On voit ici, du moins dans les deux versions latines et en anglais, la différence qui peut séparer la « distinction » de la « discrimination ». Dans le « sens ordinaire » du terme, si cher à l’article 31 §1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, une « distinction » peut être non seulement d’essence négative mais posséder, le cas échéant, également une valeur positive. Ainsi, un « préféré » peut parfaitement être vu comme « distingué », mais beaucoup plus difficilement comme « discriminé ». C’est toute la difficulté d’ailleurs que l’on peut avoir pour admettre l’expression « discrimination positive ».

La version espagnole parle sans ambages de « resultado », terme davantage compréhensible pour le profane.

Auquel cas on basculera du côté de la Convention des Nations Unies de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Par-delà une définition assez peu précise que cette Convention donne du crime d’apartheid dans son article 2, il convient de retenir qu’il doit s’agir d’une « politique ». Autant dire que des actes isolés s’inscrivant en dehors d’un véritable système préconçu ne peuvent constituer le crime en question.

Selon Patrick Thornberry, le Comité de la discrimination raciale a souvent condamné des tentatives de juridictions nationales de chercher à établir une intention de discriminer (The International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination. A Commentary, Oxford, OUP, 2016, p. 114). La notion de « discrimination indirecte » est souvent utilisée par le Comité pour contourner la presque toujours impossible à rapporter preuve d’intention de discriminer. Dans son opinion du 7 mars 2005 dans l’affaire L.R. c. Slovaquie, le Comité définit la discrimination indirecte comme des « mesures qui ne sont pas discriminatoires à première vue mais le sont dans les faits et dans leurs effets » (Sélection de décisions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, vol. I, New York et Genève, 2012, p. 106). Pour les évaluer, le Comité « doit prendre pleinement en compte les circonstances et le contexte particuliers entourant la requête, puisque, par définition, la discrimination indirecte ne peut être démontrée que par des preuves indirectes » (point 10.4).  Voir aussi A. Daniel, « The Intent Doctrine and CERD : How the United States Fails to Meet Its International Obligations in Racial Discrimination Jurisprudence », DePaul Journal for Social Justice, 2011, pp. 263-312.

Cela dit, nombre d’articles de la Convention portent sur de tels droits « civils » comme le droit de se marier, d’hériter ou à la liberté de pensée et de conscience, etc. Egon Schwelb se demande en quoi de tels droits peuvent bien relever de la « vie publique » (« The International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination », ICLQ, 1966, pp. 996-1068, spéc. p. 1006). Voir aussi la note suivante.

Pour y remédier, certains ont pensé que tout ce qui est reflété dans le droit devient « public » dans le sens de « domaine de la vie publique » (T. Makkonen, Equal in Law, Unequal in Fact : Racial and Ethnic Discrimination and the Legal Response Thereto in Europe, Leyde, Martinus Nijhoff Publishers, 2012, p. 141). L’idée est intéressante mais peut-être aussi quelque peu radicale.

Prudemment, le Comité de la discrimination raciale commence, toutefois, à aller praeter legem sur ce point (Thornberry, op. cit., p. 131). Il se peut, toutefois, qu’il s’agisse d’un faux problème. Si l’on considère que la définition de la discrimination est défectueuse, l’article 2§1, litt. d, CERD semble pouvoir effacer, du moins en partie, ces défauts (« Chaque État partie doit, par tous les moyens appropriés, y compris, si les circonstances l’exigent, des mesures législatives, interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et y mettre fin »). Voir sur ce point une intéressante réserve des États-Unis d’Amérique. Il est vrai que Th. Meron, tout en ne limitant la « vie publique » à l’action gouvernementale, n’est pas prêt à feindre, et il n’a pas tort sur ce point, que « vie publique » et « vie privée » ne font qu’un (« The Meaning and Reach of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination », AJIL, 1985, pp. 283-318, spéc. p. 292 et s.).

Ce terme de la version française n’est peut-être pas le plus réussi puisqu’on « détruit » quelque chose qui existe déjà. Or, dans mainte hypothèse, les populations ciblées pourraient, hélas, ne pas avoir atteint un quelconque niveau de satisfaction de leurs besoins dans les domaines politique, économique, social, culturel ou autres qu’une pratique discriminatoire s’attacherait maintenant à démanteler. En effet, on « détruit » ce que l’on a déjà au préalable construit. La version anglaise « to nullify », quoique non exempte de défauts, a au moins le mérite de ne pas avancer aussi loin que la version française dans la logique « construction/destruction ». Ce compliment vaut aussi pour les autres versions examinées ici (« anular » et « уничтожение » [=annulation]).

« Mettre en danger, exposer à un dommage, à un préjudice » (https://www.cnrtl.fr/definition/compromettre). Ou encore « mêler quelqu’un dans une affaire de manière à l’exposer à des embarras ou à des préjudices » (https://www.littre.org/definition/compromettre) et « diminuer les possibilités de réussite » (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/compromettre/17790). À noter que, dans la Convention n° 111 de 1958 de l’OITconcernant la discrimination (emploi et profession), on a « altérer » à la place de « compromettre ».

« Weaken or damage » selon Oxford (https://www.lexico.com/definition/impair), voire « spoil something or make it weaker so that it is less effective », selon Cambridge (https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/impair), ce qui rapprocherait dangereusement de la « destruction » avec ceci comme résultat que les deux termes (« détruire » et « compromettre ») ne se distingueraient plus tout à fait dans la version anglaise. En règle générale, c’est le même sens, celui du résultat final indiqué, que possède le terme espagnol de « menoscabar » (« disminuir algo, quitándole una parte, acortarlo, reducirlo » [https://dle.rae.es/menoscabar]) ou encore celui du terme russe de « умаление » (de « малый » ([=petit], donc l’action de rendre plus petit, la réduction).

Si la version espagnole est conçue de manière identique avec celle française (« en condiciones de igualdad ») et plus ou moins avec celle anglaise (« on an equal footing »), la version russe mérite d’être soulignée. « На равных началах » signifie littéralement « depuis une base de départ d’égalité », ce qui est particulièrement intéressant dans un contexte de « discrimination positive », un contexte qui souvent se réfère à des discriminations passées qui auraient provoqué le retard actuel du groupe concerné.

Et Timo Makkonen d’estimer que cette disposition de la CERD prévoit « not a requirement of identical or similar treatment, but equal treatment, which allows a measure of differential treatment in order to accommodate genuine individual or group-based characteristics and needs » (Equal in Law, Unequal in Fact, op. cit., p. 131). Cela dit, et sans vouloir approfondir ici ce délicat sujet, l’égalité, même si elle n’est pas identité, est cependant similitude. On peut se demander s’il n’y a pas ici confusion entre égalité et équité. Et, au-delà, si but d’une discrimination positive est juste l’équité. Or, il ne semble pas que les textes, celui sub examine non plus, se réfèrent jamais à l’équité. C’est, au contraire, l’égalité qui les intéresse.

Toute relative, en effet, en comparaison d’autres listes de motifs de discrimination que l’on verra plus loin.

On s’explique plus loin sur l’incertitude du nombre des motifs.

-Ainsi, explicitement, l’article 1 §2 CERD en ce qui concerne la distinction entre citoyens et non-citoyens. Voir aussi l’article 1 §3 CERD.

Dans son opinion du 8 août 2007 dans l’affaire A.W.R.A.P. c. Danemark, le Comité est d’avis que « la Convention ne s’applique pas aux cas de discrimination sur la seule base de la religion, et que l’islam n’est pas une religion pratiquée par un groupe unique, qui pourrait être autrement identifié par la race, couleur, ascendance ou origine nationale ou ethnique ». Cette attitude du Comité a fait l’objet de diverses critiques. Sans revenir formellement sur sa position, ce qui impliquerait une réécriture de sa part de l’article 1er CERD, le Comité cherche à rattacher, lorsque cela est possible, une discrimination basée sur la religion à des motifs de discrimination inclus dans la définition donnée dans l’article 1er CERD comme, par exemple, la descendance ethnique. Il appelle cela « intersectionnalité » (Recommandation générale XXXII de 2009 sur la signification et portée des mesures spéciales dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, point 7). Voir aussi sur cette problématique D. Keane, « Addressing the Aggravated Meeting Points of Race and Religion », University of Maryland Law Journal of Race, Religion, Gender and Class, 2006, pp. 367-406 ; J.A. Lindgren Alves, « Race and Religion in the United Nations Committee on the Elimination of
 Racial Discrimination », University of San Francisco Law Review, 2008, pp. 941-982 ; S.E. Berry, « Bringing Muslim Minorities within the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination. Square Peg in a Round Hole? », Human Rights Law Review,2011, pp. 423-450.

Presque, mais pas toujours. Ainsi, les albinos sont, dans nombre de sociétés traditionnelles, en proie à des discriminations, voire à des persécutions, alors qu’ils ne diffèrent de la « race » qui les discrimine que par la couleur de la peau. Voir la préoccupation légitime de l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 72/140 de 2017 (« personnes atteintes d’albinisme »).

On sous-entend par-là la couleur de la peau même si cela n’est pas dit ; possiblement parce que « couleur » tout court passe mieux, dans un contexte de « politiquement correct », que « couleur de la peau ». La version russe constitue, à cet égard, une exception en mentionnant « цвет кожи » (=couleur de la peau). Sauf erreur, seule la Charte des Nations Unies ne fait accompagner le motif de discrimination « race » d’un motif « couleur ».

