La Cour EDH à l’épreuve de l’invasion russe en Ukraine : l’efficacité de la protection des droits fondamentaux dans le cadre d’un conflit armé

Gakis Stefanos

L’impact de l’invasion russe en Ukraine sur l’évolution du droit et de la politique est indéniable et aura probablement des effets durables. La protection des droits fondamentaux des personnes se trouvant sur le territoire ukrainien pendant le conflit est sans aucun doute l’un des plus importants parmi les nombreux points d’intérêt soulevés. Cette tâche repose principalement sur la Convention européenne des droits de l’homme (Convention EDH) qui, dans le cadre de la régionalisation de la sauvegarde des droits fondamentaux est le principal instrument pour la protection des droits individuels en Europe, d’autant plus que le droit de l’Union européenne, qui présenterait une voie alternative à cet égard, ne peut s’appliquer dans le cas russo-ukrainien.

Or, les différents mécanismes développés pour appliquer la Convention EDH à la protection des droits individuels in concreto dans le cas ukrainien n’est pas une affaire simple. Certes, à première vue, la réaction au niveau institutionnel a semblé proportionnelle à la gravité des faits. Le volet concernant la protection des droits individuels a fait l’objet de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH). Quatre jours après le déclenchement de l’« opération spéciale » russe du 24 février, l’Ukraine a déposé une requête pour des mesures conservatoires auprès de la Cour EDH soulignant les violations massives des droits de l’homme commises par les troupes russes dans le cadre de leurs opérations en Ukraine. Le 1er mars, la Cour a répondu à cette requête en ordonnant aux autorités russes

« to refrain from military attacks against civilians and civilian objects, including residential premises, emergency vehicles and other specially protected civilian objects such as schools and hospitals, and to ensure immediately the safety of the medical establishments, personnel and emergency vehicles within the territory under attack or siege by Russian troops ».[1]

La Cour a également été le destinataire de demandes de mesures conservatoires de la part d’individus se trouvant en Ukraine et se réfugiant dans des abris, craignant pour leur vie en raison des bombardements et des tirs, sans nourriture ou avec un accès limité à celle-ci, aux soins de santé, à l’eau, à l’assainissement, à l’électricité et aux autres services interconnectés essentiels à la survie, ayant besoin d’une assistance humanitaire et d’une évacuation en toute sécurité. Suite à ces demandes, la Cour s’est à nouveau prononcée le 4 mars, indiquant aux autorités russes que

« in accordance with their engagements under the Convention, notably in respect of Articles 2, 3 and 8, they should ensure unimpeded access of the civilian population to safe evacuation routes, healthcare, food and other essential supplies, rapid and unconstrained passage of humanitarian aid and movement of humanitarian workers ».[2]

La portée des mesures conservatoires susmentionnées a été élargie le 1er avril 2022 à la suite des demandes de l’Ukraine des 16 et 28 mars. L’Ukraine a demandé des mesures conservatoires portant sur quatre points. Le premier concernait la possibilité de recours de la part de la Russie à toute forme d’armes interdites, nucléaires, chimiques ou biologiques et à la violence indiscriminée. Le deuxième portait sur la sécurité des installations nucléaires en Ukraine et de leur personnel se trouvant sous détention russe. Le troisième point appelait à la cessation de toute activité contre les autorités civiles ukrainiennes et au respect des droits fondamentaux des personnes déjà enlevées. Finalement, le quatrième point attirait l’attention de la Cour sur le transfert forcé d’un grand nombre d’Ukrainiens, dont des enfants, vers la Russie ou des parties du territoire ukrainien occupées par la Russie, et concernait l’évacuation sûre des personnes à risque en général. La Cour a considéré que les trois premières demandes de l’Ukraine étaient d’ores et déjà résolues par les mesures conservatoires ordonnées le 1er et le 4 mars et s’est contentée d’expliciter ces dernières et de réaffirmer leur champ d’action. En revanche, la quatrième demande de l’Ukraine a fait l’objet d’une nouvelle mesure de la Cour, qui ajouta que les routes d’évacuation prévues lors des mesures du 4 mars devaient permettre aux civils de se réfugier dans des zones plus sûres du territoire ukrainien[3].

La réaction face à l’invasion russe a également été immédiate sur le volet politique du Conseil de l’Europe. Le 25 février, le Comité des ministres a décidé de suspendre la Fédération de Russie de ses droits de représentation au Comité des Ministres et à l’Assemblée parlementaire[4]. Une décision similaire avait également été prise par le Comité après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, concernant pour autant uniquement les droits de représentation du pays devant l’Assemblée parlementaire[5]. Cette fois, le Conseil est allé encore plus loin en décidant, le 16 mars, de l’exclusion définitive de la Russie du Conseil de l’Europe[6]. Cette décision a également des effets catalytiques sur le plan juridique, puisque, comme nous le verrons par la suite, elle implique la perte de qualité de membre de la Convention EDH.

Si les mesures prises par la Cour EDH et le Conseil de l’Europe lors des premiers stades de l’invasion russe constituent une approche solide et une réaction adéquate face aux actions des autorités russes, la question de la protection des droits fondamentaux des personnes de toute nationalité se trouvant sur le territoire ukrainien continue de se poser. Dautant plus, le conflit entre dans une phase d’hostilités intenses et sera, selon toute indication actuelle, prolongé indéfiniment. En effet, la Cour EDH sera appelée pour la première fois à se prononcer sur la possibilité des violations de la Convention lors d’un conflit armé prolongé sur le territoire d’un de ses États membres. Dans ce contexte, les premières actions entreprises dans le cadre du Conseil de l’Europe et de la Cour EDH acquièrent une importance particulière. Elles soulèvent en parallèle des questions d’efficacité sur le long terme de la réponse du système européen à la protection des droits fondamentaux face à un conflit armé.

