De Karl Marx à Costas Douzinas: à propos de la nature paradoxale des droits de l'homme

Lopandić Vedran

Dans La question juive[2], un texte de jeunesse, Karl Marx formule et développe sa célèbre critique des droits de l’homme, tels que proclamés notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les arguments de Marx sont bien connus : les droits de l’homme seraient ceux de « l’homme égoïste, l’homme en tant que membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu séparé de la communauté, uniquement préoccupé de son intérêt personnel »[3]. Les droits de l’homme ne seraient alors qu’un instrument idéologique au service de la société bourgeoise, instrument renforçant l’aliénation inhérente à celle-ci. Marx a repris ces idées en substance dans la Sainte famille[4], et n’est plus jamais revenu sur sa critique des droits de l’homme. On peut peut-être en déduire qu’il estimait la question réglée[5].

La critique marxienne des droits de l’homme est régulièrement revisitée par des auteurs de toute provenance. Par rapport à l’hostilité de Marx envers le concept des droits de l’homme, il est possible de distinguer trois attitudes différentes. La plus évidente consiste à simplement prendre acte du rejet des droits de l’homme par Marx. Elle est typique de certains auteurs marxistes. Par exemple, Steven Lukes écrit que « le canon marxiste ne fournit pas de raison pour protéger les droits de l’homme »[6]. Ces auteurs interprètent Marx à la lettre. La deuxième approche consiste à tenter de réconcilier Marx avec les droits de l’homme[7]. C’est le courant le plus fécond. Ces auteurs lisent la Question juive guidés par l’esprit de Marx. Dans ce sens, Ernst Bloch affirme qu’« il n’y a pas de véritable instauration des droits de l’homme sans fin de l’exploitation, pas de véritable fin de l’exploitation sans instauration des droits de l’homme »[8].  De la même manière, David Leopold[9] affirme que le projet marxiste d’émancipation ne peut se passer d’une revendication de droits. L’auteur vise à démontrer qu’il n’y a pas de véritable opposition entre la pensée du jeune Karl Marx et les revendications des droits de l’homme. Il s’agirait en quelque sorte d’un malentendu tenant au fait que les exégètes de La question juive ne prenaient pas en compte la nature polémique du texte qui fut rédigé en réponse à plusieurs articles de Bruno Bauer. Dans un esprit similaire, Lacroix et Pranchèreécrivent qu’on « voit mal comment l’émancipation individuelle (…) peut se passer d’une revendication de droits »[10]. Pour eux, la critique marxienne de l’idéologie va de pair avec une conception de la liberté individuelle qui « appelle l’idée des droits de l’homme »[11]. De son côté, Bernard Bourgeois note qu’il est « bien clair que le rejet définitif, par Marx, de l’idéologie des Droits de l’homme ne signifie aucunement que sa théorie matérialiste de l’histoire sociale anéantisse le principe même d’une affirmation réelle du droit des hommes en tant qu’individus »[12].

Il existe aussi une troisième voie, empruntée par exemple par Costas Douzinas[13] dont la démarche consiste à conserver la critique de Marx tout en prenant acte de l’importance des droits de l’homme. On peut alors parler d’une approche critique du texte de Marx. En partant du constat que les droits de l’homme « n’ont plus que des amis »[14], comme l’écrivait aussi Michel Villey[15], Douzinas affirme que les droits de l’homme représentent « l’idéologie après la fin des idéologies »[16]. En effet, rares sont ceux qui remettent les droits en question à la manière de Marx ou bien les rejettent en bloc. Toujours plus de droits ou plus d’effectivité des droits, ce sont les mots d’ordre de la modernité. Les droits sont devenus l’objet de luttes politiques, mais ils sont aussi les outils permettant l’action collective en démocratie[17]. De plus, on peut soutenir la thèse qu’ils sont devenus une politique[18]. Cependant, Douzinas avance que le triomphe du discours des droits de l’homme dans les sociétés occidentales coïncide avec l’apparition d’un sentiment collectif d’impuissance politique, d’un désabusement et d’une désillusion générale des citoyens envers les institutions démocratiques. Il s’agit de l’avènement de l’époque que l’on qualifie de post-politique, post-démocratique, ou encore post-idéologique[19]. Or, pour l’auteur, la concomitance du triomphe des droits avec l’apparition de cette impuissance collective ne serait pas le fait du hasard, et une bonne interprétation des travaux de Marx pourrait aider à éclairer ce phénomène.  

Selon Douzinas, Marx a été le premier à entrevoir la nature paradoxale des droits qui peuvent en même temps être un instrument d’émancipation et d’oppression[20]. Penser les droits de l’homme avec l’aide de Marx permettrait alors de comprendre leur double nature. Tel Janus à deux visages, écrit-il, les droits n’ont que des paradoxes à offrir[21] : ils peuvent « émanciper et dominer, protéger et discipliner »[22]. Car les droits s’opposent au pouvoir, certes, en constituant la limite matérielle à l’exercice du pouvoir souverain, mais ils sont aussi un des moyens par lesquels les « effets du pouvoir sont distribués à travers le corps social »[23]. Le philosophe italien Giorgio Agamben a également relevé ce phénomène dans ses travaux : « Comme si, à partir d’un certain moment, tout événement politique décisif était toujours à double face : en gagnant des espaces, des libertés et des droits dans leurs conflits avec les pouvoirs centraux, les individus préparent à chaque fois simultanément une inscription tacite, mais toujours plus profonde de leur vie dans l’ordre étatique, offrant ainsi une assise nouvelle et plus terrible au pouvoir souverain dont ils voudraient s’affranchir »[24].  

