La conciliation de l’universalité avec la diversité culturelle. Un enjeu majeur du droit international

Moise Jean

Après avoir été souvent reléguée au rang de préoccupation secondaire pendant des décennies, la question de la diversité des cultures connaît un regain d’intérêt et constitue désormais l’un des axes fondamentaux du débat international autour de la mondialisation. Elle occupe les premières loges dans les instances internationales – l’UNESCO au premier chef qui a adopté une série d’instruments sur le sujet, dont la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Au-delà du souci de sauvegarder des intérêts économiques dans le domaine culturel, la convention de 2005 traduit surtout la nécessité de s’adapter au nouveau contexte post-guerre froide marqué par un glissement du « politique » vers le « culturel », où les questions de culture, d’identité, d’économie et de développement s’entremêlent et s’entrechoquent, et par conséquent, fait de la protection des cultures et des identités un enjeu nouveau qui suppose un encadrement juridique plus poussé[1].

Le débat autour de la question de la diversité culturelle n’est en revanche pas nouveau. Il remonte à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[2] et se cristallise autour de l’universalisme et du pluralisme. En effet, au moment de l’adoption de la Déclaration, les divergences furent vives entre ceux qui défendaient un rationalisme et un humanisme laïc et universel des droits de l’homme et ceux qui en revendiquaient une vision transcendantale et particulariste ou axée sur les réalités sociales et économiques de chaque Etat. Entre les Etats européens et américains d’une part, et les Etats communistes et arabo-musulmans d’autre part, les différences idéologiques étaient des plus expressives[3]. Les représentants arabo-musulmans ont remis en cause la plupart des articles du projet de la Déclaration[4]. Le projet de l’article 13 par exemple a fait l’objet de vives contestations, notamment de la part du représentant de l’Arabie saoudite qui estimait que la formulation qui autorisait tout individu à circuler librement à l’intérieur d’un Etat ne cadrait pas avec la doctrine musulmane, « laquelle n’est pas unanime lorsque se pose la question du droit d’accès du non-musulman au territoire sacré que constitue La Mecque »[5].

Les Etats communistes à l’époque (la Biélorussie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Ukraine, l’URSS et la Yougoslavie) avaient aussi formulé quelques réserves au texte de la Déclaration. Ils considéraient, contrairement aux Etats-Unis ou aux Etats européens qui défendaient les droits civils et politiques, que les rédacteurs devaient mettre davantage l’accent sur les devoirs de l’individu et les droits socio-économiques[6]. Le Représentant de la Yougoslavie par exemple insista sur le fait que la Déclaration devrait assurer une protection plus complète à l’être humain, pris non seulement comme individu, mais aussi en tant que membre des divers groupes sociaux. En tant que moyen de codification internationale, la Déclaration n’ouvrait pas suffisamment « à l’individu des horizons nouveaux dans le vaste domaine des droits sociaux »[7], selon lui. Les deux pactes de 1966 sur les droits civils et politiques d’une part, et sur les droits socio-économiques et culturels d’autre part, ont entériné cette interprétation concurrente sinon divergente des droits de l’homme.

En dépit des divergences de conceptions, la Déclaration – facilitée sans doute par les circonstances de l’après-guerre – a été adoptée avec un large consensus[8]. Mais on comptait à l’occasion seulement 58 Etats à Paris au Palais de Chaillot. Tous les Etats colonisés n’étaient pas représentés[9]. Après leur indépendance, ces pays ont dû se positionner par rapport à ce que le professeur Frédéric Sudre qualifie d’« instrument pré-juridique »[10] qui a été le ferment de création du droit international des droits de l’homme. Ainsi, ces Etats et des courants de pensée dans le monde arabe remettent en question la Déclaration. Ils lui reprochent d’être trop occidentale, voire « chrétienne »[11]. Selon eux, l’Occident serait peut-être moins l’‘inventeur’ des droits de l’homme qu’un simple continuateur[12]. Ils accusent la Déclaration d’ignorer les spécificités culturelles des autres civilisations et pire… de n’être qu’une façade cachant mal les visées colonisatrices d’un occident puissant, méprisant et expansionniste[13]. Pour marquer à l’encre forte leur opposition, le Conseil islamique d’Europe a proclamé le 19 septembre 1981 une Déclaration universelle des droits de l’homme alors que l’Organisation de la coopération islamique (OCI) a adopté le 5 août 1990 la Déclaration du Caire des droits de l’homme en Islam[14]. Ces deux textes revendiquent un fondement religieux des droits de l’homme contrairement à la Déclaration de 1948 qui les fonde sur l’individu et les idéaux des Lumières.