Deux éléments sont particulièrement importants à cet égard et attestent des problèmes auxquels devra faire face la Cour EDH dans les prochains mois, voire dans les prochaines années. En premier lieu, l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe signifie que la Russie ne sera plus liée par la Convention. Cela constitue un obstacle insurmontable quant à la compétence de la Cour EDH et la protection des droits fondamentaux des personnes concernées par le conflit dans le long terme, d’autant plus que la Russie refuse désormais de reconnaître la compétence de la Cour (Partie I). En second lieu, l’efficacité de la protection accordée par la Cour dépend de l’affirmation de l’exercice de juridiction de la Russie pendant le conflit armé. Les mesures conservatoires sont révélatrices de l’intention de la Cour de statuer sur l’existence des violations des droits fondamentaux protégés par la Convention EDH, nonobstant l’existence d’un conflit armé. Par ailleurs, un grand nombre de requêtes a été présenté à la Cour ces derniers mois, portant sur les effets de l’invasion russe en Ukraine vis-à-vis des droits individuels. Toutefois, ceci signifie que la Cour devra surmonter les obstacles posés par sa jurisprudence antérieure concernant un conflit armé selon laquelle, l’exercice de juridiction étatique ne peut pas être constaté dans le chaos des opérations militaires (Partie II).

Partie I – La compétence de la Cour à l’aube de l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe

 Comme pour toute juridiction internationale, pour que la Cour puisse se prononcer sur les violations de la Convention EDH, elle doit avoir la compétence de statuer sur les faits. Or, l’exclusion de la Russie soulève une question importante à cet égard. En effet, aucun membre de la Convention n’avait jamais été exclu auparavant, même si une telle procédure a déjà été envisagée pour la Grèce[7]. L’exclusion de la Russie risque de mettre la question de la compétence de la Cour sur la table et de présenter des obstacles à la protection des droits fondamentaux à cet égard. Deux enjeux distincts sont identifiables ici. Le premier concerne la détermination de la date à partir de laquelle la Russie est considérée comme déliée de ses obligations en vertu de la Convention. Le deuxième enjeu porte sur l’efficacité de la protection des droits individuels à la suite de l’expulsion de la Russie.

La détermination de la date à partir de laquelle la Russie ne sera plus membre du Conseil de l’Europe n’est pas uniquement d’ordre technique mais aura des incidences sur la compétence de la Cour à statuer sur des questions liées au conflit russo-ukrainien. Conformément à la Convention EDH, la perte de la qualité de membre du Conseil de l’Europe équivaut à la perte de la qualité de membre à la Convention[8]. De ce fait, la détermination de la date du départ définitif de la Russie du Conseil est d’une grande importance vis-à-vis du traitement des affaires portant sur les effets de l’invasion russe présentés à la Cour. Le fait que l’exclusion d’un État membre ne se soit jamais produit auparavant complique davantage toute tentative de dissoudre toute ambiguïté par le biais d’un recours à une solution précédente.

Les éléments pertinents pour la détermination de la date en question se trouvent dans le Statut du Conseil de l’Europe et dans la Convention EDH[9]. Selon l’article 8 du Statut, le Comité peut décider d’exclure un État membre à compter de la date indiquée par le Comité lui-même. Ceci marque l’opposition avec l’article 7 du Statut portant sur le départ volontaire d’un État membre, le départ en question n’étant effectif qu’à partir de la fin de l’année financière au cours de laquelle il a été annoncé[10]. En parallèle, l’article 58 de la Convention EDH consacre les détails de la dénonciation de la Convention par un État membre. Elle dispose qu’un État cesse d’être membre de la Convention six mois après en avoir informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe[11]. Elle précise également de manière explicite que l’État demeure lié par ses obligations en vertu de la Convention pendant les six mois qui s’écoulent entre la dénonciation et le départ définitif[12]. Ces conditions s’appliquent également lorsqu’une Partie contractante qui cesse d’être membre du Conseil de l’Europe cesse également d’être Partie à la Convention EDH « sous la même réserve » selon le troisième paragraphe de la même disposition. Si l’article 58 dans son ensemble n’a pas été discuté in extenso lors des négociations, rendant les travaux préparatoires très laconiques, il n’existe aucun doute sur les conditions de (non) applicabilité de la Convention.

La Russie a été expulsée du Conseil de l’Europe le 16 mai 2022 par une décision du Comité des Ministres donnant suite à une proposition de l’Assemblée parlementaire[13]. Les deux documents indiquent que l’expulsion de la Russie devrait avoir un effet immédiat. Ainsi, l’Assemblée parlementaire suggère que le Comité devra décider d’une « date aussi rapprochée que possible » à partir de laquelle la Russie cesserait d’être membre[14]. De son côté, le Comité indique dans sa décision que la Russie « cesse d’être membre du Conseil de l’Europe à compter du 16 mars 2022 »[15]. La formulation ne laisse aucun doute quant au fait que la Russie n’est plus considérée comme un membre du Conseil de l’Europe, et ce avec effet immédiat. Cela signifie que la Russie cessera d’être membre à la Convention EDH à partir du 16 septembre, une interprétation qui est conforme à une approche littérale et téléologique du texte. La Cour[16] et le Comité des ministres[17] ont eux aussi confirmé cette approche en la considérant évidente et au-delà de toute nécessité de justification au sein du texte de leurs décisions respectives[18].

Toutefois, la Russie a opté pour une approche qui va à l’encontre de ses obligations en vertu de la Convention et qui risque de compliquer l’œuvre de la Cour pour les affaires portant sur des faits ayant lieu avant septembre 2022. En effet, le parlement russe a unilatéralement décidé que la juridiction de la Cour avait pris fin dès le 15 mai et qu’aucune décision ultérieurement adoptée par la Cour ne sera appliquée[19]. Cette décision vient clôturer une coopération d’ores et déjà problématique[20]. Ceci va à l’encontre non seulement de l’article 58 susmentionné, qui concerne les décisions portant sur les faits se déroulant pendant le délai de six mois, mais affecte aussi des décisions qui reposent sur des faits s’étant produits avant la dénonciation volontaire ou involontaire. Appliquant cette décision, la Russie n’a pas réagi d’une quelconque manière aux démarches la concernant entreprises par les organes du Conseil de l’Europe après le 16 mars, y compris les mesures conservatoires décidées par la Cour après cette date comme cette dernière l’a précisé[21].