Les droits conquièrent des espaces de liberté – ou des zones de non-ingérence opposables aux pouvoirs publics – mais cette liberté reste encadrée : ses contours mêmes sont tracés et délimités par l’autorité à laquelle on voudrait la soustraire. Et il ne saurait en être autrement[25] : on ne s’affranchit pas de l’État lorsque l’on revendique avec succès de nouveaux droits ; on contribue plutôt à réguler le fonctionnement du pouvoir de l’État. Mais par-delà l’étrange volonté de s’affranchir de l’ordre qui rend possible l’existence même des droits[26], il nous semble que les arguments de Douzinas méritent réflexion[27]. Pour cette raison, revisiter, à la lumière des réflexions de Douzinas, les arguments que Marx expose dans la Question juive (Partie I) permet d’exposer la thèse sur la nature paradoxale des droits de l’homme (Partie II).

Partie I – La critique marxienne des Déclarations des droits de l’homme

Dans la Question juive Marx salue l’émancipation politique que les déclarations de droits apportent, tout en jugeant cette forme d’émancipation comme étant partielle (A). En effet, Marx vise « l’émancipation humaine complète », qu’à ses yeux seul le communisme peut offrir ; un des effets pervers des droits de l’homme serait alors de pérenniser les fondements de la société bourgeoise empêchant par conséquent l’avènement de la révolution que Marx appelle de ses vœux (B).

A. Les limites de l’émancipation politique selon Marx


Rédigé en 1843 et publié en 1844 à Paris[28], Sur la question juive est un texte écrit en réponse à deux articles de Bruno Bauer[29], membre du groupe des jeunes hégéliens, dans lesquels Bauer affirme, entre autres, que l’émancipation politique présuppose l’émancipation religieuse. Selon Bauer, un individu ou groupe adhérant à une religion donnée ne peut être émancipé civiquement. Par conséquent, pour que les juifs s’émancipent politiquement, affirme-t-il, il faudrait qu’ils renoncent d’abord à leur religion[30]. Dans sa réponse, Marx commence par pointer plusieurs défauts dans le raisonnement de Bauer. Au sujet de l’émancipation politique, Marx rétorque que l’État moderne ne saurait discriminer les juifs par rapport aux chrétiens ni poser comme condition qu’ils abandonnent leur religion pour accéder à la citoyenneté. Il souligne notamment que les déclarations des droits de l’homme – les instruments de l’émancipation politique – garantissent explicitement le droit à la religion[31]. Toutefois, si la question de la religion est le point de départ de son l’article, la réponse polémique de Marx s’inscrit dans une réflexion plus globale sur l’émancipation.

Selon Marx, l’émancipation politique n’est pas synonyme d’émancipation humaine : non seulement elle laisse l’aliénation religieuse intacte, mais elle la renforce et la rend plus efficace. Marx donne l’exemple des États-Unis, pays certes émancipé politiquement au sein d’un État véritablement laïc, mais qui en même temps reste le « pays de prédilection de la religiosité »[32]. Pour Marx, ceci n’est pas dû au hasard, ou à la conjoncture de la société américaine ; ce phénomène est lié à « l’essence et la catégorie »[33] de l’émancipation politique : « l’État chrétien parfait, ce n’est pas le prétendu État chrétien, qui reconnaît le christianisme comme sa base, comme la religion d’État, et prend donc une attitude exclusive envers les autres religions ; c’est plutôt l’État athée, l’État démocratique, l’État qui relègue la religion parmi les autres éléments de la société bourgeoise »[34]. Dans un État laïc, si la religion « n’est plus l’esprit de l’État (…) elle est devenue l’esprit de la société bourgeoise, de la sphère de l’égoïsme, de la guerre de tous contre tous (…). Elle a été reléguée au nombre des intérêts privés et expulsée de la communauté considérée en son essence »[35]. Ainsi, contrairement à ce que soutient Bauer[36], Marx voit dans la suppression du pouvoir politique de la religion le triomphe même de cette dernière, sa réalisation effective : « il ne faut pas se faire illusion sur la limite de l’émancipation politique. La scission (Spaltung) de l’homme en homme public et en homme privé, le déplacement de la religion qui passe de l’État à la société bourgeoise, tout cela n’est pas une étape, mais bien l’achèvement de l’émancipation politique, qui ne supprime donc pas et ne tente même pas de supprimer la religiosité réelle de l’homme »[37]. Parce qu’elle ne supprime pas la religion et la propriété privée, l’émancipation politique n’est pour Marx qu’une émancipation partielle, un pas en avant dans la bonne direction, et aucunement l’émancipation humaine définitive. C’est dans cette mesure que Marx la salue. L’émancipation politique constitue assurément un « grand progrès », selon lui, même si elle « n’est pas la dernière forme de l’émancipation humaine », mais seulement « la dernière forme de l’émancipation humaine dans l’ordre du monde actuel »[38]. Or, selon Marx, en raison des effets paradoxaux des droits de l’homme, leur consécration empêche la continuation du projet d’émancipation humaine.

B. La nature paradoxale des droits de l’homme

C’est à partir du constat sur le caractère insuffisant et partiel de l’émancipation politique que Marx analyse les instruments de cette émancipation, c’est-à-dire les déclarations de droits de l’homme de la fin du XVIIIe siècle, « sous leur forme authentique, sous la forme qu’ils possèdent chez ceux qui les ont découverts, les Américains du Nord et les Français »[39]. Concrètement, Marx analyse plusieurs déclarations comme un tout, sans s’attarder sur les spécificités historiques propres à chacune d’entre elles, toutes ces déclarations étant le produit de la même idéologie libérale[40].