La classification en quatre « races » (blanche, noire, métisse et asiatique) à laquelle procédaient les têtes pensantes (si l’on ose dire) de l’apartheid en Afrique du Sud avait quelque chose aussi bien de grotesque que de tragique. Une auteure sud-africaine soutient que, de l’avis même des concepteurs du système d’apartheid, les « races » retenues en vue de la classification étaient largement des constructions plutôt que des descriptions de la réalité (D. Posel, « Race as Common Sense : Racial Classification in Twentieth-Century South Africa », African Studies Review, 2001, pp. 87-113).

Bien plus économe, la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1963 (résolution 1904 [XVIII] de l’Assemblée générale) évite toutes ces difficultés en se limitant à trois motifs de discrimination interdite : race, couleur, origine ethnique (article 1er).

Ajoutons que ce doute concerne aussi l’autre version latine (« linaje u origen nacional o étnico »). La version anglaise est différemment conçue (« descent, or national or ethnic origin ») tout comme la version russe (« родового, национального или этнического происхождения »).

Le motif « ascendance » est rare dans les textes internationaux portant sur la prohibition de discriminations. Un exemple (« ascendance nationale ») est à trouver dans l’article 1 §1 de la Convention n° 111 de l’OIT, mentionnée. Il s’agit de la première Convention portant spécifiquement sur les discriminations et elle a pu influencer sur plusieurs points la Convention de 1965. On lui doit, entre autres, la définition de la discrimination en tant que « toute distinction, exclusion ou préférence […] ».

On constate que ce manque de culture classique est pratiquement propre à la Convention de 1965 (et à sa sœur interaméricaine de 2013), les autres instruments de protection des droits de l’homme évitant cet écueil d’une manière ou d’une autre.

Selon le bon mot de Thornberry (op. cit., p. 136), « ‘‘racial discrimination’’ subsumes and transcends ‘‘race’’ ». Et la déclaration de la Conférence mondiale de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (2001) d’aller au-delà de la « race » pour englober en tant que victimes des phénomènes qu’elle condamne les « groupes raciaux, culturels, linguistiques et religieux » (point 108) au mépris des quelques velléités de modération du Comité de la discrimination raciale supra note 34). Il est vrai, néanmoins, que l’objet de la Déclaration de Durban est plus large que celui de la CERD.

Ces problèmes deviennent encore plus aigus en droit pénal, y compris en droit pénal international. Car comment être poursuivi pour des actions à l’encontre d’une race si l’on est incapable de définir l’élément de base d’un tel crime ? Car plusieurs crimes, y compris en droit international, brodent sur le concept (non défini) de « race » (cf. C. Lingaas, The Concept of Race in International Criminal Law, Londres, Routledge, 2020). Voir, néanmoins, infra note 64. Pour la sociologue Juliette Galonnier, « la race est une fiction mais ses conséquences sur le monde social sont bel et bien réelles » (Le Monde, 12 juillet 2019).

Thornberry observe dans son magistral Commentary que « the thoroughgoing condemnation [par la CERD] of racist doctrines serves to discredit the notion of race itself » (op. cit., p. 135).

Curieusement, le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionalité, semble à l’abri d’une telle révision quoique, lui aussi, il se réfère (et même à deux reprises) à la « race ». Diminuer l’intolérable d’un tiers serait-il vu comme un début prometteur ?

Elle deviendrait, si la révision constitutionnelle aboutissait, « [La France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». Il va de soi que la Constitution de 1958 n’est pas la seule à comporter des références à la « race ». Cf. F. Borella, « Le mot race dans les Constitutions françaises et étrangères », Mots, n°33, décembre 1992, pp. 305-316.

Voir, entre autres, M. Bessonne, « Analyser la suppression du mot ‘‘race’’ de la Constitution française avec la Critical Race Theory : un exercice de traduction ? », Droit et Société, 2021, pp. 367-382 ; L. Zevounou, « Raisonner à partir d’un concept de ‘‘race’’ en droit français », Revue des Droits de l’Homme, 2021, n°19.

Pour C.A. Ford, « this dichotomy between the importance of race classification to anti-discrimination law and its fundamental indeterminacy creates what the author calls a core dilemma of modern race-conscious law » (« Administering Identity : The Determination of ‘‘Race’’ in Race-Conscious Law », California Law Review, 1994, pp. 1231-1285).

Situant le débat dans le contexte français, le philosophe Étienne Balibar se demandait : « Comment faire pour que la proposition ‘‘les races n’existent pas’’ ne soit pas entendue comme ‘‘vous n’existez pas’’, ou même pour que la proposition ‘‘vous n’auriez jamais dû être discriminés au nom du concept pseudo-scientifique de race’’ ne soit pas entendue comme ‘‘vous n’auriez jamais dû exister autrement que nous’’ ? ». Et de penser que « l’on a négligé l’éventualité que, dans une conjoncture historique donnée, les victimes actuelles et potentielles de la discrimination collective aient paradoxalement besoin de ce ‘‘signifiant’’ impur, mais universellement répandu, comme d’une
référence pour leur résistance à l’oppression, leur revendication d’égalité » (« Le mot race n’est pas ‘‘de trop’’ dans la Constitution française », Mots, n° 33, décembre 1992, pp. 241-256, spéc. p. 247).

Même s’ils ont mis presque trente ans avant de la ratifier.

Pragmatique et fonctionnaliste, Thornberry observe sur ce point que « avoiding mention of race is not guaranteed to lighten the task of combatting racist activity » (op. cit., p. 135).

Elle est théoriquement possible sur la base de son article 23. À supposer, néanmoins, qu’elle puisse être menée à bout, se posera la question de la ratification du traité de révision par tous les États actuellement parties à cette Convention. On peut craindre que cela ne soit jamais le cas, ce qui donnera automatiquement naissance à deux groupes d’États, ceux liés par l’ancienne Convention et ceux liés par la Convention révisée. La gestion de leurs relations sera, au vu du nombre des États impliqués, un véritable casse-tête en dépit du fait que la Convention n’est pas de nature synallagmatique.

Parfois décriée, parfois admise au motif d’une saine « concurrence » entre Comités ne pouvant que faire relever progressivement les exigences en matière de droits de l’homme, la multiplication de tels organes (quasi-)juridictionnels peut également être vue comme une anarchie ou un chaos potentiel servant, au fond, les intérêts des États. En effet, de possibles (et en réalité, de plus en plus fréquentes) contradictions jurisprudentielles peuvent fournir aux États un commode argument d’inexistence de règle internationale sur un point précis. Cf. S. Karagiannis, « La multiplication des juridictions internationales : un système anarchique ? » in Société française pour le droit international, La juridictionnalisation du droit international, Paris, Pedone, 2003, pp. 7-161, spéc. p. 158 et s. Voir aussi, dans le domaine spécifique des Comités onusiens sur les droits de l’homme, M.Mondélice, « La coordination des mécanismes onusiens de surveillance des droits de la personne à l’ère du processus de Dublin : avancées et défis de la mise en œuvre de la réforme », Revue québécoise de droit international, 2013, pp. 83-122.

C’est, sauf erreur de l’auteur de ces lignes, le cas du commentaire d’Egon Schwelb (supra note 23) qui, pendant un moment, était considéré comme un commentaire quasiment définitif de la CERD ; ainsi aussi B.V. Bitker, « The International Treaty Against Racial Discrimination », Marquette Law Review, 1970, pp. 68-93. De même, la monographie de Natan Lerner (supra note 15) est particulièrement indigente en ce qui concerne la discrimination positive dans la CERD. Tout autant que le cours de G. Ténékidès, « L’action des Nations Unies contre al discrimination raciale », RCADI, 1980, vol. 168, pp. 269-487.

Ne pas nommer une chose est, parfois, refuser de l’admettre. Les esprits n’étaient-ils pas prêts à accepter la discrimination positive en 1965 ?

Une (quasi-)généralisation de mesures de discrimination positive n’a, logiquement, aucun sens alors même que, il est vrai, nombre de groupes non bénéficiaires voient de plus en plus d’un mauvais œil des préférences accordées à d’autres groupes au risque pour eux-mêmes ou plutôt pour leur frange la plus fragile de finir par se trouver dans une position désavantagée. Selon la formule lapidaire et percutante de Marc Bossuyt, « il est probable que les programmes de mesures préférentielles créent de nouveaux groupes défavorisés » (La notion d’action positive et son application pratique, op. cit., par. 12). Dans certains États, comme l’Inde, l’une des patries de la discrimination positive, on n’hésite plus, pour des raisons politiques et électoralistes, à étendre des avantages liés à des affirmative actions à un nombre croissant de groupes et d’individus au point que The Economistpuisse titrer un de ses articles « Almost all Indians will soon qualify for affirmative action in India » (12 janvier 2019).

Quitte à ce qu’il soit repris par la suite à pas moins de quinze reprises, soit dans l’expression « groupes raciaux ou ethniques », soit dans l’expression « groupes de personnes », soit, enfin, en tant que « groupe[s] » tout court.