La mission de la Cour sera d’autant plus compliquée après septembre 2022. La Cour sera bien évidemment compétente pour recevoir des requêtes dont les faits se sont produits jusqu’à cette date mais en l’absence de la participation russe, les décisions mèneront à une impasse, au moins quant à l’effectivité de la réparation. En outre, la Cour ne pourra être saisie pour aucune violation qui pourrait avoir lieu après cette date, ni pendant le conflit armé actif ni sur la continuellement fluctuante partie du territoire ukrainien qui se retrouvera progressivement sous occupation russe. Cette éventualité produira une situation inédite pour la Cour : pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la Convention EDH un État non-membre du Conseil de l’Europe contrôlera effectivement une grande partie du territoire d’un État membre, laissant la Cour impuissante pour assurer le respect de la Convention[22].

L’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe est justifiée voire s’est imposée suite aux actions du gouvernement russe, en violation flagrante des obligations entreprises en vertu du Statut du Conseil[23]. Or, nonobstant le bien-fondé de la décision prise par le Comité des ministres, il convient de souligner les effets de l’exclusion vis-à-vis de la protection des droits de l’homme. Si la suspension des droits de vote de la Russie, non seulement à l’Assemblée parlementaire mais aussi au Comité des ministres, était une mesure ayant des incidences presque uniquement politiques, l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe aura des effets catalytiques sur la protection même des droits individuels. La perte de contrôle à laquelle va faire face la Cour fera à nouveau émerger le débat sur l’utilité de l’exclusion d’un État d’une organisation internationale ayant pour objectif principal la protection des droits individuels ou même l’efficacité sur le long terme d’une telle mesure suite à un contrôle des coûts et des bénéfices[24]. Ce débat conserve son importance malgré l’intention prononcée de la Russie de quitter le Conseil de l’Europe et de dénoncer la Convention EDH[25].

Les réalités de la non-participation de la Russie ont été identifiées par la Cour qui a décidé la suspension temporaire de l’examen des affaires qui relèvent de la Russie jusqu’à ce que l’impact du départ de la Russie soit apprécié[26]. Ces affaires sont très nombreuses. En effet, plus de 8 700 affaires concernant la situation en Ukraine étaient pendantes en 2021[27] et la Russie est visée par 17 750 affaires au total selon une statistique de septembre 2022. Par ailleurs, il est certain que d’autres s’ajouteront dans la mesure où la Cour sera compétente pour statuer sur toute affaire dont les faits se sont produits avant le 16 septembre, l’intéressé(e) étant admis(e) à porter sa requête devant la Cour après l’épuisement des recours internes. Tôt ou tard, la Cour résumera l’examen des affaires relevant de la Russie nonobstant la non-participation de cette dernière. L’objectif ne consistera bien évidemment pas en l’obtient de réparation, d’autant plus que la non-coopération de la Russie quant à l’exécution est certaine. Il s’agira plutôt d’un objectif moral, de la condamnation des violations commises par les autorités russes, notamment pendant le conflit ukrainien. Or, afin que la Cour puisse remplir pleinement son rôle, certaines difficultés concernant l’affirmation de l’exercice de juridiction lors d’un conflit armé doivent être surmontées.

PARTIE II – L’affirmation de l’exercice de juridiction étatique lors d’un conflit armé

L’affirmation de l’exercice de juridiction par un État fut traditionnellement un point contentieux lors de la protection des droits fondamentaux en dehors du territoire de l’État auquel l’acte est censé être imputable. Lorsque la souveraineté d’un autre État est impliquée, notamment car les faits se produisent sur son territoire, comme c’est le cas de l’Ukraine, la situation se complique davantage. Les agissements des autorités d’un État sur le territoire d’un État tiers peuvent lui être imputés par l’existence d’un contrôle effectif sur l’espace ou sur les personnes concernées[28]. Ainsi, l’exercice du pouvoir souverain réel et de fait, indépendamment de l’existence d’une base formelle de juridiction de jure, rend les actes de l’État imputables à lui-même, malgré leur caractère extraterritorial[29]. Les affaires relevant du conflit en Ukraine reposeront dans la plupart des cas précisément sur l’exercice d’un contrôle de facto.

Toutefois, le constat d’un contrôle effectif n’est pas toujours automatique pour la Cour. Les affaires relevant du conflit ukrainien seront alors distinguées entre celles dont les faits réels auront eu lieu sur une partie du territoire ukrainien occupé par la Russie et celles qui concerneront des violations potentielles lors du conflit armé actif. Le premier cas apporte peu de difficultés pour la Cour. Le contrôle effectif est de prime abord lié à l’occupation militaire d’un territoire, comme les décisions en la matière l’indiquent[30]. La durée de l’occupation ne posera pas de problème non plus. Dans certains cas, l’occupation du territoire est illustrée par un contrôle d’une durée considérable[31]. Toutefois, d’autres cas de contrôle moins durables ont été considérés comme faisant partie de ce concept. À titre d’exemple, l’incursion temporaire sur le territoire d’un autre État a été considérée par la Cour EDH et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (‘Comm IDH’) comme l’exercice d’un contrôle effectif sur une portion du territoire de l’État territorial[32]. De ce fait, même lorsque les forces russes sont repoussées des positions récemment occupées, un exercice de juridiction peut être constaté. Sur ce point, la reprise par la Cour de sa jurisprudence précédente suffit pour traiter les affaires qui lui seront adressées.