Ce qui interpelle Marx d’emblée est la distinction entre les droits de l’homme et les droits du citoyen. Il juge artificielle la séparation entre la « vie générique de l’homme » (le citoyen) et sa « vie matérielle » (l’Homme). Selon lui, le citoyen auquel les déclarations font référence est, tel un spectre, « le membre imaginaire d’une souveraineté imaginaire, dépouillé de sa vie réelle et individuelle et rempli d’une généralité irréelle »[41], tandis que l’« homme » distinct du citoyen est lui bien réel et n’est nul autre que le membre de la société civile-bourgeoise, « c’est-à-dire l’homme indépendant, qui n’est rattaché à l’homme que par le lien de l’intérêt privé et de la nécessité naturelle privée de conscience, l’esclave du travail pour le gain de son propre besoin égoïste comme du besoin égoïste d’autrui »[42]. Ainsi, la référence à la figure du citoyen ne serait qu’un leurre visant à occulter la consécration des intérêts de la classe bourgeoise sous l’apparence de valeurs universelles.

Marx analyse en particulier les quatre « droits naturels et imprescriptibles de l’homme », tels qu’énoncés notamment par la Déclaration des droits de la Constitution de 1793, « la plus radicale de toutes »[43] : l’égalité, la liberté, la sûreté et la propriété. Pour Marx, ceux-ci sont tous déterminés par leur caractère de classe, « l’égoïsme de la lutte concurrentielle », de la lutte sur le marché capitaliste, étant « inscrit dans la forme même des droits »[44].

Marx reproche aux auteurs des déclarations notamment de concevoir la liberté négativement : elle apparaît comme le droit de faire tout ce qui « ne nuit pas à autrui »[45]. Elle ne repose alors pas sur les relations entre les hommes, mais plutôt sur leur séparation : « Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans nuire à autrui sont marquées par la loi, de même que la limite de deux champs est déterminée par un piquet. Il s’agit de la liberté de l’homme considéré comme monade isolée, repliée sur elle-même »[46]. Le droit de propriété privée devient alors l’application pratique de la liberté négative : « Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer  »à son gré », sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société ; c’est le droit de l’égoïsme (…) Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de sa liberté »[47]. De même, l’égalité n’aurait pas de signification politique : ce n’est que le principe en vertu duquel « tout homme est également considéré comme une telle monade basée sur elle-même »[48]. Quant à la sûreté, elle apparaît à Marx comme la « notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de police »[49]. Elle est le principe garantissant la survie et la pérennité de l’ordre établi.

Pour Marx, « aucun des prétendus droits de l’homme ne dépasse donc l’homme égoïste, l’homme en tant que membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé »[50]. Pour cette raison, proclamer ces droits nécessairement contingents comme étant « naturels et imprescriptibles » équivaut à essentialiser ou naturaliser les conditions de reproduction de la société bourgeoise. Toute la téléologie des droits tendrait alors vers ce but, la déclaration de 1789 énonçant que « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » est « le but de toute association politique »[51]. Or, selon Marx, faire « de la communauté politique (…) un simple moyen devant servir à la conservation de ces soi-disant droits de l’homme » représente une inversion insidieuse de l’ordre des choses, car le citoyen devient alors « le serviteur de  »l’homme » égoïste » et « la sphère, où l’homme se comporte en qualité d’être générique, est ravalée au-dessous de la sphère où il fonctionne en qualité d’être partiel ». Comme ultime conséquence de cette inversion, « c’est l’homme en tant que bourgeois, et non pas l’homme en tant que citoyen, qui est considéré comme l’homme vrai et authentique »[52].

Selon Marx, une des principales conséquences de la révolution bourgeoise a été de mettre à l’abri le pouvoir économique de l’intervention de l’État. En effet, en période féodale « l’ancienne société bourgeoise avait immédiatement un caractère politique », car « cette organisation de la vie populaire n’éleva pas la propriété, le travail au rang d’éléments sociaux »[53]. Pour cette raison, le pouvoir politique et le pouvoir économique coexistaient dans la même personne, celle du seigneur féodal. C’est la révolution qui a séparé l’espace social du féodalisme en deux domaines distincts : le domaine politique, qui relève de l’État, et le domaine économique, qui relève de la société civile[54]. C’est de cette manière que « la révolution politique a aboli (…) le caractère politique de la société »[55]. L’innovation principale des droits « naturels et imprescriptibles » a donc été de séparer le champ politique du champ civil ou social, et de mettre une fin à l’identification automatique du pouvoir économique avec le pouvoir politique, ce dernier relevant de l’État à la suite de la révolution[56]. La séparation effectuée, l’État se présente alors comme dominant politiquement tandis que le vrai pouvoir, le pouvoir économique, reste situé dans la société bourgeoise. La religion et la propriété, deux leviers de pouvoir de la classe dominante, ont été transformées en institutions sociales et sont ainsi protégées de l’intervention de l’État par l’effet des droits, ce qui in fine garantit plus de sécurité aux institutions bourgeoises : « L’homme ne fut donc pas émancipé de la religion ; il reçut la liberté religieuse. Il ne fut pas émancipé de la propriété ; il reçut la liberté de la propriété. Il ne fut pas émancipé de l’égoïsme de l’industrie ; il reçut la liberté de l’industrie »[57].

L’apparition des droits de l’homme aurait donc eu pour effet de dépolitiser l’économie en la renvoyant vers la société civile. Par conséquent, si les droits sont porteurs d’une émancipation partielle, ils contribuent simultanément à maintenir et renforcer l’ordre bourgeois établi. Le rejet marxien des droits ne serait alors pas la conséquence d’un quelconque manque d’empathie ou d’une hostilité envers l’inspiration humaniste des droits. En effet, face au supposé détournement du potentiel subversif des droits, Marx évoquera plus tard la nécessité de retrouver le véritable esprit de la révolution, contre « le contenu étroitement bourgeois »[58] des déclarations.