Cf. G. Haarscher, « La protection des minorités et ses paradoxes » in Variations sur l’éthique Hommage à Jacques Dabin, Bruxelles, presses de l’Université Saint-Louis, 1994, pp. 357-371 ; du même auteur, « Les droits collectifs contre les droits de l’homme », RTDH, 1990, pp. 231-234 ; P. Juviler, « Are Collective Rights Anti-Human ? », Netherlands Quarterly of Human Rights, 1993, pp. 267-282 ; P. Jones, « Group Rights and Group Oppression », Journal of Political Philosophy, 1999, pp. 353-377 ; St. Kirste, « Individualism and Collectivism in the Foundation of Group Rights »,Prisma Juridico (São Paulo), 2020, pp. 347-367.
Assez souvent, mais pas exclusivement, la tension entre droits du groupe et droits de l’individu pourra concerner les droits des femmes. Cf. M. Deveaux, « Conflicting Equalities ? Cultural Group Rights and Sex Equality », Political Studies, 2000, pp. 522-539. Par ailleurs, il est juste que les droits collectifs sont à distinguer des mesures de discrimination positive qui, elles aussi, se réfèrent (et bénéficient) à des groupes. Une différence entre les deux est le caractère permanent des droits collectifs opposé au caractère éphémère d’une affirmative action. Voir les intéressantes observations sur ce point de M. Jovanović, Collective Rights : A Legal Theory, Cambridge, CUP, 2012, p. 131 et s.

Or, un groupe sans un minimum de cohésion interne cessera, tôt ou tard d’être un groupe. Il s’agit donc pour lui d’une question existentielle.

C’est, entre autres, le principal enjeu da la protection des minorités qui peuvent être vues, par excellence, comme des groupes. L’éventuelle contradiction entre protection de la minorité et protection des individus, peu envisagée durant l’entre-deux-guerres, âge d’or du droit international des minorités, est sérieusement prise en considération aujourd’hui essentiellement grâce au principe suivant lequel ce n’est pas la minorité en tant que telle qui est protégée mais les personnes appartenant à la minorité. Cette distinction, salutaire pour certains, ineffective pour d’autres, se trouve, par exemple, en bonne place dans l’article 27 du Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques ou encore dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992 ou encore dans la Convention-cadre du Conseil de l’Europe de 1995 sur la protection des minorités nationales (même si l’article premier de cette dernière se réfère à la « protection des minorités nationales et des droits et libertés des personnes appartenant à ces minorités »). La conciliation entre un groupe et ses membres dépendra de la possibilité pour l’individu de quitter « son » groupe, voire, peut-être, de le réintégrer à l’avenir. Toutefois, une telle liberté est plus facile à affirmer en théorie qu’à mettre concrètement en œuvre ainsi que le révèle la célèbre affaire Sandra Lovelace c. Canada examinée en 1981 par le Comité des droits de l’homme. Cf. A.F. Bayefski, « The Human Rights Committee and the Case of Sandra Lovelace », Canadian Yearbook of International Law, 1983, pp. 244-266.

Sans quoi les mesures ne seraient pas « spéciales ».

En principe, une personne morale, à supposer qu’un « groupe racial » en soit une, n’a pas de problème de santé. Comme l’écrit Stélios Perrakis, en référence aux rapports groupe/individu, « la vulnérabilité humaine est et reste individuelle ; elle conditionne des personnes » (« La protection internationale
au profit des personnes vulnérables en droit international
des droits de l’homme », RCADI, 2021, vol. 420, pp. 1-489, spéc. p. 89).

Pour Perrakis, « le classement des personnes à une catégorie comporte toutefois le risque de ne pas évaluer, in toto, chaque situation d’une personne vulnérable » (op. cit., p. 91).

Karl Josef Partsch privilégie une définition donnée par l’anthropologue américain P. van den Bergue : « Un groupe humain qui se définit et/ou est défini par d’autres groupes comme étant différent d’autres groupes en vertu de caractéristiques physiques innées et immuable » (« Les principes de base des droits de l’homme: l’autodétermination, l’égalité et la non-discrimination » in K. Vasak (dir.), Les dimensions internationales des droits de l’homme, Paris, UNESCO, 1978, pp. 64-96, spéc. p. 85).

Pourtant, et à juste titre, le préambule de la Convention s’insurge contre « l’existence de barrières raciales [qui] est incompatible avec les idéals de toute société humaine ». Voir aussi l’article 2§1, litt. e, qui assigne aux États parties la mission de faire « éliminer les barrières entre les races ».

Une façon de concilier l’âpreté du débat, qui peut vite aller jusqu’à des détails superficiels et non scientifiques mais, en même temps fort intimes, voire humiliants et contraires à la dignité humaine, est d’opter en faveur d’un critère d’autosélection. De l’avis du Comité sur la discrimination raciale, l’ « identification doit, sauf justification du contraire, être fondée sur la manière dont s’identifie lui‑même l’individu concerné » (Recommandation générale VIII (1990)). Nombre d’abus pourront pourtant être ainsi commis ou, inversement, nombre de personnes qui auraient droit à tel avantage de « groupe » y renonceront par peur ou par dégoût d’être cataloguées comme appartenant au groupe bénéficiaire.

On peut se demander comment les délégués nationaux ou encore les experts des Nations Unies aient pu accepter le terme « race » et lui accorder la place qu’il a dans la CERD (il y est mentionné, soit en tant que substantif, soit en tant qu’adjectif 42 fois !). Le concept n’a apparemment guère été discuté. On peut avancer l’explication que le débat actuel n’était guère présent à l’époque mais l’on peut tout aussi bien dire que le rôle de la Convention n’était point de réfuter les « races » mais de réfuter, selon le préambule, « la supériorité ou la haine raciale, telles que les politiques d’apartheid, de ségrégation ou de séparation ». En quelque sorte, classifier des êtres humains par « races » peut, en soi, être innocent. On peut ne pas être d’accord avec une telle logique. On se rangera plutôt du côté de Theodor Meron selon lequel « distinctions made on the basis of race may be dangerous and subject to abuse for purposes of discrimination » (op. cit., p. 291).

Selon Bossuyt, « l’action positive concerne toujours un groupe cible donné composé d’individus qui ont tous une même caractéristique en commun sur laquelle se fonde leur appartenance à ce groupe et qui sont désavantagés. Cette caractéristique est souvent innée et inaliénable, telle que le sexe, la couleur de la peau, la nationalité ou l’appartenance à une minorité ethnique, religieuse ou linguistique, mais ce n’est pas forcément toujours le cas » (La notion d’action positive et son application pratique, op. cit.,  par. 8).

En revanche, « certains » ne qualifie pas le mot « individus ». La – nécessaire – limitation du nombre d’individus bénéficiaires de mesures de discrimination positive, à supposer que, en cette matière, on peut envisager des « individus » en dehors de « groupes » correspondants, est opérée grâce à l’article partitif ; « progrès […] d’individus » n’est pas synonyme de « progrès […] des individus ». Moins technique que la langue française, la langue anglaise est obligée de passer par l’expression « certain […] individuals » tout comme d’ailleurs la langue espagnole (« progreso de ciertos grupos raciales o étnicos o de ciertas personas »). La langue russe en fait autant mais, plus riche que les deux dernières, peut se permettre deux mots différents pour qualifier les « groupes » et les « individus » (« прогресс некоторых расовых или этнических групп или отдельных лиц » ; nous soulignons).

Toutefois, aussi bien la version espagnole que celle russe utilisent le même terme que la version française (« progreso », « прогресс »).

Cela vaut aussi pour la version russe (« надлежащий прогресс »). On ajoutera qu’il y a une nuance supplémentaire entre, d’une part, la version française et, d’autre part, les trois autres. Chacune des trois autres s’efforce de qualifier le « progrès » lui-même tandis que la version française qualifie non pas le substantif (le « progrès ») mais le verbe (« assurer »). Il se peut que « assurer adéquatement un progrès » et « assurer un progrès adéquat » ne soient pas tout à fait des expressions synonymes.

Du reste, puisque l’on ne se trouve plus ici dans une optique pénaliste, le vague de la définition n’est pas gênant comme, en revanche, il le devient s’agissant de poursuites pénales à l’encontre de pratiques de « discrimination raciale » au sens de l’article 1§1 de la Convention. Voir ainsi l’article 4, litterae a et b. Voir aussi la réserve (attendue !) des États-Unis sur l’article 4, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression.

La version anglaise se montre, à cet égard, plus modérée, donc davantage réaliste, lorsqu’elle omet l’article définitif (« secur[e] adequate advancement »). En effet, il est difficile de concevoir le « progrès » comme quelque chose de fini que des « mesures », quelles qu’elles soient, pourraient jamais atteindre. Cela d’autant plus que le « progrès » ou bien l’« advancement » n’est toujours qu’une marche, pas un terminus. Toutefois, la version espagnole commet la même maladresse que celle française (« asegurar el adecuado progreso »).

Ou, selon N. Lerner, « en ningún caso debe la acción afirmativa degenerar en discriminación » (Discriminación racial y religiosa en el derecho internacional, Comisión nacional de los derechos humanos, Mexico, 1991, p. 289).

Voir, néanmoins, la note précédente sur, ontologiquement, l’impossibilité d’atteindre un « progrès ». La disposition examinée aurait besoin d’être réécrite, aussi bien à cause de ses déficiences linguistiques qu’à cause de ces erreurs logiques et aberrations philosophiques.

Les « individus », éventuellement hors groupe, non plus. Ce qui ajoute au mystère de la détermination de ces bénéficiaires-là.