En revanche, la situation est bien plus complexe pour ce qui est de l’attestation des violations commises pendant le conflit armé et sur les lieux où ce dernier a lieu. En effet, la jurisprudence et les décisions des organes de contrôle ont identifié l’exercice de juridiction aux actions des agents de l’État en dehors du territoire de celui-ci, y compris en cas d’absence d’un contrôle effectif du territoire. Notamment, les actes des agents de l’État résultant en une privation de liberté ont été considérés comme l’exercice d’un contrôle envers les individus impliqués par la Cour EDH[33], la CommIDH[34] et le Comité des droits de l’homme (‘ComDH’)[35]. Toutefois, les enlèvements ou la rétention d’une personne font preuve dans la plupart des cas d’une durée certaine qui facilite l’identification de l’exercice de juridiction. Ceci ne signifie pas que des actes instantanés ne puissent pas être synonymes de l’exercice de juridiction. La Cour EDH a reconnu que l’emploi de la force de la part des autorités ou de leurs agents crée un lien de juridiction. Dans l’affaire Al-Skeini c. Royaume-Uni, la Cour a reconnu une violation de l’article 2 de la Convention à l’égard des personnes qui ont été tuées dans le cadre d’opérations ou de patrouilles[36]. Par ailleurs, dans l’affaire Andreou c. Turquie la Cour a statué que des tirs de soldats turcs provenant du territoire occupé de Chypre et touchant des personnes se trouvant sur la zone neutre équivalaient à l’exercice de juridiction à l’égard des personnes susmentionnées[37]. D’autres arrêts de la Cour vont également dans ce sens[38].

Si les affaires susmentionnées concernaient le recours à la force, il s’agissait pour autant de cas s’inscrivant dans des cadres bien définis à l’égard de l’espace sur lequel les faits ont eu lieu et les acteurs impliqués. La Cour s’est montrée beaucoup plus réticente quant à la détermination de l’exercice de juridiction dans le cadre d’un conflit armé actif semblable à celui de l’Ukraine. La première affaire importante à cet égard est l’affaire Bankovic, lors de laquelle la Cour a refusé d’accepter, à propos de l’article premier de la Convention, que « l’obligation positive que fait cette disposition aux États contractants de reconnaître ‘les droits et libertés définis au titre I de la (…) Convention’ peut être fractionnée et adaptée en fonction des circonstances particulières de l’acte extraterritorial en cause » et que « toute personne subissant des effets négatifs d’un acte imputable à un État contractant ‘relève’ ipso facto, quel que soit l’endroit où l’acte a été commis et où que ses conséquences aient été ressenties, ‘de la juridiction’ de cet État aux fins de l’article 1 » [39]. De ce fait, elle n’a pas constaté une violation du droit à la vie lors des bombardements effectués par les forces armées de la plupart des pays de l’OTAN en ex-Yougoslavie en 1999.

La Cour s’est de nouveau montrée réticente sur l’affirmation de l’exercice de juridiction pendant un conflit armé généralisé dans ses récentes affaires. Ainsi, dans l’affaire Géorgie c. Russie (II), tout en constatant l’existence des violations russes pour ce qui est de la situation après le conflit, la Cour a refusé d’accepter que les actions de la Russie menant à la perte de vie pendant le conflit constituaient un exercice de juridiction, confirmant l’arrêt Bankovic. Elle a, par ailleurs, adopté une approche extensive en ce qui concerne les moyens qui rendent la détermination de l’exercice de juridiction impossible lors d’un conflit armé. En effet, aux opérations aériennes citées lors de l’arrêt Bankovic, la Cour a également ajouté les opérations des forces terrestres, ce qui est d’importance particulière pour l’emploi de l’artillerie de longue portée principalement au Donbass. L’argumentation de la Cour était fondée sur le fait que « la réalité même de confrontations et de combats armés entre forces militaires ennemies qui cherchent à acquérir le contrôle d’un territoire dans un contexte de chaos implique qu’il n’y a pas de contrôle sur un territoire » et que « lors d’opérations militaires, y compris par exemple des attaques armées, bombardements, pilonnages, menées au cours d’un conflit armé international on ne saurait en règle générale parler de ‘contrôle effectif’ sur un territoire »[40]. En outre, la Cour a pris des distances par rapport aux affaires précédentes indiquant que l’affaire Andreou c. Turquie précitée et d’autres affaires similaires « concernaient des actions isolées et ciblées comprenant un élément de proximité » [41]. La Cour a alors procédé à une distinction claire entre l’occupation de la Géorgie d’une part et le conflit armé lui-même d’autre part.

L’arrêt Géorgie c. Russie (II) est pertinent pour l’évaluation d’actions russes en Ukraine au vu de la similarité des faits et indique les limites du contrôle de la Cour à cet égard. Toutefois, avant d’examiner la possibilité d’évolution de la jurisprudence de la Cour en la matière, il convient de délimiter davantage les effets de cette approche restrictive à l’égard de l’exercice de juridiction. En effet, la Cour a considéré que seule la privation du droit à la vie dans le cadre d’un conflit armé n’était pas liée à l’exercice de juridiction. En revanche, la rétention des personnes ne relève pas du « chaos » que la guerre représente selon la Cour[42]. Par ailleurs la difficulté identifiée par la Cour de détermination de l’exercice de juridiction est limitée au volet substantiel, à savoir la violation du droit à la vie de la part des autorités et n’affecte pas le volet procédural qui porte sur l’obligation des autorités de procéder à une investigation des conditions sous lesquelles le droit à la vie d’une personne a été atteint[43].

Cette position de la Cour est susceptible d’entraver sa mission lors de l’évaluation des faits dans le cadre du conflit en Ukraine, d’autant plus que parmi les plus graves violations des droits individuels pendant la phase courante de la guerre se trouve la mort des civils dans le « chaos » du conflit. Le bombardement des différents quartiers de Kiev, Marioupol et Severodonetsk s’inscrivent dans ce cadre, d’autres villes de l’Ukraine de l’est ou du sud ayant été affectées par une situation similaire jusqu’au 16 septembre, date à laquelle la compétence de la Cour a pris fin. Il est vrai, compte tenu du caractère extraterritorial des actions russes et de l’existence d’une souveraineté concurrente, que la détermination du seuil à partir duquel un État peut être considéré comme exerçant un contrôle effectif est une tâche ardue. Les accusations des deux côtés attribuant la même attaque à l’adversaire compliquent davantage la mission de la Cour. Cependant, sous le prisme d’un conflit armé prolongé comme celui de l’Ukraine et considérant le grand nombre de victimes civiles, la Cour pourrait difficilement maintenir sa position qu’il est, par principe, impossible d’attester l’exercice de juridiction lors d’un conflit armé actif.