L’idée que les droits ne vont pas assez loin, qu’ils n’offrent pas tout ce qu’ils promettent a été reprise par d’autres auteurs s’inscrivant parfois dans un courant intellectuel radical ou subversif.  

Partie II – Costas Douzinas, un lointain successeur de Karl Marx

 Auteur contemporain s’inscrivant dans une démarche critique, Costas Douzinas s’est emparé de l’intuition de Marx sur la double nature des droits pour l’actualiser et la développer. Si selon Marx les droits de l’homme ont dépolitisé l’économie lors de la transformation de la société féodale en société bourgeoise, Douzinas affirme que le triomphe global des droits de l’homme vers la fin du XXe siècle a parachevé de dépolitiser le politique (A). Selon l’auteur, cela a pour conséquence d’exclure toute possibilité de changement politique radical (B).

A. Le « triomphe » des droits de l’homme et la dépolitisation du politique

Pour Douzinas, Marx a été le premier à comprendre l’effet paradoxal des droits. Toutefois, pour présenter la thèse de Douzinas sur la dépolitisation du politique, il convient au préalable de clarifier la distinction que l’auteur établit entre le politique et la politique.

En s’appuyant sur les travaux de Claude Lefort, Chantal Mouffe ou encore Jacques Rancière, Douzinas avance que, contrairement à la politique qui renvoie au sens attribué communément à ce mot[59], le politique est le domaine de la philosophie – philosophie politique voire philosophie tout court –, celui de la recherche sur l’essence de ce phénomène[60]. Dans ce sens par exemple, Chantale Mouffe écrit que « la science politique traite du champ empirique de la politique, tandis que la théorie politique, domaine des philosophes, n’interroge pas les faits de lapolitique, mais l’essence du politique »[61]. En termes heideggériens, « la politique renvoie au domaine de l’ontique alors que le politique relève de l’ontologique »[62]. L’ontique concerne donc « les variétés des pratiques de la politique conventionnelle », laquelle représente un « ensemble de pratiques et d’institutions à travers lesquelles un ordre est créé, organisant la coexistence humaine »[63] ; de son côté « l’ontologique concerne la façon même dont la société est instituée »[64] et désigne par-là « la dimension d’antagonisme […] constitutive des sociétés humaines »[65], l’auteur voyant dans le conflit et son institutionnalisation la matrice même de la société. Le mode d’institution de la société, c’est-à-dire les soubassements idéologiques, sociaux, culturels et économiques de l’ordre en place, serait alors ce qui est révélé en creux du politique, lorsque l’on parvient à transpercer le brouillard de la politique au quotidien.  D’après Claude Lefort, « le politique se révèle ainsi non pas dans ce qu’on nomme l’activité politique, mais dans ce double mouvement d’apparition et d’occultation du mode d’institution de la société »[66]. Apparition, poursuit-il, « en ce sens qu’émerge à la visibilité le procès par lequel s’ordonne et s’unifie la société, à travers ses divisions ; occultation, en ce sens qu’un lieu de la politique (lieu où s’exerce la compétition des partis et où se forme et se renouvelle l’instance générale du pouvoir) se désigne comme particulier, tandis que se trouve dissimulé le principe générateur de la configuration de l’ensemble »[67].

Selon Douzinas, les droits de l’homme peuvent contribuer à « faire émerger à la visibilité » cet élusif « principe générateur » de la société[68]. Pour l’auteur, la politique apparaît comme un « procédé de négociation entre les différentes parties du tout social »[69], son but étant de redistribuer rationnellement les ressources disponibles sans remettre en cause l’ordre établi. Il s’agit d’une forme de politique consensuelle dans laquelle les groupes et les classes sociales acceptent leurs positions et rôles respectifs dans la hiérarchie de l’ensemble. Douzinas estime que dans une telle société les droits de l’homme remplissent une fonction corrective : ils permettent d’articuler les revendications de groupes sociaux et politiques divers visant à mettre en adéquation leur situation juridique avec leur condition sociale, celle-ci étant en évolution constante. Cependant, selon Douzinas, les droits ne peuvent avoir pour objet le politique en tant que tel, c’est-à-dire le mode d’institution même de la société ; il s’agirait d’une limite structurelle des revendications exprimées sous la forme des droits de l’homme[70] qui ne pourraient ainsi jamais dépasser la sphère « banale » de la politique[71].

Selon Douzinas et d’autres auteurs appelant de leurs vœux une transformation profonde de la société[72], une altération du politique, au sens ontologique du terme, implique l’émergence d’un nouveau sujet politique, un sujet qui jusque-là n’avait pas sa place dans l’ordre social et symbolique préexistant[73]. Par exemple, Rancière appelle cela la « partie des sans parties »[74], en avançant les exemples des sans-papiers ou encore des migrants ; dans la philosophie d’Alain Badiou, la rupture radicale avec l’ordre en place est appelée « Évènement »[75], concept à l’intersection de la révolution et la parousie. Pour Douzinas, le politique est en cause dès lors que des exclus demandent d’être inclus dans l’ordre (politique, juridique, économique, social, etc.). Leur irruption dans l’ordre ébranle celui-ci et modifie « les règles de l’inclusion et de l’exclusion »[76]. Telle est par exemple la position du prolétariat dans la théorie marxiste classique. Dans la société politique bourgeoise, le prolétariat n’avait pas de place : il n’était pas encore constitué en tant que sujet politique et ce n’est qu’avec la prise de conscience de classe que le prolétariat se constitue comme tel. Or, avec l’existence de l’outil des droits de l’homme, affirme l’auteur, chaque nouveau sujet se voit assigner une place prédéterminée dès son émergence. Il ne peut pas réécrire les règles d’inclusion ab initio, mais doit se contenter de revendiquer pour son propre compte des droits préexistants ou bien d’exiger un élargissement du champ d’application des droits dont d’autres jouissent déjà.