Une des questions qui a alerté les experts dans ces domaines concerne les mesures positives prises dans certains États en faveur de minorités, notamment linguistiques (voir pour certaines prises de position doctrinales in Makkonen, Equal in Law, Unequal in Fact, op. cit., pp. 133-134). Or, en dehors du fait que la langue n’est pas un motif de discrimination au sens de la définition de la « discrimination raciale » dans l’article 1 §1 CERD et donc, par voie de parallélisme, elle ne saurait concerner des « mesures spéciales » au sens de l’article 1§4 CERD, on peut aussi avancer l’hypothèse que les minorités devraient surtout être vues comme des « groupes ethniques », donc des groupes non concernés par le caractère non permanent des « mesures spéciales » de l’article 1§ 4 CERD. Ainsi, par exemple, il n’y a pas la moindre trace de « provisoire » dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe signée en 1992. En tout état de cause, le Comité de la discrimination raciale s’est senti obligé d’énoncer explicitement sa position suivant laquelle « les mesures spéciales ne doivent pas être confondues avec les droits spécifiques qui appartiennent à certaines catégories de personnes ou de communautés comme, par exemple, les droits des personnes appartenant à des minorités de vivre selon leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d’utiliser leur propre langue » (recommandation générale XXXII de 2009, point 15). Le Comité qualifie clairement les mesures nationales en faveur des minorités (mais aussi celles en faveur des peuples autochtones et des femmes) de mesures permanentes.

Du moins, la Convention de 1965 avait le privilège de poser des règles dans un domaine essentiellement vierge au niveau universel si l’on exclut la quelque peu ambiguë position de la Charte des Nations Unies qui seule la précédait chronologiquement en matière de protection des droits de l’homme. En effet, si la Convention de l’UNESCO de 1960 peut être vue comme un traité de protection des droits de l’homme est une question ouverte au débat.

Lexicalement, accélérer signifie que l’on ne part pas de zéro.

Ainsi, « accélérer l’instauration d’une égalité » ne serait pas « accélérer une égalité ».

La version russe suit, en revanche, la tentative de la version française (« направленны[е] на ускорение установления […] равенства »).

Ce n’est pas le cas des autres versions.

Sur ce concept, entre autres, T. Makkonen, Multiple, Compound and Intersectional Discrimination :
 Bringing the Experiences of the Most Marginalized to the Fore, Turku, Institute for Human Rights, Åbo Akademi University, 2002. Sur les hésitations européennes face à cette notion, Brillat, op. cit., p. 241 et s.

On s’abstiendra ici de considérer l’existence de « nouveaux sexes » cependant que, face à certaines revendications récentes, la Convention de 1979 pourrait finir par apparaître comme conservatrice, voire passéiste. Cela dit, sa position est moins tranchée que celle du Protocole africain de Maputo de 2003 relatif aux droits des femmes qui établit que l’on « entend par ‘‘femmes’’ les personnes de sexe féminin, y compris les filles » (article 1er, litt. g). Il est vrai pourtant que les promoteurs de l’idée de pluralité des sexes pourraient attirer l’attention sur le concept de « sexe féminin ». Devrait-on le construire uniquement sur la biologie ou également sur le vécu des individus, voire sur le regard des sociétés ?

Dans le cadre de l’Union européenne, tel est, en tout cas, le propos de l’article 157 §4 TFUE qui accepte des « mesures nationales prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle » (nous soulignons). Voir aussi l’article 3 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) in JOUE L 204, 26.7.2006, p. 23.

Ce qui est certain est que le paragraphe 2 de l’article 4 se rapporte aux relations des femmes avec le[ur]s enfants. Les « mesures spéciales » adoptées dans ce cadre ne peuvent concerner une femme ne connaissant point les joies de la maternité, notion qui va bien entendu bien plus loin que la grossesse ou l’allaitement (voir pour cela l’article 12) et pose, entre autres, la question de l’adoption d’enfants ou celle, plus épineuse, des mères porteuses. En revanche, les « mesures spéciales » du premier paragraphe de l’article 4 concernent les femmes « in all fields of life » (Fr. Raday, « Article 4 » in M.A. Freeman, Chr. Chinkin, B. Rudolf (eds.), The UN Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women. A Commentary, Oxford, OUP, pp. 123-139, p. 124).

On se croirait proche ici de l’article 6, litt. b, de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam adoptée en 1990 par l’Organisation de la Conférence islamique (« La charge d’entretenir la famille et la responsabilité de veiller sur elle incombent au mari »). Commentant l’article 4 §2 CEDAW, Frances Raday (op. cit., p. 126) n’est pas loin de penser la même chose sauf que, selon elle, cette disposition doit être lue en parallèle avec l’article 16§1, litt. d, qui se réfère aux « mêmes droits et mêmes responsabilités en tant que parents […] pour les questions se rapportant à leurs enfants ».

https://www.cnrtl.fr/definition/maternit%C3%A9. Voir, néanmoins, infra note 93.

Ibid.

Telle semble être la conception du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes lequel, dans sa recommandation générale n° 25 (point 16), fait référence, s’agissant de l’article 4 §2 CEDAW, aux « différences biologiques » qui feraient que « les femmes ne p[uiss]ent pas être traitées de la même façon que les hommes ». Et le Comité d’ajouter que les mesures de l’article 4 §2 sont des « mesures permanentes ». En revanche, les « mesures appropriées » envisagées par l’article 12 §2 CEDAW seraient temporaires, liées comme elles sont à la grossesse et à l’accouchement ou encore à la période qui suit l’accouchement.

C’est possiblement ce qu’entend le Comité dans sa recommandation générale n° 25 (point 5), lorsqu’il énonce que « la Convention vise essentiellement la discrimination à l’égard des femmes » bien que, le diable se nichant dans les détails, l’adverbe « essentiellement » puisse donner lieu à diverses interprétations. L’évitant, les versions anglaise et espagnole du point 5 de la recommandation générale citée n’en deviennent pas pour autant davantage claires (« the Convention focuses on discrimination against women » ; « la Convención se centra en la discriminación contra la mujer »).

Si l’on est juriste tatillon, on observera que les deux Conventions sur la discrimination traitent les conditions négatives avec une légère différence. Dans la Convention de 1965, l’expression utilisée fait clairement apparaître la conditionnalité (« à condition toutefois que ») tandis que, dans la Convention de 1979, il s’agirait non pas tellement d’une condition définitionnelle que d’une condition de légalité (« mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence […] »). Toutefois, la différence entre ce qui définit une dérogation (une « mesure spéciale », en l’occurrence) et ce qui la rend illégale n’est pas, à proprement parler, abyssale.

De temps à autre, ce principe, pourtant basique, en vient à être contesté. Toutefois, comme l’écrit Marc Bossuyt, c’est « le principe de non-discrimination [qui] fixe les limites de toute mesure d’action positive » (La notion d’action positive et son application pratique, op. cit., par. 113).

Mais quiconque pratique la discrimination positive se doit, par nature, d’être optimiste et donc convaincu que ses « mesures » donneront des résultats.

Il est vrai (vrai et curieux) que le seul considérant du préambule (le n° 14) qui se réfère à la « réelle égalité » traite du rôle de l’homme (« le rôle traditionnel de l’homme dans la famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la femme si on veut parvenir à une réelle égalité de l’homme et de la femme »). On se rappelle, toutefois, de l’« égalité de fait » de l’article 4 §1, que l’on a déjà vue.

Une auteure voit dans le non-maintien de normes inégales ou distinctes une limitation de possibilités pour une affirmative action (J.L. Southard, « Protection of Women’s Human Rights under the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women », Pace International Law Review, 1996, pp. 1-90, spéc. p. 82). Toutefois, c’est lorsque l’affirmative action aura rempli ses objectifs qu’il sera question de son non-maintien.

Ce terme mériterait que l’on s’y attarde un peu. En français, « normes », tout comme en espagnol (« normas »), est un terme qui renvoie à des mesures peu ou prou juridiques. Est-ce que lesdites « normes » correspondent de manière absolue aux « standards », terme dont se sert la version anglaise (ou encore aux « стандарты », le terme russe) ? Si un « standard » n’est pas tout à fait une règle juridique, une différence entre les deux conditions négatives sub examine pourrait être conçue. Mais, dans ce cas, se pose forcément la question de savoir en quoi consisteraient les « standards », qui pourrait les adopter et, s’ils n’ont pas de valeur juridique, en quoi leur maintien dérangerait. D’ailleurs, pas seulement leur maintien mais également leur établissement. Si l’on est indolore, incolore, innocent, on l’est, en principe, de bout en bout.

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes n’hésite pas à estimer que « leur caractère ‘‘temporaire’’ peut, dans les faits, se traduire par une application de très longue durée » des « mesures spéciales » (observation générale n° 25, point 20).

Il en va de même de la version russe, très proche, sur ce point, de la version française (« эти меры должны быть отменены » ; nous soulignons). En revanche, la version espagnole suit le « modèle », plus souple, de la version anglaise (« estas medidas cesarán »).

Avec la version russe, il semble que l’on revient à la rigueur de la version française puisque le verbe « отменить » est, le plus souvent, utilisé dans le sens de « abroger une loi ». Peut-on, toutefois, « abroger » un « standard »/« стандарт » ?