Les mesures conservatoires prises par la Cour à l’égard de l’invasion russe en Ukraine pourraient être considérées comme une première étape, ne serait-ce qu’implicite, puisqu’elles semblent concerner non seulement les territoires occupés par la Russie et les actions des autorités ou des agents russes à l’égard des populations vivant sur ce territoire mais aussi les zones de combat. En effet, la Russie est appelée à cesser toute attaque dirigée contre les civils, les quartiers résidentiels, les écoles et les hôpitaux tout en permettant l’accès du personnel médical et des véhicules d’urgence aux « zones attaquées ou assiégées » par les soldats russes[44]. Cette formulation laisse entendre qu’un certain contrôle peut également exister lors d’un conflit armé, ce qui contredit pour autant l’affirmation précédente de la Cour lors de l’affaire Géorgie c. Russie (II). Les mesures conservatoires qui ont été adoptées par la suite soutiennent une telle interprétation dans la mesure où elles indiquent aux autorités russes qu’elles sont sous l’obligation de permettre aux civils de se diriger vers le reste de l’Ukraine, nonobstant la conduction des opérations militaires[45]. Dans les deux cas, la thèse, par définition absolue, que l’exercice de juridiction ne peut pas être constaté lors d’un conflit armé actif semble être remise en question.

Si les mesures conservatoires font preuve d’une possibilité d’évolution de la jurisprudence de la Cour en la matière, la question de la manière par laquelle cette évolution aura lieu se pose toujours. La Cour pourrait se fonder sur son argumentation établissant que des « circonstances propres » peuvent justifier exceptionnellement l’affirmation de l’exercice de juridiction[46]. La progression lente et méthodique des forces armées russes lors de leurs opérations, les méthodes dévastatrices employées, ainsi que l’inégalité évidente de la force des deux adversaires permettant à l’armée russe de retenir non seulement l’initiative mais aussi un haut degré de contrôle lors de la conduite de ses opérations sont tous des éléments qui peuvent, s’ils sont démontrés, constituer le fondement de cette affirmation exceptionnelle de juridiction. Le lancement des missiles du côté russe envers des villes ou des installations se trouvant en dehors de la portée des hostilités du front peut lui aussi entrer dans ce contexte, considérant le caractère isolé et ciblé des frappes en question et les similarités avec les affaires susmentionnées de la Cour impliquant des tirs transfrontaliers, à une échelle bien évidemment moins étendue.

Des exemples d’autres juridictions et organes de contrôle peuvent être utiles à cet égard. En effet, les solutions adoptées par d’autres acteurs font preuve d’une flexibilité considérable et d’une approche fonctionnelle qui, dans certains cas, va plus loin que celle de la Cour quant aux limites du contrôle étatique et au degré d’effectivité requis. Le droit à la vie est particulièrement concerné par cette approche. Dans son Observation n° 36, le Comité des droits de l’homme (‘ComDH’) a reconnu que les obligations de l’État en la matière concernaient également des personnes en dehors du contrôle effectif territorial de l’État, pourvu que leur droit soit affecté par les activités de l’État de manière directe et prévisible, faisant une référence spécifique aux activités militaires[47]. À titre d’exemple, le ComDH a accepté que des actions ou des manquements de la part des autorités étatiques en dehors du territoire de l’État d’accueil puissent, sous certaines conditions, avoir pour conséquence l’exercice de juridiction de la part de ce dernier, notamment lorsque le lien de causalité entre l’action ou le manquement et la violation du droit est direct[48]. Indépendamment de la critique qui pourrait être soulevée par cette extension de la causalité, l’approche du ComDH est fondée sur le « contrôle » qu’un État exerce sur les droits d’une personne indépendamment de l’existence d’un contrôle effectif sur le territoire. Il s’agit d’une approche fonctionnelle qui, mutatis mutandis pourrait s’avérer être une source d’inspiration pour la Cour dans le contexte d’un conflit armé.

Des exemples d’une approche différente à l’égard de l’application du droit international des droits de l’homme lors d’un conflit armé peuvent aussi être recherchées auprès du système interaméricain de protection des droits de l’homme. Ainsi, contrairement à la Cour EDH, la CommIDH a accepté que le bombardement depuis un avion constituait un exercice de juridiction de la part de l’État[49]. Par ailleurs, une approche extensive de la causalité des actions étatiques et l’impact transfrontalier provoqué sur les droits individuels est adoptée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (‘CourIDH’) dans un contexte environnemental qui, tout en étant différent du cadre du conflit armé, peut être appliqué également dans ce cas, notamment lorsque les forces armées d’un pays n’exercent aucun contrôle sur le territoire ou une personne mais que leur action est directement liée à la perte d’une vie, y compris par le biais des missiles[50].

Un autre point qui doit être traité par la Cour EDH, dans le cas où elle reconnaîtrait l’exercice de juridiction menant à la privation de la vie lors d’un conflit armé, est la nature des rapports entre le droit des droits de l’homme et le droit humanitaire. La Cour internationale de justice a accepté sur ce point que l’application des deux catégories du droit international dans la détermination du caractère arbitraire de la privation de la vie suit le principe selon lequel lex specialis derogat legi generali[51]. Toutefois, le droit humanitaire ne doit pas être considéré comme constituant un bloc de lex specialis qui s’applique par définition à la place des droits de l’homme pendant toute la phase du conflit armé actif. Certaines actions peuvent être appréhendées à la fois sous le prisme du droit des droits de l’homme et du droit humanitaire, lorsque les conditions le permettent[52]. L’interaction entre les deux catégories de droit soulève également la question de l’existence des droits individuels en vertu du droit humanitaire[53] et la possibilité pour ce dernier d’être invoqué par une juridiction spécialisée en droits de l’homme comme la Cour EDH.