Revendiquer pour son compte et avec succès un droit quelconque serait alors une véritable manifestation de l’assujettissement[77]. De la sorte, la démarche renforce plutôt qu’elle ne perturbe l’ordre établi. Pour Douzinas, le sujet moderne n’est pas dans une situation comparable à celle des révolutionnaires des premières déclarations ou du prolétariat de la fin du XIXe siècle, « car il ne demande pas une transformation fondamentale des règles juridiques, mais seulement une redistribution limitée »[78] des ressources matérielles et positions symboliques au sein d’une société. Ce serait donc là une manifestation de la double nature des droits de l’homme : ils permettent des évolutions limitées dans la société, mais empêchent simultanément toute transformation radicale de cette dernière. Douzinas ne nie pas que les combats pour les droits de l’homme peuvent aboutir à des réarrangements marginaux des hiérarchies et à des redistributions limitées des richesses, mais comme ils ont pour effet de « dépolitiser le conflit qui est à leur base »[79], ils écartent en même temps toute possibilité de changement radical, tout comme Marx affirmait que la consécration du droit à la propriété et du droit à la liberté religieuse n’a fait in fine que placer la religion et la propriété bourgeoise hors d’atteinte de l’intervention de l’État.  

Au niveau ontologique, les droits de l’homme laissent intact le politique, ne pouvant remettre en cause les fondements mêmes de la société, la configuration de l’ensemble ; mais sur le plan ontique, au niveau quotidien de la politique, les droits peuvent servir d’instruments de lutte efficaces contre les inégalités et les oppressions. Cependant, les auteurs de la veine de Douzinas cherchent à penser précisément un changement radical des sociétés occidentales, d’où provient probablement leur désillusion face aux résultats des luttes pour les droits de l’homme qui n’ont vraisemblablement pas toujours pour but d’inciter une révolution.    

B. La tentation de la démocratie radicale

Deux siècles après la Question juive et deux décennies après La fin des droits de l’homme, les arguments de Douzinas, malgré leur caractère quelque peu impressionniste, incitent néanmoins à une certaine réflexion. Le succès du discours des droits de l’homme est indéniable, même si de toute évidence celui-ci n’est pas synonyme d’effectivité des droits. Il faut aussi convenir que les discours sur la nécessité de « radicaliser la démocratie »[80] sont florilèges et qu’un certain nombre d’auteurs s’accorde pour diagnostiquer une défaillance des systèmes démocratiques actuels. Toutefois, la question de savoir s’il existe un rapport de corrélation ou alors de causalité entre ces deux phénomènes reste ouverte.

D’aucuns soutiennent en effet que les sociétés démocratiques souffrent d’une sorte de malaise qui serait le symptôme d’une impuissance politique collective[81]. Cette insatisfaction démocratique aurait pour cause l’existence d’une demande de changement inexprimée ou inexprimable ne parvenant pas à être articulée dans la conjoncture actuelle, à savoir dans le cadre du système représentatif démocratique et libéral tel que nous le connaissons. Selon ce courant de pensée, un je ne sais quoi démocratique dont supposément jouissaient les premières générations d’après-guerre se serait peut-être irrémédiablement perdu, quelque part au tournant du siècle, et une partie de la responsabilité serait imputable aux droits de l’homme. Par-delà la nature discutable de cet argument, il semble aussi qu’une partie des auteurs déplorant la supposée impuissance collective actuelle ait en commun une certaine volonté de voir l’ordre en place transgressé ou subverti[82].  

Toutefois, même si l’on admet l’hypothèse de la fin ou du dépérissement des idéologies[82], est-il pour autant judicieux d’imputer aux droits de l’homme une partie de la responsabilité de ce déclin ? La protection des droits, en particulier à travers le développement de mécanismes nationaux et internationaux, est un acquis dont les racines remontent aux déclarations que Marx critique. Il s’agit là d’un succès à long terme du mouvement humaniste des Lumières qui a aussi inspiré les mouvements révolutionnaires socialistes et communistes du XIXe et XXe siècles. L’émancipation complète que ces derniers espéraient n’est certainement jamais venue, mais les droits de l’homme, avec parfois leurs défauts et aussi leurs limites, restent une victoire de cette lutte pour une société libre et égalitaire. Par ailleurs, associer systématiquement les droits de l’homme à un élan ou mouvement révolutionnaire, que ce soit positivement, comme le principe qui enclenche une révolution, ou négativement, comme celui qui la perturbe ou l’empêche, ne paraît pas judicieux non plus. Certes, les déclarations qu’analyse Marx ont bel et bien été portées par des révolutions, mais ce n’est par exemple pas le cas des conditions historiques de la mise en place du droit européen et international des droits de l’homme, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale[83].