Mauvaise rédaction ou erreur typographique, le texte français de la recommandation générale n° 25 n’en dit pas moins sur ce point exactement le contraire de ce qu’il souhaiterait apparemment dire (« Cette durée devrait être déterminée sur la base des résultats de la mesure en réponse à un problème concret et en fonction de délais prédéterminés »). Comparez avec la version anglaise et celle espagnole (« The duration of a temporary special measure should be determined by its functional result in response to a concrete problem and not by a predetermined passage of time » ; « La duración de una medida especial de carácter temporal se debe determinar teniendo en cuenta el resultado funcional que tiene a los fines de la solución de un problema concreto y no estableciendo un plazo determinado » ; nous soulignons).

Pour un administrativiste, la notion d’abrogation automatique d’un règlement donné et sans intervention de quelque autorité que ce soit serait assez originale…

Cela dit, selon le point 20 de la recommandation générale, « les mesures en question peuvent être rapportées dès que le résultat escompté a été obtenu depuis un certain temps ». Ce qui sème le trouble est la présence, dans cette phrase, du verbe « pouvoir », un verbe susceptible de signifier que rapporter les mesures ne serait point imposé par la Convention mais que cela serait juste une faculté. En d’autres termes, lesdites mesures pourraient parfaitement s’éterniser au mépris de la philosophie générale de l’affirmative action laquelle n’admet que des mesures compensatrices temporaires. L’approximation de la version française de la recommandation générale est désespérante si on la compare avec les versions anglaise et espagnole (« Temporary special measures must be discontinued when their desired results have been achieved and sustained for a period of time » ; « Las medidas especiales de carácter temporal deben suspenderse cuando los resultados deseados se hayan alcanzado y se hayan mantenido durante un período de tiempo » ; nous soulignons).

184 parties en mars 2022 même si le Protocole facultatif de même date ne concerne « que » cent parties.

Suivant son article 2, al. 3, « on entend par ‘‘discrimination fondée sur le handicap’’ toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres ». La définition est assez classique et on devra à nouveau observer qu’il aurait suffi de mentionner l’effet « compromettre » pour faire constituer une discrimination ; ajouter « détruire à néant » n’ajoute strictement rien si ce n’est au niveau politique et psychologique. La définition ajoute que « la discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ». Qu’une discrimination comprenne toutes les formes de discrimination, cela s’entend facilement. Toutefois, le dernier membre de phrase de la disposition citée a une signification à part que l’on rencontrera à nouveau.

Elles sont « spécifiques » aussi dans les versions anglaise et espagnole mais elles deviennent « concrètes » dans la version russe (« конкретныемеры »). Il est douteux que cela constitue une réelle différence.

Voir quand même pour un effort d’explication de cette volonté de la Convention de 2006 de se distinguer d’autres conventions R. Cera, « Article 5 (Equality and Non-Discrimination) » in V. Della Fina, R. Cera et G. Palmisano (dir.), The United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities : A Commentary, Springer, 2017, pp. 157-174, spéc. p. 171.

Ce n’est pas ainsi qu’entend le mot « nécessaires » une auteure selon laquelle une absence de telles mesures spécifiques « nécessaires » pourrait, suivant les situations, conduire à l’établissement d’une discrimination (J.L Corsi, « Article 5 [Equality and Non-Discrimination] » in I. Bantekas, M. Ashley Stein et D. Anastasiou (eds.), The UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities. A Commentary, Oxford, OUP, 2018, pp. 140-170, spéc. p. 169).

L’observation générale n° 6 de 2018 sur l’égalité et la non-discrimination du Comité des droits des personnes handicapées note sobrement que, « dans certains cas, des mesures spécifiques permanentes sont nécessaires, compte tenu du contexte et des circonstances, y compris en raison d’un handicap particulier ou des obstacles structurels de la société » (point 28).

Aux termes de cette disposition, « par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». Dans son observation générale n° 6, le Comité des droits des personnes handicapées conçoit la « discrimination fondée sur le handicap » de manière large puisqu’une telle discrimination « peut viser des personnes qui ont un handicap, qui ont eu un handicap, qui sont prédisposées à avoir un handicap plus tard dans leur existence, dont on suppose qu’elles ont un handicap, ainsi que les personnes qui sont associées à une personne handicapée. Cette dernière forme de discrimination est dite ‘‘discrimination par association’’ » (point 20). Cet élargissement de la notion est, par certains côtés, problématique. Il est, de même, susceptible de rendre plus difficile le déploiement d’actions de discrimination positive.

Encore faudra-t-il souligner que l’article 53 CEDH est rarement utilisé par la jurisprudence étant donné que, face au requérant devant la Cour de Strasbourg qui sert à protéger « son » droit, on a souvent les droits de l’ensemble social incarnés par l’action de l’État, celle-là même dont le requérant allègue la non-conformité à la CEDH (sur cette problématique, S. Karagiannis, « La Convention européenne des droits de l’homme drapée dans sa modestie ? À propos de l’article 53 CEDH », Journal du droit international [Clunet], 2021, pp. 801-880, spéc. p. 868 et s). En revanche, l’article 41 de la Convention sur les droits de l’enfant échappe à cette juxtaposition/opposition de deux droits, celui du requérant et celui de la société. Sans doute, « l’intérêt supérieur de l’enfant » (article 3 §1) passe par là.

Il en est de même de la terminologie russe (« особая забота ») tandis que celle espagnole se rapproche de la terminologie française (« cuidados especiales »).

Au-delà du petit cercle des traités portant sur la discrimination positive, on constate que la déclaration de la Conférence mondiale de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (2001) adopte, elle aussi, une position ambiguë en ce qu’elle appelle de ses vœux des « mesures spéciales et positives » dans son par. 107 et ce qu’elle déclare qu’il est nécessaire d’en adopter dans son par. 108.

M. Grevisse, Le Bon Usage, Paris, Duculot, 12ème éd. par A. Goosse, 1986, p. 1297, n° 857.

Nous soulignons. « Должны » signifie « doivent » ou « devront ».

Il est possible que, avec le verbe « exiger », la version française place la barre encore plus haut que la version anglaise (« when the circumstances so warrant »). « To warrant » est parfois défini de manière ambiguë comme, par exemple, dans le Dictionnaire Merriam-Webster (« to give adequate ground or reason for » in https://www.merriam-webster.com/dictionary/warrant) ou bien dans le Dictionnaire Oxford (« to justify or necessitate » in https://www.lexico.com/definition/warrant). D’autres dictionnaires standard de langue anglaise rapprochent, néanmoins, ce verbe du haut degré d’impérativité qu’implique le verbe français « exiger ». Ainsi, pour Cambridge, il signifie « to make a particular activity necessary » (in https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/warrant) et pour Collins « to make an action seem necessary or appropriate for the circumstances » (in https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/warrant). Et, si la version russe est proche de la version française (« когда обстоятельстваэтого требуют »), la version espagnole semble vouloir prendre quelques distances avec les autres versions en ce qui concerne la qualité des « circonstances » (« cuando las circunstancias lo aconsejen »). En effet, « aconsejar » signifie à la fois « dar a alguien un consejo u opinión » mais aussi « hacer que alguien vea o comprenda que otra cosa es necesaria » (in https://dle.rae.es/aconsejar).

Article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités.

Voir, toutefois, supra note 80.

Voir pour une étude classique en Israël, N. Lerner, « Inter-Group Tensions in Israel : Are Legal Solutions Effective ? », Israel Yearbook on Human Rights, 1985, pp. 88-100.

Et c’est une autre question que de savoir si les « objectifs » des deux ensembles de « mesures » peuvent être exactement les mêmes.

Pour compenser, en quelque sorte, l’absence du double cliquet qui caractérise l’article 1§4, l’article 2§2 ajoute qu’un tel maintien de « mesures » ne se fera « en aucun cas ».

On pourrait aussi répondre à cette question par une pirouette. Dans la mesure où un « groupe racial » ne serait pas un « groupe ethnique », l’État pourrait maintenir en vigueur une « mesure » en faveur d’un « groupe ethnique » même si la maintenir en faveur d’un « groupe racial » ne serait plus une obligation. Quid, néanmoins, si, dans les deux cas, un même « groupe racial » était concerné ?

Avec son acuité habituelle, Meron (op. cit., p. 309 et s.) se penche sur le terme « développement » pour s’interroger si, à la longue, le « développement » et, peut-être encore plus le « progrès », n’entraînent un risque d’assimilation du groupe. Toutefois, il oppose l’objectif de « développement » à celui de « protection » du groupe. Une « protection » sauverait, à tout le moins, le groupe d’une disparition pure et simple induite par le biais d’une acculturation assimilatrice. On opposera seulement à cette intéressante construction du professeur américain que si la « protection » contrebalance (et complète) le développement » dans l’article 2 §2, aucune « protection » n’est disponible pour s’opposer au « progrès » dans l’article 1 §4.

Enfin, c’est plutôt l’inverse au vu de l’antériorité de la CERD.

59 parties en mars 2022. Y compris la Palestine (depuis 2019).

Au point de vue de la procédure, et contrairement au cas du Protocole facultatif de 1966 au Pacte sur les droits civils et politiques, une communication au sens de l’article 14 CERD peut émaner non seulement de « personnes » mais également de « groupes de personnes » (paragraphe 1er). Dans l’un et l’autre cas, il faut que les plaignants « relèv[e]nt de la juridiction » de l’État contre lequel la communication est adressée.