La Cour EDH a notamment exploré ces questions lors de l’examen de certaines affaires récentes sans pour autant avoir eu de nombreuses occasions de se prononcer à cet égard[54]. Pour ce qui est du droit à la vie, la Cour a souligné l’interaction des deux corpus du droit pendant un conflit armé international[55]. Au vu du nombre de requêtes, relevant de cette interaction, que va recevoir la Cour, un regard aux solutions adoptées par le système interaméricain pourrait s’avérer utile. En effet, à la fois le CommIDH et la CourIDH ont examiné en détail l’interaction entre les deux catégories du droit international. Le CommIDH a appliqué directement le droit international humanitaire à propos de la protection du droit à la vie, indiquant que dans certains cas, il s’agit d’une base de protection plus bénéfique pour l’individu[56]. La CourIDH a adopté une approche plus attentive employant le droit international humanitaire pour interpréter et statuer sur les obligations étatiques en vertu du droit international des droits de l’homme, sans l’appliquer de manière autonome[57]. En parallèle, l’application automatique du droit humanitaire à la place du droit international des droits de l’homme lors d’un conflit armé a été rejetée[58]. Finalement, lors de l’affaire Cruz Sanchez c. Peru, portant sur le droit à la vie lors d’un conflit armé, la Cour a employé le droit humanitaire afin de déterminer au cas par cas les pertes de vie qui étaient arbitraires en vertu de la Convention interaméricaine[59]. Une interaction entre les deux catégories du droit international autour du droit à la vie lors d’un conflit armé est explicitement constatée également dans le contexte africain, sans pour autant avoir été élaborée davantage[60].

Les affaires qui seront éventuellement présentées à la Cour EDH concernant le conflit en Ukraine rendront probablement nécessaire une certaine adaptation de la jurisprudence antérieure de la Cour aux enjeux de la situation actuelle : que ce soit par le biais de la délimitation, la réglementation du « chaos » que représentent les hostilités, ou le développement ultérieur d’une interaction fructueuse entre le droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire. Un regard sur les autres juridictions et organes de contrôle est susceptible de faciliter la tâche de la Cour vers l’adoption d’une approche plus flexible et fonctionnelle au regard des nouveaux défis que représente un monde (juridique) de plus en plus interactif et multipolaire.

Authors

Gakis Stefanos, Docteur en droit public de l’Université de Strasbourg.

Referencing

Stefanos Gakis, « La Cour EDH à l’épreuve de l’invasion russe en Ukraine : l’efficacité de la protection des droits fondamentaux dans le cadre d’un conflit armé », Europe des Droits & Libertés / Europe of Rights & Liberties, 2022/2, n°6, pp. 272-284.

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Press Release, Decision of the Court on requests for interim measures in individual applications concerning Russian military operations on Ukrainian territory, 4 March 2022, ECHR 073 (2022).

Press release, Expansion of interim measures in relation to Russian military action in Ukraine, 1 April 2022, ECHR 116 (2022).

Conseil des ministres, Décision CM/Del/Dec(2022)1426ter/2.3, Situation en Ukraine – Mesures à prendre, notamment en vertu de l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe, 25 février 2022.

Resolution 1990 (2014), Reconsideration on substantive grounds of the previously ratified credentials of the Russian delegation, 10 April 2014, §15.

Conseil des ministres, Résolution CM/Res(2022)2 sur la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe, 16 mars 2022.

L’exclusion de la Grèce avait été envisagée à la fois par l’Assemblée parlementaire et par le Comité des ministres suite à de graves violations de la Convention commises par la dictature grecque. Voir à cet égard la Résolution 361 de l’Assemblée parlementaire, 31 janvier 1968, §8(i) et la Recommandation 547 (1969) 1 de l’Assemblé consultative du Conseil d’Europe sur la situation en Grèce, 30 janvier 1969, §§6 et 7. La Grèce a pour autant opté pour dénoncer la Convention EDH. Voir dans ce sens Résolution DH (70) 1 du Comité des Ministres du Conseil d’Europe, 15 avril 1970.

Convention EDH, art. 58.

Statut du Conseil de l’Europe, adopté le 5 mai 1949, Série des traités européens n°1.

Ainsi, pour ce qui était de la Grèce, alors que la dénonciation avait été effectuée le 12 décembre 1969, la Grèce n’était plus considérée membre du Conseil de l’Europe à partir du premier janvier 1971. Voir aussi dans ce sens KISS A.C. et VEGLERIS Ph., « L’affaire grecque devant le Conseil de l’Europe et la Commission européenne des Droits de l’homme », Annuaire français de droit international, t. 17, 1971. pp. 889-931, p. 903.

Convention EDH, art. 58(3).

Ibid., (2).

Avis 300 (2022), Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, 15 mars 2022.

Ibid., pt. 20: « En conséquence, l’Assemblée est d’avis que le Comité des Ministres doit demander à la Fédération de Russie de se retirer immédiatement du Conseil de l’Europe. Si la Fédération de Russie ne se conforme pas à cette demande, l’Assemblée suggère que le Comité des Ministres fixe une date aussi rapprochée que possible à partir de laquelle la Fédération de Russie cesserait d’être membre du Conseil de l’Europe. ». 

Résolution CM/Res(2022)2, préc., pt. unique.

Resolution of the European Court of Human Rights on the consequences of the cessation of membership of the Russian Federation to the Council of Europe in light of Article 58 of the European Convention on Human Rights, 22 mars 2022, §1.

Comité des ministres, Résolution CM/Res(2022)3 sur des conséquences juridiques et financières de la cessation de la qualité de membre du Conseil de l’Europe de la Fédération de Russie, 23 mars 2022, §7.

Confrontée à une question similaire portant sur la dénonciation de la part du Rwanda de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CommADHP) a constaté que le départ d’un pays ne pouvait pas être immédiat, ceci nonobstant l’absence de toute précision dans le texte de la Charte. Voir dans ce sens CommADHP, 6 septembre 2016, Ingabire Victoire Umuhoza c. Rwanda, req. n°003/2014, §62.

« The State Duma adopted laws on non-implementation of the ECHR verdicts », 7 June 2022, disponible en ligne sur : http://duma.gov.ru/en/news/54515/, consulté le 23 juillet 2022. La Grèce avait réagi de la même manière suite à son départ. Voir dans ce sens Résolution 361 de l’Assemblée parlementaire, préc., §18.