C’est donc un fait que l’universalité des droits de l’homme a été questionnée concrètement dès leur proclamation internationale et au cours des années qui ont suivi[15]. Mais cette contestation a été surtout l’œuvre des Etats dits non-alignés et des courants de pensées qui leur sont proches. Depuis près d’une vingtaine d’années, on assiste en revanche à un fléchissement. Le rejet de l’universalité ne se manifeste plus uniquement hors des murs de l’occident. Il l’est en son sein même, à la fois dans le champ académique[16] et dans la sphère politique. Dans un article qu’elle a publié récemment[17], le professeur Laurence Burguorge-Larsen montre avec de nombreux exemples que les discours anti-universalisme dépassent de très loin le cercle des penseurs et politiques non-occidentaux pour imprégner largement la pensée et la pratique en occident. Elle a cité notamment la Française Chantal Delsol, professeur émérite de philosophie et membre de l’Académie des Sciences morales et politiques qui dans un essai très critique[18] dénonce avec virulence la volonté de l’Occident d’imposer par n’importe quel moyen sa vision au reste du Monde.

Mais au-delà de ces essais très récents qui de toute évidence relancent le débat public autour de cette épineuse question, cela fait près de deux décennies que de nombreux auteurs occidentaux attirent l’attention sur l’ampleur toujours plus impressionnante des contestations de l’universalisme occidental, et réclament ainsi une nouvelle interprétation, une réadaptation, voire une nouvelle rédaction de la Déclaration de 1948 afin de prendre en compte les spécificités régionales. Cette nouvelle approche des droits de l’homme axée sur la conciliation de l’universalité avec les particularités serait, selon ces auteurs, un moyen de redonner au droit sa légitimité et un facteur d’harmonie et de paix entre les différentes civilisations du monde. Dans un entretien accordé au Journal Le Monde le 16 décembre 2010, le politologue Bertrand Badie a appelé à réécrire la Déclaration, qui d’après lui, « serait salutaire »[19], une déclaration qui fait écho à celle déjà formulée et assumée par les professeurs Joseph Yacoub[20] ou Norbert Rouland[21]. Dans la conclusion de son célèbre article publié en 1994, Samuel Huntington avait déjà fait remarquer que l’Occident devra « parvenir à une meilleure compréhension des convictions religieuses et philosophiques de base qui constituent le substrat des autres civilisations »[22]. Plus récemment les professeurs Rusen Ergec et Emmanuelle Jouannet ont pactisé, avec un accent plus nuancé, avec la même perspective[23].

Dès lors, une interrogation s’impose : en quoi la diversité culturelle et religieuse constitue-t-elle un enjeu international suffisamment pertinent pour être pris en compte dans la formulation et/ou l’application du droit ? En quoi l’intégration de la diversité des cultures dans la norme internationale des droits de l’homme favoriserait-elle l’équilibre et la paix ? L’objectif de cette contribution est de tenter de répondre à ces questions. Elle s’articule à cet effet autour de deux idées fondamentales : d’une part, la réaffirmation de la diversité culturelle dans la pratique contemporaine (Partie I), et d’autre part, la pertinence d’un système conciliant les diverses traditions culturelles (Partie II).

Partie I – L’émergence des revendications culturelles dans la pratique internationale

Depuis la fin de la guerre froide, on assiste à une véritable réactivation de l’argument culturel dans le discours international relatif aux droits de l’homme (A). Il ne s’agit plus du vieux clivage portant sur les droits civils et politiques versus droits économiques, sociaux et culturels qui antagonisait l’Est et l’Ouest, mais un désaccord entre les non-occidentaux et les occidentaux sur la place des cultures non-occidentales et de leurs spécificités dans le système universel de protection des droits de l’homme. Au nom de leurs différences culturelles et leurs pratiques traditionnelles, les non-occidentaux rejettent l’universalisme de la Déclaration universelle considéré comme un héritage occidental. Ce rejet de « l’esprit de 1948 » ainsi que son ferment – le libéralisme – se manifeste aussi dans la pratique de certains pays occidentaux (B).