Voir, par exemple, l’opinion du Comité dans l’affaire D.S. c. Suède (2001).

Voir, par exemple, l’opinion du Comité dans l’affaire A.M.M. c. Suisse (2014) ou V.S. c. Slovaquie (2015).

Une ou deux allégations de violation de l’article 1 §4 CER sont purement anecdotiques. On ne voit pas, en effet, comment un plaignant s’estimant victime d’une discrimination raciale pourra sérieusement prétendre qu’une discrimination positive dont lui ou d’autres seraient bénéficiaires puisse violer la CERD.

Voir supra note 128.

Même si l’on ne peut exclure que tel individu ou tel groupe écarte la voie « judiciaire », encombrée, il est vrai, de difficultés procédurales (épuisement des recours internes, etc.), au profit d’une plainte informelle ou d’une dénonciation au Comité.

Il existe des exceptions, toutefois. Ainsi, par exemple, « à propos des mesures prises par le Costa Rica pour promouvoir le développement économique, social et culturel de la population indigène, tout en la protégeant contre les communautés plus avancées, les membres du Comité ont exprimé quelque inquiétude, craignant que des mesures de protection excessives en fassent ‘‘une pièce de musée’’ au lieu de l’intégrer à la vie nationale, ce qui répondrait certainement davantage aux intérêts du pays » (Rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, New York, 1981, p. 91,n° 281). Au-delà de cette approche furieusement assimilationniste, qui aurait pu moins facilement être avancée aujourd’hui dans ces mêmes termes, force est de noter que le Comité n’hésite pas, à l’occasion, à évaluer, dans les grandes lignes, la compatibilité d’une affirmative actionavec l’article 1§4 même si cet article est rarement cité.

Résolution 1904 (XVIll) de l’Assemblée générale.

Pour Bossuyt, « cette déclaration fait désormais partie intégrante du droit international relatif aux droits de l’homme en tant qu’instrument international de portée générale (La notion d’action positive et son application pratique, op. cit., par. 62). Il n’est pas facile de comprendre la portée de cette affirmation en ce qui concerne le droit positif. Voir aussi pour une évaluation enthousiaste du texte, N. Lerner, « New Concepts in the UNESCO Declaration on Race and Racial Prejudice », Human Rights Quarterly, 1981, pp. 48-61.

Cela dit, être obligatoire dans un texte qui n’est pas obligatoire n’a pas forcément beaucoup de sens. Voir, toutefois, la note qui précède.

On rappelle : « Des mesures spéciales doivent être prises en vue d’assurer l’égalité en dignité et en droits des individus et des groupes humains partout où cela est nécessaire » (article 9 §2).

Pourrait-on y voir des « mesures » encore plus « spéciales » que d’ordinaire ?

Est aussi ajoutée comme mission (on est quand même dans un cadre UNESCO) celle « de faciliter, en particulier par l’éducation, leur promotion sociale et professionnelle ». En revanche, le principal texte émanant de l’UNESCO en la matière, la Convention de 1960 contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, ne semble pas se référer à une quelconque affirmative action en dépit du fait qu’elle contient quelques dispositions prévoyant des systèmes d’enseignement séparés, lesquels ne formeraient pas de la discrimination (ainsi aussi Lerner, The UN Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination, op. cit., p. 39).

Et la condition que les « groupes raciaux et ethniques » doivent pouvoir bénéficier des mesures « en vigueur » « en pleine égalité et sans discrimination ni restriction » ne change strictement rien.

La version espagnole suit, en revanche, la version française (« se deberá prestar una atención particular »). Le même conditionnel caractérise aussi, dans la version anglaise de la Déclaration de l’UNESCO, le bénéfice que « les groupes de la population d’origine étrangère, notamment les travailleurs migrants et leurs familles, […] devront [tirer] de mesures adéquates destinées à leur assurer la sécurité et le respect de leur dignité […] et à leur faciliter l’adaptation au milieu d’accueil et la promotion professionnelle ». En effet, on lit, dans le texte anglais, que les intéressés « should benefit from appropriate measures designed to […] ». Même dans le conditionnel, même en se demandant en quoi une « mesure spéciale » peut différer d’une « mesure adéquate », cette disposition (article 9§3) est originale mais non reprise là où on l’attendrait, à savoir dans la Convention des Nations Unies de 1992 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Ce qui les rapproche aussi est leur peu de succès auprès des membres de l’Organisation des États américains. En mars 2022, la Convention sur la discrimination raciale liait six États, sa sœur jumelle à peine deux. Eu égard au nombre minimal de ratifications exigées pour leur entrée en vigueur (deux), toutes les deux sont en vigueur.

« La discrimination raciale s’entend de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence, dans tout domaine de la vie publique ou privée, ayant pour but ou pour effet d’annuler ou de restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur un plan d’égalité, d’un ou de plusieurs droits de la personne et libertés fondamentales consacrés dans les instruments internationaux applicables aux États parties.
La discrimination raciale peut être fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ».

Et encore cette liste n’est qu’indicative.

« Special measures or affirmative action » ; « medidas especiales o acciones afirmativas » ; « medidas especiais ou de ação afirmativa ».

Même si, dans l’article 5, on ne se sert pas du verbe « devoir » ou du futur simple, les expressions utilisées dénotent une obligation (« Les États parties s’engagent à » ; « The States Parties undertake to » ; « Los Estados Partes se comprometen a » ; « Os Estados Partes comprometem-se a »).

Dorénavant, on se référera, sauf exceptionnellement, à la seule Convention 1-68.

Voir, par exemple, la version anglaise : « special policies and affirmative actions needed to ensure the enjoyment or exercise of rights and fundamental freedoms of persons or groups ». La construction dans els versions espagnole et portugaise est analogue.

Il ne faut pas prendre le mot « et » au pied de la lettre. Ne pas être bénéficiaire d’une discrimination positive parce qu’on n’est pas frappé des trois maux simultanément est absurde. Il aurait fallu avoir « ou » à la place de « et ». Curieusement, seule la version espagnole est correctement rédigée.

Article 1 §6 : « L’intolérance est un acte ou une série d’actes ou d’expressions dénotant le manque de respect, le rejet ou le mépris de la dignité, des caractéristiques, des convictions ou des opinions de certaines personnes parce qu’elles sont différentes ou opposées. Elle peut se manifester sous forme de marginalisation et d’exclusion de groupes dans des conditions de vulnérabilité de la participation à tout domaine de la vie publique ou privée, ou sous forme de violence à leur endroit ».

L’idée d’un « avancement », d’un « progrès », est séduisante mais, en même temps elle place des repères et des points de référence qui peuvent être très différents d’un « groupe » à l’autre ou d’une personne à l’autre. Dans un certain sens, la Déclaration de 1978 de l’UNESCO n’a pas tort d’apporter une dose de relativisme culturel en insistant sur le fait que les « mesures adéquates » dont devront bénéficier « les groupes de la population d’origine étrangère, notamment les travailleurs migrants et leurs familles » seront « destinées à […] assurer […] le respect de leur dignité et de leurs valeurs culturelles » (article 9 §3).

Sur ce point, M. Hilal, La Charte arabe des droits de l’homme. Incertitudes et ambiguïtés en matière d’application, thèse, Université de Strasbourg, 2017, p. 196 et s.

On trouve, néanmoins, des listes exhaustives dans la Charte des Nations Unies et dans la Convention de l’UNESCO de 1960 sur la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (article 1 §1).

Nous utilisons ici la traduction en français publiée sur le site du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies (http://www.didh.ma/sites/default/files/2016-12/%D9%81%D8%B1%D9%86%D8%B3%D9%8A.pdf). Voir aussi le texte français in Journal officiel de la république algérienne,n° 08 du 15 février 2006. Seule la version arabe fait foi.

Cela ne vaut pas pour la Charte Arabe des droits de l’homme dans sa version de 1994 (qui n’est jamais entrée en vigueur), un texte qui se limitait, dans son article 2, à énoncer une très classique interdiction des discriminations fondées sur un certain nombre de motifs. Toutefois, contrairement à ce qui se passe avec la version de la Charte arabe de 2004, actuellement en vigueur, la liste des motifs de distinctions interdites était une liste indicative et non exhaustive.

Le statut de la Cour arabe des droits de l’homme adopté en 2014 n’a pu, pour le moment, entrer en vigueur alors même que, dès l’origine, ce texte a suscité des controverses concernant sa compatibilité avec les standards internationaux en la matière. Cf. Commission internationale des juristes, The Arab Court of Human Rights : A Flawed Statute for an Ineffective Court, Genève, 2015 ; K. Magliveras et G. Naldi, « The Arab Court of Human Rights : A Study in Impotence », Revue québécoise de droit international, 2016, pp. 147-172. Voir, néanmoins, pour un point de vue différent, en ce qui concerne, notamment, l’absence de saisine de la Cour par des requêtes individuelles, A. Almutawa, « The Arab Court of Human Rights and the Enforcement of the Arab Charter on Human Rights », Human Rights Law Review, 2021, pp. 506-532 et, en partie, T. Majzoub et F. Quillère Malzoub, « De l’utilité de la future Cour arabe des droits de l’homme : de quelques réflexions sur son statut », RTDH, 2015, pp. 645-671.