La relation difficile entre la Russie et la Cour est illustrée par la révision constitutionnelle de 2020 qui rend possible en vertu du nouvel article 79 la non-exécution d’un arrêt de la Cour en cas de non-conformité avec la Constitution russe. Voir aussi dans ce sens CDL-AD(2020)009 Fédération de Russie – Avis sur le projet d’amendements à la constitution (tel que signé par le président de la Fédération de Russie le 14 mars 2020) relatifs à l’exécution en Fédération de Russie des décisions de la cour européenne des droits de l’homme, adopté par la Commission de Venise le 18 juin 2020.  La Cour suprême russe a elle aussi refusé l’exécution de certains arrêts de la Cour EDH. Voir à cet égard les arrêts de la Cour constitutionnelle du 19 avril 2016, no 12-П/2016 et du 19 janvier 2017, no 1-II/2017, ainsi que pour une analyse Giannopoulos C., « Jurisprudence constitutionnelle russe. Désobéir pour servir une cause. Considérations sur la première application de la nouvelle compétence de la Cour constitutionnelle russe pour filtrer l’exécution des décisions de la Cour EDH », Revue française de droit constitutionnel, 2017-1 (n°109), pp. 255-268. 

Expansion of interim measures in relation to Russian military action in Ukraine, préc., §6.

Ce cas de figure ne concerne pas uniquement l’Ukraine mais aussi d’autres pays comme la Moldavie et la Géorgie.

Statut du Conseil de l’Europe, préambule at art. 3.

Il convient de faire un parallélisme ici avec la situation à laquelle a fait récemment face le système interaméricain des droits de l’homme, suite à la dénonciation de la Charte de l’Organisation des États américains par le Venezuela et le Nicaragua. Voir aussi sur les effets de la dénonciation sur les objectifs collectifs des mécanismes de protection des droits individuels, CourIDH, 9 November 2020, Advisory Opinion OC-26/20 on the obligations in matters of human rights of a state that has denounced the American convention on human rights and the Charter of the Organization of American States, §147 : « a State’s denunciation of the OAS Charter and its withdrawal from the Organization would otherwise leave those persons under its jurisdiction entirely unprotected by the regional organs of international protection » .

Résolution CM/Res(2022)2, préc., préambule, pt. 4.

Press Release, The European Court of Human Rights decides to suspend the examination of all applications against the Russian Federation, 16 March 2022, ECHR 092 (2022).

Statistical Report on conflict-related applications, Steering Committee for Human Rights, CoE, CDDH(2021)21, 28 October 2021, pp. 4-5.

Il a été soutenu que l’exercice du contrôle effectif sur le territoire n’est pertinent qu’à cause de l’exercice d’un contrôle sur les personnes qui se trouvent sur le territoire en question. Voir dans ce sens S. Besson, « The Extraterritoriality of the European Convention on Human Rights: Why Human Rights Depend on Jurisdiction and What Jurisdiction Amounts To », Leiden Journal of International Law, vol. 25, n°4, 2012, pp. 857-884, ici p. 876. 

Observation générale n°31, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, 29 mars 2004, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, §10.

Voir à titre d’exemple CIJ, Conséquences juridiques de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136.

Voir l’exemple de l’occupation d’une partie de la Chypre de la Turquie, ainsi que les affaires de la Cour EDH en la matière.

Cour EDH, 16 novembre 2004, Issa et autres c. Turquie, req. n°31821/96, §74 ; CommIDH, 21 October 2010, Ecuador v. Colombia, Report No. 112/10.

CourEDH, 12 mai 2005, Öcalan c. Turquie, req. n°46221/99. Voir aussi CourEDH, 20 novembre 2014, Jaloud c. Pays-Bas, req. n°47708/08, §152 sur une action des soldats néerlandais en Iraq, où la Cour a jugé que « (…) l’État défendeur exerçait sa « juridiction » dans les limites de sa mission (…) aux fins d’asseoir une autorité et un contrôle sur les personnes qui passaient par ce poste ».

CommIDH, 20 March 2012, Ameziane v. United States of America, Report No. 112/12, §§30-33 ; CommIDH, 15 April 2016, Al-Masri v. United States of America, Report No. 21/16, §§ 23-25.

CommIDH, 29 juillet 1981, Casariego c. Uruguay, comm. n°56/1979, §§10.1-10.2 ; 29 juillet 1981, Delia Saldias de Lopez c. Uruguay, comm. n°52/1979. 

CourEDH, 7 juillet 2011, Al Skeini c. Royaume-Uni, req. n° 55721/07, §136.

Voir en particulier CourEDH, 27 janvier 2010, Andreou c. Turquie, req. n°45653/99, § 25.

Issa et autres c. Turquie, préc. ; 28 septembre 2006, Isaak et autres c. Turquie, req. n° 44587/98 ; 28 juin 2007, Pad et autres c. Turquie, req. n° 60167/00 ; 24 juin 2008, Solomou et autres c. Turquie, req. n°36832/97. Voir aussi l’arrêt CourEDH 21 septembre 2021, Carter c. Russie, req. n°20914/07, §130 lors de laquelle la Cour a reconnu que la juridiction de l’État peut être exercée par le biais de ses agents indépendamment de tout lien territorial.

CourEDH, 12 décembre 2001, Banković et autres c. Belgique et autres, req. n°52207/99, §75.

CourEDH, 21 janvier 2021, Géorgie c. Russie (II), req. n°38203/68, §126.

Ibid., §132.

Voir à titre d’exemple Géorgie c. Russie (II), préc., §§223-256. La Cour indique en § 239 qu’ils ont été retenus notammentaprès la cessation des hostilités sans pour autant exclure la possibilité d’une rétention pendant la phase active.

Voir aussi CourEDH, 16 février 2021, Hanan c. Allemagne, req. n°4871/16, ainsi que l’arrêt Géorgie c. Russie (II), préc.

The European Court grants urgent interim measures in application concerning Russian military operations on Ukrainian territory, préc., §5.

Expansion of interim measures in relation to Russian military action in Ukraine, préc., §13.