A. La réaffirmation de la diversité culturelle et religieuse

A l’heure actuelle, l’idée de la diversité culturelle connaît un très net rebondissement à tel point que certains parlent de sa « renaissance »[24]. Elle est même considérée comme l’un des grands enjeux de la mondialisation[25]. D’ailleurs, personne n’ose se déclarer contre la diversité, qui serait « une source d’enrichissement mutuel pour la vie culturelle de l’humanité »[26].

Selon Bernard Wicht[27], deux types de situations expliquent cette nouvelle préoccupation internationale : d’une part, la fragmentation croissante des sociétés et, d’autre part, les discussions autour de la question de l’exception culturelle. Pour le professeur Emmanuelle Jouannet, la renaissance, voire la « reconnaissance » de la diversité culturelle s’explique par les rapprochements et les échanges mais aussi par « les conflits entre des cultures diverses et plurielles qui ne sont plus étouffées sous le clivage binaire idéologique de la guerre froide »[28]. Comme le constate la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle précitée, si les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, ils représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibres entre pays riches et pays pauvres[29]. La diversité culturelle ou diversité des expressions culturelles devient alors un instrument de sauvegarde des « cultures de chaque pays face à la domination d’un modèle culturel »[30].

A ces explications, s’ajoute une autre, de type culturaliste et essentialiste portée notamment par Samuel Huntington. Pour cet auteur, trois éléments fondamentaux expliquent la réaffirmation des cultures, des valeurs et des institutions notamment non-occidentales. Le premier est l’accroissement des moyens économiques, militaires et politiques des Etats non-occidentaux[31]. Le deuxième est la conception nouvelle du monde non-occidental de la notion de « succès » : si depuis des siècles, les sociétés non-occidentales cherchaient les clés du succès dans les valeurs et les institutions occidentales, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix « cette attitude kémaliste a changé en Extrême-Orient ». Désormais, ces sociétés renvoient leur réussite économique à leur adhésion à leur propre culture[32]. Le troisième est le « paradoxe démocratique »[33]. D’après S. Huntington, les hommes politiques des sociétés non-occidentales ne réussissent plus ou ne gagnent plus des élections parce qu’ils sont occidentalisés, mais parce qu’ils sont populaires et se montrent éthiques, nationalistes et religieux. Ce renouveau culturel s’accompagne d’un autre phénomène qui est celui de la réaffirmation de la religion, ce qu’il appelle « la revanche de Dieu »[34].

Les affirmations culturelles et religieuses se manifestent sous des formes diverses. On les retrouve particulièrement dans les discussions au sein des organes internationaux ou dans les déclarations politiques des Etats ou des groupes non-étatiques ou religieux et dans les travaux de la doctrine[35]. Elles se manifestent quelques fois avec agressivité et révolte. On peut penser en particulier aux escalades suscitées par « l’affaire des caricatures de Mahomet » : violentes manifestations « l’Islam en colère », menaces de mort, propos haineux, boycott, embrasement d’ambassades et de consulats à Damas, au Beyrouth, à Téhéran, etc.[36] Les Etats visés par ces actes ont été mis en demeure d’écarter leur conception (occidentale) de la liberté d’expression au profit d’un strict respect de la loi islamique, qui interdit la représentation du Prophète[37]. L’attentat contre le Journal Charlie Hebdo en janvier 2015 en est aussi une puissante démonstration puisqu’il s’inscrit dans la continuité des actes visant à « venger le Prophète »[38].

Sous prétexte de préserver sa spécificité culturelle face à une culture dominante, on assiste au déploiement d’un repli identitaire, de mouvements ultranationalistes, de violences inouïes. Dans son cours à l’Académie de droit international de La Haye (2009), le professeur Yasuaki Onuma a expliqué que la plupart des musulmans croient que leur civilisation islamique a déjà été attaquée par la civilisation occidentale ou capitaliste, et justifient ainsi leurs actes de violence contre l’Occident et alliés, en particulier les États-Unis et Israël, par le jihad, les qualifiant d’actes défensifs ou de contre-attaques contre la « civilisation occidentale agressive »[39]. C’est dans ce contexte que Dusan Sidjanski a fait remarquer que « la culture est souvent un motif pour faire émerger des guerres, des conflits, enfin le choc des civilisations »[40].