On a vu pourtant que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes flirte parfois (dangereusement ?) avec l’idée de « mesures spéciales » permanentes (supra note 93).

Cela dit, l’égalité entre les deux sexes était bien moins présente en tant que concept et en tant qu’objectif dans la Charte arabe de 1994. De ce point de vue, la Charte de 2004 accomplit un grand bond en avant. Cf. A. Mahiou, « La Charte arabe des droits de l’homme », p. 13 (in https://www.cawtarclearinghouse.org/storage/4678/La-charte-arabe-des-droits-de-l%27Homme-Par-Ahmed-MAHIOU.pdf).

Même s’il n’atteint pas, dans la Charte arabe, les dimensions vertigineuses qui le caractérisent dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ou encore dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme de 1948.

Ou, dans une traduction anglaise, du participe passé « established » (« Men and women are equal in respect of human dignity, rights and obligations within the framework of the positive discrimination established in favour of women by the Islamic Shariah, other divine laws and by applicable laws and legal instruments » traduction du Commissariat des droits de l’homme Nations Unies in https://digitallibrary.un.org/record/551368?ln=fr). Il se peut qu’une traduction espagnole (in https://acihl.org/res/documents/CARTA-%C3%81RABE-DE-DERECHOS-HUMANOS.2004.pdf soit encore plus claire sur le fait que cette discrimination positive existe déjà : « Los hombres y las mujeres son iguales en dignidad humana, en derechos y deberes, dentro del marco de discriminación positiva en favor de las mujeres que establecen la Islamic Shari’a’ y otras leyes divinas, legislación e instrumentos internacionales » (nous soulignons).

Rien à voir donc avec les quatorze mentions dont la charia bénéficie dans la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam adoptée en 1990 par l’Organisation de la Conférence islamique.

On laissera bien sûr aux seuls théologiens le soin d’identifier la « révélation ».

Cf. M.Y. Mattar, « Article 43 of the Arab Charter on Human Rights : Reconciling National, Regional, and International Standards », Harvard Human Rights Journal, 2013, pp. spéc. pp. 91-147, pp. 107-108.

Critique, la Commission internationale des juristes invite, dans son commentaire, « les auteurs de la Charte arabe des droits de l’homme à donner des illustrations de la discrimination positive instituée au profit de la femme par la Charia de façon à clarifier cette notion » (Adoption du texte de la Charte arabe des droits de l’homme. Commentaires, Genève, 2004, p. 8). Et un auteur algérien d’ajouter qu’« il sera d’autant plus intéressant de suivre la mise en œuvre de ces dispositions qu’elles vont s’insérer dans des sociétés où le poids de la culture et de l’histoire se manifeste fortement et où une interprétation conservatrice des prescriptions de la shari’a sont tellement prégnantes que peu d’États ont osé s’en affranchir ou les contourner » (Mahiou, op. cit., pp. 13-14). Sur les risques, peut-être exagérés, d’une mauvaise interprétation de l’article 3, litt. c, par certains États, voir M. Rishmawi, « The Revised Arab Charter on Human Rights : A Step Forward ? », Human Rights Law Review, 2005, pp. 361-376, spéc. p. 375 et Mattar, op. cit., p. 106.

Un exemple pertinent est celui de la réserve saoudienne suivant laquelle, « en cas de divergence entre les termes de la Convention et les normes de la loi musulmane, le Royaume n’est pas tenu de respecter les termes de la Convention qui sont divergents ». De même, Brunéi « exprime des réserves concernant ces dispositions de ladite Convention qui peuvent être contraires à sa Constitution et aux croyances et principes de l’Islam ».

Ainsi, par exemple, selon une objection allemande, « la réserve concernant la compatibilité entre les termes de la Convention et les normes de la loi musulmane jette le doute sur la volonté du Royaume d’Arabie saoudite de respecter la Convention. Le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne considère que cette réserve est incompatible avec l’objet et le but de la Convention ».

Voir, entre autres, R. Cook, « Reservations to the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women », Virginia Journal of International Law, 1990, pp. 643-716 ; B. Clark, « The Vienna Convention Reservations Regime and the Convention on Discrimination Against Women », AJIL, 1991, pp. 281-321 ; L. Lijnzaad, Reservations to UN Human Rights Treaties : Ratify and Ruin ?, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1995 ; M. de Pauw, « Women’s Rights : from Bad to Worse ? Assessing the Evolution of Incompatible Reservations to the CEDAW Convention », Utrecht Journal of International and European Law, 2013, pp. 51-65.

Devraient-elles donc être conçues pour l’éternité ? Ce faisant, n’est-on pas en train d’estimer que jamais une femme ne pourra être l’égale de l’homme en matière d’exercice des droits prévus par la Charte ? S’agit-il d’une conception foncièrement pessimiste des rapports entre les sexes ? Ou, plus prosaïquement, d’une vision paternaliste et patriarcale faisant peu ou prou référence à la biologie ?

« Consequently » dans la traduction anglaise dont on s’est déjà servi (supra note 162). Le terme arabe est « لذلك تبعاً » (tabaʿan lithalika).

Ainsi aussi G. Guarino, « La Charte arabe des droits de l’homme dans le système universel des droits de l’homme » in Cl. Zanguì et R. Ben Achour (dir.), La nouvelle Charte arabe des droits de l’homme. Dialogue italo-arabe, Turin, Giappichelli, 2005, pp. 85-376, spéc. p. 105.

Ce concept a d’abord été conçu aux États-Unis (« reasonable accommodation ») en référence aux pratiques religieuses d’employés face aux exigences de leurs employeurs (R. Cera, « Article 2 (Definitions) » in V. Della Fina, R. Cera et G. Palmisano (eds.), The United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities : A Commentary, Springer, 2017, pp. 107-118, spéc. p. 114 ; E. Bribosia, J. Ringelheim et I. Rorive, « Aménager la diversité : le droit de l’égalité face à la pluralité religieuse », RTDH, 2009, pp. 319-373.

Certains auteurs se refusent, toutefois, de voir dans les « aménagements raisonnables » une quelconque forme de discrimination positive en s’appuyant essentiellement sur le fait que, justement, lesdits « aménagements » ne peuvent s’inscrire dans une durée limitée (O. Mikola, Reasonable Accommodation and Disability, mémoire, Budapest, Central European University, 2015, p. 38). Cette position semble trop dogmatique d’autant plus qu’en même temps elle semble refuser qu’une discrimination positive puisse être autre que simplement « allowed ».

Pour un auteur, l’inclusion du refus d’aménagements raisonnables dans la définition de la discrimination est la majeure innovation de la Convention (Ph. Reyniers, « A Note on the Experimentalist Nature of the Rights of Persons with Disabilities » in D. Estrada-Tanck (eds.), Human Rights of Persons with Disabilities in International and EU Law, EUI Working Papers, 2016, pp. 77-91, spéc. p. 77). Pour R. Cera, il s’agit d’une forme de discrimination sui generis (« Articolo 5. Eguaglianza e non discriminazione » in Istituto di Studi Giuridici Internazionali, La Convenzione delle Nazioni Unite del 2007 sui diritti delle persone con disabilità:
modalità di recepimento, attuazione a livello nazionale e regionale, strumenti di monitoraggio, rapport final, 2008, pp. 85-101, spéc. p. 87).

R. Cera, « Article 5 (Equality and Non-Discrimination) », op. cit., spéc. p. 167.

Il reste à voir si les finances privées de personnes non handicapées mais qui sont censées offrir des prestations à des personnes handicapées peuvent être pareillement régies par la clause du « disproportionné ou indu ». En principe, toutefois, c’est la collectivité qui se charge des affirmative actions, pas les particuliers et, si ces derniers sont parfois en première ligne, des subventions ou une fiscalité allégée pourraient compenser les frais exposés. Voir pour une intéressante discussion sur l’impact financier des « aménagements raisonnables », qui, après tout, en permettant aux personnes handicapées de travailler, épargnent à la collectivité d’autres sortes de subsides qui devraient leur être alloués, A. Nilsson, « Article 2 (Definitions) » in I. Bantekas, M. Ashley Stein et D. Anastasiou (eds.), The UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities. A Commentary, Oxford, OUP, 2018, pp. 63-83, spéc. p. 80 et s.

L’article 1er du Protocole interaméricain de San Salvador de 1988 est conçu de manière analogue : « Les États parties au présent Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme s’engagent à adopter les mesures nécessaires […], selon les ressources disponibles et compte tenu de leur degré de développement, pour parvenir progressivement, et conformément à la législation interne, à assurer le plein exercice des droits reconnus dans le présent Protocole ».

Dans « disponible », il y a toujours une référence au limité, au fini.

Ce qui est curieux est que la Convention sur les personnes handicapées contient elle-même une disposition reflétant l’article 2 §1 du Pacte. Son article 4 §2 énonce que, « dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, chaque État Partie s’engage à agir, au maximum des ressources dont il dispose […] en vue d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international ».

La notion a pu faire l’objet de critiques plus ou moins sévères. Voir pour les débats académiques la concernant Cera, « Article 2 (Definitions) », op. cit., p. 115. Et, pour les débats jurisprudentiels, Marie-Louise Jungelin c. Suède, opinion du Comité du 2 octobre 2014.