Les sociétés démocratiques modernes sont désormais fondées aussi sur le respect des droits individuels. Or, les droits subjectifs, « ce fleuron de la pensée juridique moderne »[84], sous leur forme des droits de l’homme sont aussi porteurs d’une certaine éthique[85]. Il convient alors de distinguer, du moins analytiquement, la techniqueproprement juridique des droits de leur éthique, des valeurs et aspirations qu’ils portent. Il est possible en effet que ce soit l’éthique qui induise en erreur, que ce soit elle qui promette trop (la paix dans le monde, le bonheur, etc.). Marx jugeait que les droits n’allaient pas assez loin, qu’ils annonçaient une émancipation qu’aussitôt ils trahissaient. Les droits de l’homme sont « irréels », écrit Villey que Douzinas cite, « leur impuissance est manifeste (…) Leur tort est de promettre trop… Les promesses des Déclarations ont d’autant moins de chance d’être tenues que leurs formules sont incertaines, indéterminées »[86]. En pressentant peut-être l’écueil, Marx s’est toujours gardé d’articuler ses revendications politiques et sociales sous forme de droits. Ainsi, il n’énonça jamais un quelconque droit au communisme ; il préféra l’ambiguïté du silence, laissant aux commentateurs la tâche de déchiffrer son attitude[87]. Toutefois, si l’on convient que les droits de l’homme promettent trop, il en va de même a fortiori des projets révolutionnaires… 

 Toutefois, les droits de l’homme n’ont pas pour objet de transformer radicalement la société[88]. On ne s’attend pas à une révolution à chaque réforme du droit des contrats ou du Code civil. En revanche, on attend une petite révolution (toujours plus de progrès, toujours plus d’effectivité des droits, etc.) de chaque arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, ou presque. Or, le travail des droits est lent. Ils contribuent à modifier une société, certes, mais par petites touches. Par exemple, la présence obligatoire de l’avocat dès le début de la garde à vue[89], ou encore l’abolition progressive de la peine de mort en Europe[90], sont des réformes qui n’ont pas eu pour effet de transformer en profondeur les sociétés européennes là n’était d’ailleurs pas leur but mais elles ont certainement contribué à aider concrètement des individus. Ces exemples démontrent que les droits peuvent réaliser ce pour quoi ils ont été conçus : protéger l’individu des abus de la puissance publique (et non pas apporter une révolution)[91]. Par ailleurs, la thèse du déclin idéologique global, de l’avènement de l’ère post-politique, n’est pas neutre : il semble que les auteurs qui la défendent regrettent le déclin d’une idéologie en particulier, à savoir une certaine idéologie révolutionnaire… Or, les autres idéologies ne sont pas nécessairement affectées par ce déclin. Le succès des thèses déplorant la fin de l’ère politique pourrait alors être le symptôme du dépérissement de l’idéologie révolutionnaire d’extrême gauche, et aucunement la confirmation de la fin de toutes les idéologies.   

Quid des droits en guise de conclusion ? Il faut rester critique envers les droits de l’homme, certes, ne pas sombrer dans l’angélisme, ou dans cette attitude d’« insignifiance satisfaite »[92] que dénonce Douzinas. Les droits de l’homme ne sont pas la solution à tous les maux. Il convient de bien circonscrire leur champ d’intervention dans une société pour in fine se garder d’exiger trop de leur part : le respect des droits de l’homme n’apportera pas le bonheur, la justice, la démocratie, mais il ne leur est pas préjudiciable non plus. Pour cette raison, il faudrait se garder tant du droit-de-l’hommisme[93] que des velléités révolutionnaires. Les petites avancées valent peut-être mieux que les grandes promesses nécessairement creuses.

Auteurs

Vedran Lopandić, Docteur en droit public à l'Université de Strasbourg

Pour citer cet article

Vedran Lopandić, « De Karl Marx à Costas Douzinas : à propos de la nature paradoxale des droits de l’homme », Europe des Droits & Libertés/Europe of Rights & Liberties, 2023/1, n°7, pp. 356-368.

Cet article est une version revue et remaniée d’une intervention faite aux Rencontres pluridisciplinaires à l’occasion du bicentenaire de Karl Marx (1818-2018), le 21 octobre 2018, à l’Université de Strasbourg. 

Karl Marx, Sur la Question juive (1844), trad. J-F. Poirier, Paris, La Fabrique éditions, 2006.

Ibid., p. 57.

Karl Marx, Friedrich Engels, La sainte famille, trad. E. Cogniot, Paris, Éditions sociales, 1972, pp. 142-145.

Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels définissent le droit comme « la volonté de [la classe bourgeoise] érigée en loi, volonté dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d’existence de [cette] classe ». Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Paris, Éditions sociales, 1958, p. 7. Voir aussi Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Paris, Éditions Allia, 2018, pp. 20-24.

Steven Lukes, « Can a Marxist believe in human rights », Praxis International, vol. 1, nº 4, 1982, p. 344.

Justine Lacroix, Jean-Yves Pranchère, Le procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2016, pp. 215-245.

Ernst Bloch, Droit naturel et dignité humaine, trad. D. Authier, J. Lacoste, Paris, Payot, 1976, p. 180.

David Leopold, The Young Karl Marx. German philosophy, Modern Politics and Human Flourishing, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 150.

Justine Lacroix, Jean-Yves Pranchère, Le procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, précité, p. 216.

Ibid., p. 218.

Bernard Bourgeois, Philosophie et droits de l’homme, Paris, PUF, coll. « Questions », 1990, pp. 128-129. Italiques de l’auteur.

Voir Costas Douzinas, The End of Human Rights. Critical Legal Thought at the Turn of the Century, Oxford, Hart Publishing, 2000 ; Costas Douzinas, Human Rights and Empire. The Political Philosophy of Cosmopolitanism, Abingdon, Routledge Cavendish, 2007.

Costas Douzinas, The End of Human Rights, précité, p. 2.  

Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, 1983, pp. 8-9.

Costas Douzinas, The End of Human Rights…, précité, p. 2.

Les droits de l’homme sont le « code élémentaire de la démocratie ». Dominique Rousseau, « La démocratie ou le vol de la Joconde », in Alain Delcamp, Anne-Marie Le Pourhiet, Bertrand Mathieu, Dominique Rousseau (dir.), Nouvelles questions sur la démocratie, Paris, Dalloz, 2010, p. 145.