La communauté internationale prend acte de ce nouvel enjeu de société, et s’attelle depuis une vingtaine d’années à y apporter des réponses juridiques. L’UNESCO par exemple a adopté au début des années 2000 une Déclaration universelle sur la diversité culturelle (2001) et une Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005). L’Assemblée générale des Nations Unies a, de son côté, adopté une série de résolutions dans lesquelles elle appelle les Etats à prendre les mesures nécessaires pour promouvoir le respect des cultures et des religions afin de décourager l’intolérance et les violences basées sur la conviction[41]. Dans sa résolution 72/136 du 11 décembre 2018, l’Assemblée générale « encourage les États Membres à examiner, selon qu’il conviendra, les initiatives à prendre pour mettre en évidence des domaines d’action dans tous les secteurs et à tous les niveaux de la société en vue de promouvoir le dialogue, la tolérance, l’entente et la coopération entre les religions et les cultures »[42]. Ces Conventions et résolutions ne résolvent cependant pas le problème. Elles ne traduisent que partiellement la vraie complexité de la question des différences. La crise continue. Et dans ce premier quart du XXIe siècle, les « cultures holistes » partent en guerre contre l’universalisme[43].

B. L’universalité des droits de l’homme à l’épreuve de la diversité culturelle

Le renouveau du discours sur la diversité culturelle s’accompagne d’une remise en question de l’universalité « sur plusieurs fronts et de plusieurs façons »[44]. La contestation la plus radicale que la doctrine qualifie de « différentialiste » s’appuie sur des revendications culturelles et religieuses. Elle est portée par les Etats islamiques regroupés au sein de l’Organisation de la Conférence islamique et l’orthodoxie russe. Alors que tous les instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme adoptés jusqu’ici en Europe ou en Amérique, et en Afrique, dans une moindre mesure, rendent hommage à l’universalité et en particulier à la Déclaration universelle de 1948, la pratique arabo-musulmane témoigne en revanche d’une toute autre réalité. Les Etats islamiques affichent une résistance, voire une indifférence quand ce n’est pas un rejet en bonne et due forme de l’universalité et donc de la Déclaration de 1948. Ce rejet se manifeste à la fois dans leurs déclarations unilatérales et dans leurs instruments contraignants ou non-contraignants.

Lors de sa 142e Réunion, le 7 septembre 2014, le Conseil de la Ligue des Etats arabes a adopté, par sa résolution n° 7790[45], le Statut de la Cour Arabe des Droits de l’Homme. Dans cet instrument, aucune référence expresse, aucun hommage n’est rendu à l’universalité des droits de l’homme. Au niveau du préambule, on peut lire en revanche : « Procédant de leur foi dans la dignité de l’homme que Dieu a honoré, et afin de réaliser la justice, l’égalité, la primauté du droit et son rôle dans la protection des droits de l’homme », formule très ambiguë par laquelle ces Etats entendent fonder la création de la Cour. Selon le professeur Paul Tavernier, ce texte « laisse planer un risque de relativisme des droits de l’homme, revendiqué et pratiqué par les Etats arabes »[46]. Ces derniers manifestent dans le Statut « une grande méfiance à l’égard de la Cour dont ils redoutent l’indépendance et l’autonomie. En cela, ils sont également cohérents avec la défiance qu’ils manifestent à l’encontre des organes universels de contrôle du respect des normes relatives aux droits de l’homme »[47]. Pour d’autres auteurs, l’attitude des Etats arabes traduit un certain rejet par ces derniers de ce qu’il conviendrait d’appeler l’universalité « procédurale » et « institutionnelle », c’est-à-dire l’acceptation de la compétence des organismes de contrôle onusiens et universels[48].