On présume que « indu » est l’antonyme de « dû ». L’indu est « ce qu’on ne doit pas », nous apprend le Littré(https://www.littre.org/definition/indu) ou, pire, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, ce qui est « contraire à la règle » ou « ce qui n’est pas conforme à la loi » (https://www.cnrtl.fr/definition/indu). Il se peut que la version française ait accepté sans beaucoup de réflexion le terme anglais de « undue » qui signifie, selon le Oxford, « unwarranted or inappropriate because excessive or disproportionate » (https://www.lexico.com/definition/undue) ou bien, selon Macmillan, « not necessary or reasonable » (https://www.macmillandictionary.com/dictionary/british/undue). Dans ce cas, on peut se demander, néanmoins, quelle peut être la différence (ou même la nuance) entre « disproportionate » and « undue », les deux termes qui qualifient « burden » dans la version anglaise de la Convention.

Voir des observations ainsi qu’un bref aperçu de l’examen des rapports nationaux par le Comité des droits des personnes handicapées in C. Pyaneandee, International Disability Law : A Practical Approach to the United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities, Londres, Routledge, 2018 (dans son commentaire de l’article 5).

Il va de soi, par exemple, que l’interdiction des traitements inhumains ou du travail forcé, la protection de la vie humaine, voire même le respect du domicile, de la liberté de pensée et d’autres droits « civils » n’ont que faire du « raisonnable ». La « raison » se réfère presqu’exclusivement à des droits sociaux, économiques et culturels.

Contra Corsi selon laquelle « ‘‘reasonable’’ should be understood as referring to effectiveness, rather than as an exception clause related to cost » (op. cit., p. 165).

Nous soulignons.

Nous soulignons.

Des auteurs expriment des doutes quant à l’imposition de mesures de discrimination positive par al Convention tout en considérant que le Comité sur les personnes handicapées s’avance petit à petit vers une affirmation de cette obligatoriété (T. Teklé, « An International Perspective of Affirmative Action » in O. Dupper et K. Sankaran (dir.), Affirmative Action. A View from the Global South, Stellenbosch, Sun Press, 2014, pp. 89-117, spéc. p. 105).

Ce sont des obligations, explique une auteure, « derived from the object and purpose of the Women’s Convention » (R. Cook, « Obligations to Adopt Temporary Special Measures under the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women » in I. Boerefijn, F. Coomans, J. Goldschmidt, R. Wolleswinkel et R. Holtmaat (eds.), Temporary Special Measures : Accelerating de Facto Equality of Women Under Article 4(1) UN Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women, Anvers, Intersentia, 2003,  pp. 123-142, spéc. p. 130 et s.).

G. Calvès, parle d’un dispositif théoriquement temporaire (La discrimination positive, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 4ème éd., 2016, p. 40 et s). Il est intéressant de noter avec Nicole M. Lederer que la quasi-totalité des législations nationales s’abstiennent d’envisager concrètement la fin de leur validité (Affirmative Action : A Never-Ending Story ?, thèse, Université d’Adélaïde, Australie, 2013, p. 41 ; même constatation chez Bossuyt (La notion d’action positive et son application pratique, op. cit., par. 106) même si la question de la terminaison n’est plus un tabou, notamment dans certaines décisions de la Cour suprême des États-Unis. Lederer donne comme contre-exemple la législation indienne en faveur, notamment, des intouchables, les mesures censées leur venir en aide étant d’une durée de dix ans, à ceci près que ces mesures peuvent être tacitement reconduites, ce qui advient constamment depuis l’indépendance de l’Inde en 1947 (ibid., p. 40). Pour plus de détails sur cet État qui a ancré l’affirmative action dans sa Constitution même S. Parikh, The Politics of Preference. Democratic Institutions and Affirmative Action in the United States and India, Ann Arbor, Michigan University Press, 1997 ou encore M. Varn Chandola, « Affirmative Action in India and the United States : the Untouchable and Black Experience », Indian International and Comparative Law Review, 1992, pp. 101-133 et A. Deshpande, Affirmative Action in India, New Delhi, Oxford India, 2013. Pour nombre d’auteurs, l’Inde est le précurseur absolu en matière de discriminations positives (cf. U. Somer et V. Asal, « Political and Legal Antecedents of Affirmative Action : A Comparative Framework », Journal of Public Policy, 2019, pp. 359-391).

Voir pour une brève discussion sur ce point Fr. Raday (op. cit., pp. 127-128). La professeure israélienne, pleinement d’accord avec l’interprétation extensive du Comité, estime que les « mesures spéciales temporaires » sont « an integral element of de facto equality and not an exception to non-discrimination principles ».

Formellement, il s’agit d’un Protocole additionnel à la Charte africaine des droits et des peuples. Selon son article 27, l’interprétation de ses termes ainsi que son application en cas de litige relève des compétences de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Sauf erreur, c’est la première fois qu’un organe incontestablement de nature judicaire, pourra être appelé à prendre position sur des mesures d’affirmative action.

Les deux autres versions linguistiques du Protocole sont conçues (légèrement ?) différemment. La version anglaise parle de « corrective and positive action » en sachant que
 « action » est un terme plus général que « mesures ». Coupant la poire en deux, la version portugaise mentionne, elle, des « medidas correctivas e acções positivas ». Elle pose, toutefois, la question de savoir en quoi les « medidas » différeraient des « acções ».

Du fait pourtant que la Cour d’Arusha peut connaître des litiges relatif à l’application du Protocole (note précédente), les autorités nationales sont soumises à un contrôle de la part de cette Cour même s’il s’avérera extrêmement difficile (ou audacieux) pour une Cour internationale d’estimer que telle discrimination de fait a disparu.

Cette observation vaut aussi pour la version portugaise du Protocole (« Os Estados partes […] comprometem-se a […] tomar ») mais déjà, il est vrai, pas pour la version anglaise (« States Parties […] shall […] take »).

Suivant l’article 9 §1 du Protocole, « les États entreprennent des actions positives spécifiques pour promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays, à travers une action affirmative et une législation nationale et d’autres mesures » visant, entre autres, à ce que « les femmes soient représentées en parité avec les hommes et à tous les niveaux, dans les processus électoraux ». Il se peut que les termes forts utilisés ici (« actions positives spécifiques », « promouvoir », « action affirmative ») servent à compenser la relative faiblesse de la disposition générale de l’article 2 §1, litt. d, du Protocole de Maputo. Mais qui compense une faiblesse en souligne en même temps l’existence. Voir aussi dans la même veine l’article 23, litt. a, du Protocole portant sur les femmes handicapées.

G. Calvès, La discrimination positive, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 4ème éd., 2016, p. 9.

Les Comités créés par les deux Pactes de 1966 n’osent pas aller assez loin dans la voie de la discrimination positive en dépit de certaines velléités qu’ils manifestent dans certaines observations générales.

Selon le texte original, « Die Philosophen haben die Welt nur verschieden interpretiert ; es kommt drauf an, sie zu verändern » (11ème thèse sur Feuerbach, 1845).

ABSTRACT
Affirmative action is not easy to define and, in fact, several definitions may be in competition. In all cases, it presupposes the adoption of special measures in favour of a group considered to be disadvantaged for historical or systemic reasons. These measures break equality with other citizens but, precisely, they aim to achieve de facto equality with other groups that are seen as advantaged. Efforts to achieve this equality of opportunity will first have been national (United States, India, par excellence) before entering the field of international law. The 1965 Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination is, despite some legal imperfections, the treaty that will pave the way for many other treaties that include provisions on positive discrimination. One of the most debated questions is whether a treaty tolerates or imposes affirmative action. The consequences of either choice are clearly not the same. The situation becomes more complex when a treaty both condones and imposes this compensatory discrimination. Or when the toleration this treaty seems to adopt is reinterpreted into an obligation to discriminate positively.


RESUME
La discrimination positive n’est pas facile à définir et, en réalité, plusieurs définitions peuvent être en concurrence. Dans tous les cas, elle présuppose l’adoption de mesures spéciales en faveur d’un groupe considéré comme désavantagé pour des raisons historiques ou systémiques. Ces mesures rompent l’égalité avec les autres citoyens mais, justement, elles visent à réaliser une égalité de fait avec d’autres groupes qui, eux, peuvent être vus comme avantagés. Les efforts pour obtenir cette égalité de chances auront d’abord été nationaux (États-Unis, Inde, par excellence) avant d’investir le domaine du droit international. La Convention des Nations Unies de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est, malgré quelques imperfections juridiques, le traité qui montrera la voie à de nombreux autres traités incluant des dispositions sur la discrimination positive. Une des questions les plus débattues est celle de savoir si un traité tolère ou impose une discrimination positive. Les conséquences de l’un ou de l’autre choix ne sont, à l’évidence, pas les mêmes. La situation devient davantage complexe lorsqu’un traité à la fois tolère et impose cette discrimination compensatrice. Ou bien lorsque la tolérance qu’il semble adopter est réinterprétée en obligation de discriminer positivement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Partie I – Une discrimination positive excusée
    • A. Conditions susceptibles de justifier une discrimination positive dans la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale
    • B. L’autorisation de la discrimination positive dans d’autres conventions internationales
  • Partie II – Une discrimination positive imposée
    • A. Des obligations d’affirmative action face aux tolérances de l’affirmative action: un jeu risqué?
    • B. Les ambiguïtés d’une discrimination positive obligatoire dans divers autres traités internationaux