En 1980 Marcel Gauchet affirme que les droits de l’homme « ne sont pas une politique », thèse sur laquelle il est contraint de revenir deux décennies après. Voir Marcel Gauchet, « Les droits de l’homme ne sont pas une politique », Le Débat, 1980/3, n° 3, pp. 3-21 ; Marcel Gauchet, « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », Le Débat, 2000/3, n° 110, pp. 258-288.

V. Colin Crouch, Post-democracy, Malden, Polity, 2004 ; Mathieu Laine, Post-politique, Paris, J.-C. Lattès, 2008.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p. 101.

Costas Douzinas, The End of Human Rights, précité, p. 21.

Ibid., p. 175: « But human rights are Janus-like, they carry the dual ability to emancipate and dominate, to protect and discipline ».

Ibid., p. 165.

Giorgio Agamben, Homo sacer 1. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 131.

En droit international des droits de l’homme aussi l’État est tel Janus : il est à la fois la plus grande menace pour les droits et leur ultime garant.

Car en dehors de l’ordre de l’État, il n’y a pas de droit ni de droits, il n’y a que des mythes et des chimères : le mythe de l’état de nature ou le leurre de la révolution.

Ses travaux n’ont à ce jour pas été traduits en France, mais Costas Douzinas s’inscrit dans une certaine tradition française. On pourrait par exemple le situer dans la filiation d’auteurs tels que Michel Villey ou Pierre Legendre.

Dans la revue Deutsch–Französische Jahrbücher.

Pour une traduction française de ces articles, voir Bruno Bauer, « La question juive », trad. Jean-Marie Caillé, in Karl Marx, La question juive, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1968, pp. 57-183.
Le deuxième article de Bauer en question a été traduit en français pour la première fois par Jean-Francois Poirier pour l’édition de la Question juive présentée et commentée par Daniel Bensaïd. Voir Bruno Bauer, « L’aptitude des juifs et des chrétiens d’aujourd’hui à devenir libres », in Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 138-160.

Bruno Bauer, « L’aptitude des juifs et des chrétiens d’aujourd’hui à devenir libres », précité, p. 158.
On ne s’étonnera pas des relents antisémites du texte de Bauer. D’une manière plus discutable, certains affirment que la réponse de Marx est elle aussi entachée d’antisémitisme. Voir par exemple Robert Misrahi, Marx et la question juive, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1972.   

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 54.

Ibid., p. 38. Pour une analyse contemporaine de ce phénomène, voir par exemple Marcela Iacub, De la pornographie en Amérique. La liberté d’expression à l’Age de la démocratie délibérative, Paris, Fayard, 2010.

Ibid., p. 39.

Ibid., p. 46. « L’achèvement de l’État chrétien est l’État qui s’affirme comme État et fait abstraction de la religion de ses membres. L’État s’émancipant de la religion ne veut pas dire que l’homme réel s’émancipe de la religion » (Ibid., p. 51).

Ibid., p. 44.  

Bruno Bauer, « L’aptitude des juifs et des chrétiens d’aujourd’hui à devenir libres », précité, p. 142-145.

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 47.  

Ibid., p. 44.   

Ibid., p. 53.   

Il s’agit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, la Constitution de Pennsylvanie de 1776 et la Constitution du New Hampshire de 1776.

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 43.  

Karl Marx, Friedrich Engels, La sainte famille, précité, p. 139.

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 55.

Justine Lacroix, Jean-Yves. Pranchère, Le procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, précité, p. 220.

DDHC 1789, art. 4.   

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 55-56.   

Ibid., p. 56.  

Ibid., p. 57.  

Ibid.

Ibid.

DDHC 1789, art. 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».

DDHC 1793, art. 1 : « Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles » ; art. 2 : « Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété ». 

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 58.

Ibid., p. 59.

Costas Douzinas, The End of Human Rights, précité, p. 162.

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 60.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p. 101.

Karl Marx, Sur la question juive, précité, p. 62.

Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1851), Paris, Nouveau Monde, 2017, p. 14.

Qui est loin d’être monosémique. Voir par exemple Yves Schemeil, Introduction à la science politique, Paris, Dalloz, Les Presses Sciences Po, 3ème éd., 2015, pp. 45-48.

Voir par exemple Julien Freund, L’essence du politique, Paris, Sirey, 1965.  

Chantal Mouffe, L’illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016, p. 18.

Ibid.

Ibid., p. 19.

Ibid.

Ibid., p. 18.

Claude Lefort, Essais sur le politique, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 20.

Ibid.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p. 103. 

Ibid. p. 104.

Ibid.

Pour prendre un exemple simple : la reconnaissance du mariage pour tous représente un élargissement du nombre de titulaires du droit au mariage. Toutefois, cette victoire des défenseurs des droits de l’homme ne remet jamais en question l’institution traditionnelle et « bourgeoise » du mariage. Au contraire, elle lui confère une plus grande légitimité.

Voir par exemple les contributions réunies dans l’ouvrage collectif Costas Douzinas, S. Žižek, The Idea of Communism, Londres New York, Verso, 2010.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p. 105: « Politics proper is a form of disruption of the established social order by a group or class that has no place in it ».   

Jacques Rancière, « Who is the Subject of the Rights of Man? », South Atlantic Quarterly, vol. 103, nº 2/3, 2004, p. 304.

Alain Badiou, L’Être et l’événement, Paris, Éditions du Seuil, 1988.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p. 106.

Le sujet n’exigeant pas une réforme profonde de l’ordre, une modification des règles de l’inclusion et de l’exclusion, mais uniquement sa reconnaissance en tant que sujet de l’ordre en place.
Sur la notion d’assujettissement, voir par exemple Guillaume Le Blanc, « Être assujetti : Althusser, Foucault, Butler », Actuel Marx, 2004/2, n° 36, p. 45-62.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p. 107.