Ce dernier-né des textes arabes en matière des droits de l’homme doit être considéré comme la réaffirmation du désaccord des Etats arabo-musulmans avec l’idéal de 1948, car il s’inscrit dans une longue tradition de proclamation qui va dans le même sens. Le signal a été envoyé avec la Déclaration du Caire des droits de l’homme en Islam adoptée par l’Organisation de la coopération islamique (OCI), une association de 57 États d’inspiration islamique, lors de la 19e Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères, le 5 aout 1990[49]. Cet instrument juridiquement non contraignant a une signification hautement symbolique et une grande importance dans la politique des droits de l’homme des Etats arabes. Il constitue en quelque sorte un contre-projet islamique par rapport à la Déclaration de 1948.

La Déclaration du Caire confirme le caractère divin et sacré des droits de l’homme qui trouvent leurs sources d’inspiration dans tous les livres révélés aux prophètes. Elle affirme que les Etats membres de l’OCI sont convaincus que les droits fondamentaux et les libertés publiques en Islam, font partie « de la Foi islamique », car ce sont les droits et les libertés dictées par Dieu « dans ses Livres révélés », et qui sont l’objet du message du dernier Prophète Muhammad. L’article 25 fait de la Charia « l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de quelconque des articles ».

Lors de la Conférence mondiale des droits de l’Homme des Nations Unies en 1993, les Etats arabes ont à nouveau rejeté l’universalité[50]. Réunis lors d’une conférence régionale organisée en amont de la Conférence de Vienne, ils ont adopté la Déclaration de Bangkok, qui affirme que l’universalité des droits de l’Homme implique le respect des particularismes : « Si les droits de l’homme sont par nature universels, ils doivent être envisagés dans le contexte du processus dynamique et évolutif de fixation des normes internationales, en ayant à l’esprit l’importance des particularismes nationaux et régionaux comme des divers contextes historiques, culturels et religieux »[51].

Cette affirmation a été reprise dans la déclaration finale de la Conférence de Vienne qui réaffirme cependant le caractère universel des droits de l’homme : « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des Etats, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales »[52].

Selon le professeur Robert Nouland, cette formule synthétique peut être interprétée de deux façons. Soit on y voit une « position de compromis qui reflète un consensus illusoire. Soit il porte en germe un programme spécifique, pour ce début du XXIe siècle, en proposant une nouvelle méthode de compréhension des droits de l’Homme universels ; cette méthode permet de prendre en compte de manière dynamique des facteurs particuliers tels que la culture de l’individu »[53]. Dans un sens nuancé mais traduisant à peu près la même préoccupation, le professeur Rusen Ergec croit que cette énonciation de la conférence de Vienne donne écho à la problématique de la diversité des cultures[54].

La Charte arabe des droits de l’homme du 15 septembre 1994 révisée en 2004 et entrée en vigueur en 2008 marque une exception notable par rapport à la Déclaration du Caire ou la Déclaration de Bangkok. Elle fait référence expressément à l’universalité et à la Déclaration de 1948 : « […] ayant foi également dans la primauté du droit et dans sa contribution à la protection des droits de l’homme envisagés dans leur universalité et leur complémentarité […] »[55]. Dans le paragraphe suivant, on lit : « consciente du lien étroit existant entre les droits de l’homme et la paix et la sécurité internationales, réaffirmant les principes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et tenant compte de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam ».

Le fait d’associer ces trois derniers textes, surtout la Déclaration du Caire, aux Pactes internationaux soulève cependant la question de la compatibilité de la Déclaration du Caire avec les normes internationales protégeant les droits de l’homme[56]. Car, comme il est montré plus haut, la Déclaration du Caire est en contradiction avec les textes universels. Non seulement elle ne les mentionne pas mais elle comporte de nombreuses références à la charia. Ce texte se place essentiellement dans une perspective religieuse. Dès lors, l’association de la Déclaration du Caire avec les textes universels apparaît comme une manière de rejeter subtilement l’universalité.

L’universalité est aussi questionnée par l’orthodoxie russe. Lors du dixième Concile mondial du peuple russe (VRNS), qui s’est tenu du 4 au 6 avril 2006 à Moscou, le patriarcat de Moscou a assimilé l’universalité des droits de l’homme à une forme d’hégémonie des valeurs occidentales et libérales, contradictoires avec celles de la nation et de l’orthodoxie russes : « Sous couvert du concept de droits de l’homme se cachent le mensonge et l’insulte aux valeurs religieuses et nationales », a avancé le métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad[57]. A cette occasion, l’orthodoxie a adopté une Déclaration sur les droits et la dignité de l’homme[58]. L’un des prélats a affirmé que « La déclaration élaborée par le Concile est une tentative de fonder le concept de droits de l’homme en Russie dans une interprétation asiatique et non européenne, privilégiant la communauté par rapport à l’individu »[59]. Misant sur les contestations patriarcales, la Russie tente d’opposer ses « valeurs traditionnelles » des rapports entre les hommes et les femmes aux valeurs universelles des droits de l’homme[60], en dépit des résistances du Comité consultatif des droits de l’homme qui soutient l’égalité des femmes et des hommes face aux « pratiques traditionnelles »[61].