Voir à titre d’exemple CourEDH, 29 janvier 2019, Güzelyurtlu et autres c. Chypre et Turquie, req. n°36925/07, §192 identifiant des « circonstances propres » en Chypre. Voir aussi Hanan c. Allemagne, préc., §142 : « En l’espèce, le fait que l’Allemagne ait conservé sa compétence exclusive à l’égard des infractions graves commises par ses troupes et le fait que le droit interne et le droit international l’obligeaient de surcroît à enquêter sur ces infractions s’analysent en des ‘circonstances propres’ qui, combinées, sont de nature à faire naître un lien juridictionnel aux fins de l’article 1 de la Convention et à déclencher de ce fait l’application de l’obligation procédurale d’enquêter découlant de l’article 2. »  La Cour a déconnecté ici l’aspect procédural de la violation elle-même du droit qui n’a pas été constaté en soi.

Observation générale n°36, Article 6 du PIDCP concernant le droit à la vie, 2 novembre 2018, CCPR/C/GC/36, §63 : « Eu égard au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, un État partie a l’obligation de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire, et à toutes les personnes relevant de sa compétence, c’est-à-dire à toutes les personnes dont la jouissance du droit à la vie dépend de son pouvoir ou de son contrôle effectif, les droits reconnus à l’article 6. Cela inclut les personnes se trouvant à l’extérieur de tout territoire effectivement contrôlé par l’État mais dont le droit à la vie est néanmoins affecté par ses activités militaires ou autres de manière directe et raisonnablement prévisible (…) ». 

ComDH, 4 novembre 2020, A.S., D.I., O.I. et G.D. c. Italie, comm. n°3042/2017. Dans la communication en question, le ComDH a pris une position extensive constatant une violation du droit à la vie des personnes de la part de l’Italie qui n’a pas dirigé à temps un navire de guerre qui se trouvait à proximité pour porter secours aux naufragés en haute mer. Le Comité a considéré que, compte tenu des circonstances particulières et des obligations étatiques en vertu du droit de la mer, entre l’Italie et les naufragés avait été créée une « relation spéciale de dépendance » qui justifiait l’existence d’un contrôle effectif en vertu du lien de causalité direct et prévisible entre les actions des autorités et la situation des naufragés, nonobstant l’emplacement de ces derniers en haute mer. Cette approche va plus loin que l’affaire de la CourEDH, 2 décembre 2008,  Furdík c. Slovaquie, req. n°42994/05, §15 lors de laquelle la CourEDH avait reconnu une obligation positive des États en matière de sauvetage en mer liée au respect du droit à la vie,  concernant pour autant des endroits où l’État exerce sa juridiction, notamment sa mer territoriale.

Voir aussi CommIDH, 29 September 1999, Alejandre Jr., et al. v. Cuba, Report N° 86/99.

CourIDH, ‘Environment and Human Rights’, Advisory Opinion of 15 November 2017, OC-23/17, §101: « For the purposes of the American Convention, when transboundary damage occurs that effects treaty-based rights, it is understood that the persons whose rights have been violated are under the jurisdiction of the State of origin, if there is a causal link between the act that originated in its territory and the infringement of the human rights of persons outside its territory. » 

CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, préc., §25.

CIJ, Conséquences juridiques de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, §§ 36-37.

Voir aussi HILL-CAWTHORNE L., « Rights under International Humanitarian Law », EJIL, vol. 28, n°4, 2018, pp. 1187-1215.

La Cour a examiné les liens entre le droit humanitaire pour ce qui est de la liberté de la personne dans l’arrêt Hassan c. Royaume-Uni, 16 septembre 2014, req. n°29750/09, indiquant pour autant que la disposition serait interprétée et appliquée à la lumière des règles pertinentes du droit international humanitaire que si l’État le demande expressément. Voir aussi l’arrêt Géorgie c. Russie (II), notamment §§ 92-95 et 234-237 lors duquel la Cour a procédé principalement à un contrôle de compatibilité entre les deux corpus du droit.

CourIDH, 18 septembre 2009, Varnava et autres c. Turquie, req. n°16064/90 et autres, §185.

CourIDH, 18 November 1997, Abella v. Argentina, Case No. 11.137, §161; Mapiripa´n Massacre v. Colombia, 15 September 2005, Series C, No. 134, § 115.

CourIDH, 6 December 2001, Las Palmeras v. Colombia, Series C, No. 90, §121. Voir aussi dans ce sens CourIDH, 25 November 2000, Bámaca Velásquez v. Guatemala, Series C No. 70, §207; CommIDH, 5 October 2018, José Isabel Salas Galindo et al. v. United States, Case No. 10 573, Report No. 121/18, § 324.

CourIDH, 23 February 2001, Serrano Cruz Sisters v. El Salvador, Admissibility Report, Case No. 12.132, §112.

CourIDH, 17 April 2015, Cruz Sanchez v. Peru, Series C, No. 292. Sur l’examen des différentes circonstances voir notamment le §266 de l’arrêt.

Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Observation générale n° 3 sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : le droit à la vie (article 4), 18 novembre 2015, §§13 et 32-35.

ABSTRACT
Following the invasion of Ukraine by Russia on February 24, 2022, the European Court of Human Rights decided on provisional measures against Russia. The continuation of the invasion led to the Committee of Ministers of the Council of Europe decision to exclude Russia. In the light of these developments, it is of particular interest to consider the difficulties that the European Court of Human Rights will face in the eventual consideration of applications arising from the conflict in Ukraine and to explore alternative ways of overcoming them.


RÉSUMÉ
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, la Cour européenne des droits de l’Homme a décidé de prendre des mesures conservatoires à l’égard de la Russie. La poursuite de l’invasion a contraint le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à prendre la décision d’exclure la Russie. Sous le prisme de ces évolutions, il convient de s’intéresser aux difficultés auxquelles fera face la Cour européenne des droits de l’homme lors de l’éventuel examen des requêtes relevant du conflit en Ukraine qui lui seront présentées et d’explorer des voies alternatives qui lui permettront de surmonter les différents obstacles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Partie I – La compétence de la Cour à l’aube de l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe
    • PARTIE II – L’affirmation de l’exercice de juridiction étatique lors d’un conflit armé