Ibid., p. 108.

Chantal Mouffe, Iñigo Errejón, Construire un peuple : pour une radicalisation de la démocratie, Paris, Éditions du Cerf, 2017 ; Dominique Rousseau,Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2015 ; Alexandros Kioupkiolis, Giorgios Katsambekis (dir.), Radical Democracy and Collective Movements Today. The Biopolitics of the Multitude Versus the Hegemony of the People, Surrey Burlington, Ashgate Publishing Company, 2014; Jeffrey W. Robbins, Radical Democracy and Political Theology, New York, Columbia University Press, 2011.

Voir par exemple Jean-Pierre. Le Goff, Malaise dans la démocratie, Paris, Éditions Stock, 2016.

Il ne s’agit pas vraiment d’appels à la révolution, ses contours étant assez vagues, mais plutôt d’un désir de révolution, désir bien entendu pour l’instant frustré. Voir par exemple, Bernard Yack. The Longing for Total Revolution: Philosophic Sources of Social Discontent from Rousseau to Marx and Nietzsche, Princeton, Princeton University Press, 1992.

Pour un résumé fouillé des débats, voir par exemple Howard Brick, « The end of ideology thesis », in Michel Freeden, Lyman Tower Sargent, Marc Stears, The Oxford Handbook of Political Ideologies, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 90-111.

On peut certes parler d’une réponse ou réaction aux totalitarismes, mais pas vraiment de révolution.

Norbert Campagna, Michel Villey. Le droit ou les droits ?, Paris, Michalon, coll. « Le Bien Commun », 2004, p. 103.

Céline Husson-Rochcongar, Droit international des droits de l’homme et valeurs. Le recours aux valeurs dans la jurisprudence des organes spécialisés, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 230.  

Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, 1983, p. 11.

Jan Kandiyali, « Is Marx’s Thought on Freedom Contradictory? », Critical Review, 2021, 33:2, pp. 171-183.

Bien entendu, tel est le cas lors du passage de la société féodale à la société bourgeoise, ou de celui, plus récent, des sociétés totalitaires aux sociétés démocratiques, mais Douzinas vise précisément ces dernières, les sociétés occidentales, où les droits de l’homme auraient atteint leur fin selon lui.

Voir par exemple Cour EDH, GC, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie, nº 36391/02 ; Cour EDH, GC, 9 novembre 2018, Beuze c. Belgique, nº 71409/10 ; Cour EDH, 11 juillet 2019, Olivieri c. France, nº 62313/12.

CourEDH, , 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, nº 14038/88 ; CourEDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, nº 40035/98 ; CourEDH, 12 mars 2003, Öcalan c. Turquie, nº 46221/99 ; CourEDH, 8 novembe 2008, Bader et Kanbor c. Suède, nº 13284/04. Voir aussi les Protocoles nº 6 et 13 à la CEDH.  

[1] « Nous n’oublions pas que les droits de l’homme sont  »opératoires » ; qu’ils sont utiles aux avocats d’excellentes causes, protègent des abus du gouvernement et de l’arbitraire du  »droit positif ». Si par impossible on rayait ce terme de notre vocabulaire, encore faudrait-il le remplacer par un autre moins inadéquat. Nous ignorons lequel. Tel est notre problème. » Michel Villey, Le Droit et les droits de l’homme, précité, p. 14.

Costas Douzinas, Human Rights and Empire, précité, p.14: « An air of self-satisfied irrelevance is the permanent characteristic of human rights conferences. The only human rights violation most human rights experts, international lawyers and diplomats have ever experienced is being served a bad bottle of wine at their working lunches ».

Alain Pellet, « Droits-de-l’hommisme et droit international », Droits fondamentaux, nº 01, 2001, https://www.crdh.fr?p=4820 Dernière consultation le 21 novembre 2022.

ABSTRACT
According to Karl Marx human rights declarations of the late eighteenth century were nothing but an ideological instrument at the service of the bourgeoisie, in particular because they protected private property and religious freedom, thus impeding real human emancipation which the revolutionary communist project was supposed to bring about.
Costas Douzinas claims that this is due to the paradoxical nature of human rights which can both liberate and oppress at the same time: they bring a certain amount of individual freedom but simultaneously protect and reinforce an inegalitarian social system. Using the distinction between politics and the political, Douzinas claims that the modern triumph of the human rights discourse makes any radical political change impossible: human rights thus become the ideology at the end of ideology.


RÉSUMÉ
Selon Karl Marx, les droits de l’homme tels que proclamés par les grandes déclarations de la fin du XVIIIème siècle ne seraient qu’un instrument idéologique au service de la société bourgeoise, en particulier parce qu’ils protègent la propriété privée et la liberté religieuse, empêchant ainsi l’émancipation humaine véritable que devait apporter le projet révolutionnaire communiste.
Pour Costas Douzinas, il s’agit là de la manifestation de la nature paradoxale des droits de l’homme qui peuvent en même temps libérer et opprimer : ils apportent une certaine mesure de liberté individuelle, mais simultanément protègent et pérennisent un système social inégalitaire. En s’appuyant sur la distinction entre la politique et le politique, Douzinas soutient que le triomphe moderne du discours des droits de l’homme empêche toute possibilité de changement politique radical : les droits de l’homme deviennent alors l’idéologie après la fin des idéologies. 

  • Partie I - La critique marxienne des Déclarations des droits de l'homme
    • A. Les limites de l'émancipation politique selon Marx
    • B. La nature paradoxale des droits de l'homme
  • Partie II - Costas Douzinas, un lointain successeur de Karl Marx
    • A. Le « triomphe » des droits de l'homme et la dépolitisation du politique
    • B. La tentation de la démocratie radicale