Outre cette contestation de nature différentialiste, existe une autre forme de contestation qu’on qualifie de souverainiste. Celle-ci émane d’un ensemble d’Etats très divers du point de vue géographique, idéologique, de leur régime politique ou religieux. On y retrouve les pays de culture confucéenne (la Chine, la Corée du Nord), arabes (l’Iran, la Syrie) d’Afrique (le Rwanda), d’Amérique (le Venezuela, Cuba) ou même de l’Europe (la Pologne, la Hongrie). Selon la plupart de ces Etats, il incombe à chaque Etat, au nom de sa souveraineté, de définir et de garantir les droits de l’homme tels qu’il les conçoit et comme il l’entend[62].

Pour le souverainisme absolu, l’Occident se trompe en soutenant que le principe de souveraineté cède devant le principe de l’universalité des droits de l’Homme[63]. Chacun est maître de sa souveraineté en matière de droits de l’Homme. Ainsi, la protection internationale des droits de l’Homme doit viser tout d’abord à promouvoir la coopération internationale dans le respect des principes de chacun. Selon la Chine, « il faut, en ce qui concerne les droits de l’Homme, accorder la même importance aux droits économiques, sociaux et culturels qu’aux droits civils et politiques, et changer cet état de choses qui privilégie l’un des deux volets des droits de l’Homme aux dépens de l’autre »[64].

Récemment Paul Kagame a rejeté « les leçons de démocratie occidentale »[65], et affirmé que « la démocratie est un principe auquel chacun de nous veut être associé, du moment que le contexte, l’histoire et la culture d’un pays le permettent. Mais l’Occident dit à tout le monde de rentrer dans le moule de la démocratie occidentale, or ce n’est pas possible ». Il a ajouté que « l’Occident parle aussi beaucoup de liberté et donne des leçons sur ce sujet, mais le fait d’imposer aux gens la façon dont ils devraient vivre leur vie revient justement à nier la liberté des peuples »[66]. De leur côté, la Pologne et la Hongrie ne cessent de remettre en question l’Union européenne qui selon eux veut coûte que coûte leur imposer sa vision de démocratie libérale protectrice de l’Etat de droit et des droits de l’homme. A la vision libérale européenne, ces Etats entendent opposer une « démocratie illibérale »[67]. On se souviendra encore longtemps du bras de fer que ces deux Etats ont engagé à la fin de l’année passée contre les institutions européennes en raison du mécanisme conditionnant le financement européen au respect de l’Etat de droit[68]. Ces deux Etats européens se seraient effrayés à l’idée de perdre leur identité de pays chrétiens blancs[69].

En plus de ces deux types de contestations, il y a une troisième un peu plus récente qu’on pourrait considérer comme conjoncturelle. Cette contestation tire sa légitimité de ce que le professeur Laurence Burgorgue-Larsen appelle la « duplicité de l’Ouest »[70]. En effet, il se trouve qu’en même temps que les Etats occidentaux prônent un discours moralisateur, protecteur des droits de l’homme et de la légalité internationale au sens large, certaines de leurs pratiques ne reflètent pas toujours ce discours. Ces vingt dernières années ont été marquées par des pratiques particulièrement néfastes pour l’état de droit international. Que ce soit l’intervention américaine en Afghanistan ou en Irak, les actes de torture et de détention illégale dans les geôles d’Abu Ghraib ou dans le camp de Guantánamo[71], l’utilisation des mercenaires pour faire obstacle à l’exercice du droit à l’autodétermination ou déstabiliser certains gouvernements étrangers[72], l’utilisation des drones qui tuent à la fois des combattants et des civils sont autant de faits qui illustrent la profondeur des béances entre le discours et la réalité. Ces écarts entre les bonnes paroles occidentales et ces pratiques inadmissibles ont pour conséquence de   « pousser les autres cultures à s’affranchir d’un universalisme vu comme profondément inique et impérialiste »[73].

La crise est donc à son paroxysme. Face à ces contestations qui sont de plus en plus croissantes, d’aucuns suggèrent une conciliation de l’universalisme occidental d’avec les valeurs particularistes des sociétés contestataires.

Partie II – Vers une conciliation des valeurs universelles avec la diversité des valeurs culturelles

On assiste, à l’heure actuelle, dans les instances internationales comme dans la pratique générale des Etats, à une division permanente entre, d’un côté, les Occidentaux, conduits par les Etats-Unis et les Etats de l’Union européenne et, de l’autre, le bloc d’Etats de tendance socialiste et les Etats de l’OCI. Les positions exprimées sont si clivantes qu’elles interpellent la doctrine qui de plus en plus en appelle à une prise en compte des particularités non-occidentales afin de donner plus de légitimité à la norme internationale (A) et ainsi de réduire les tensions entre les nations (B). La question de la prise en compte des différences dans le système international de protection des droits ne va pas par contre sans soulever certaines préoccupations (C).

A. La conciliation de l’universalité avec la diversité, gage de la légitimité du droit

Lors d’une séance de travail de la Sous-Commission des Nations Unies pour la prévention des mesures discriminatoires et de la protection des minorités au Palais des Nations, à Genève, la République islamique d’Iran s’est exprimée en ces termes :
« La Déclaration et les Pactes sont en grande partie le produit du libéralisme. Au moment de leur adoption, les régimes […] occidentaux représentaient la majorité de la communauté internationale. Mais aujourd’hui, cette majorité est formée par les États nouvellement indépendants d’Asie et d’Afrique qui possèdent un riche héritage philosophique, idéologique et culturel. Par conséquent, la Déclaration doit être modifiée, le document laïc et occidental devant faire place à un instrument qui soit mieux accepté universellement et donc plus facilement applicable universellement »[74].

L’Iran avait fait cette déclaration pour protester contre la résolution n° 22/1984 dans laquelle la Sous-Commissionavait demandé aux États qui pratiquaient l’amputation de la main de « se conformer à l’article 5 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui interdit la torture ainsi que les peines ou traitements cruels ou inhumains » et à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[75]. Cette déclaration faite en 1984 illustre à elle seule toute la mésentente des Etats arabo-musulmans avec ce que François Julien appelle l’« universalité arrogante » des droits de l’homme[76]. Sans langue de bois, la République islamique d’Iran appelle à la modification de la Déclaration de 1948 afin qu’elle soit mieux acceptée et donc plus facilement applicable universellement.

Près de 40 ans après, les Etats non-occidentaux continuent d’exiger la prise en compte des valeurs particularistes pour donner plus de légitimité au droit. Lors de la Soixante-neuvième session de l’Assemblée générale, le Koweït qui s’exprimait au nom des Etats arabes du Golfe a justifié ses réserves concernant la résolution n° 27/32 du Conseil des droits de l’homme intitulée ‘Droits de l’homme, orientation sexuelle et identité de genre’ en ces termes :
« Le Royaume d’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït ont voté ensemble, au cours du vote enregistré, contre cette résolution, en tant que membres du Conseil de coopération du Golfe, en raison de la profonde préoccupation qu’ils ressentent à l’égard du fait que certains États tentent d’imposer sur la question leurs points de vue et principes contestables […] et s’obstinent à les incorporer dans les résolutions de l’ONU sans tenir compte du contexte religieux, social et culturel des différents pays et populations concernés »[77].

Les Etats arabes s’opposent à l’Occident sur un certain nombre de sujets dont la liberté des femmes, la liberté d’expression, l’avortement et la peine de mort. Sur la peine de mort, les positions exprimées par certains Etats lors du vote des résolutions intitulées ‘Moratoire sur l’application de la peine de mort’ à l’Assemblée générale montrent la réaffirmation de cette recherche constante de prise en compte des différences. L’Égypte qui a voté contre la résolution n° 62/149 ‘Moratoire sur la peine de mort’[78], estime qu’elle est en contradiction avec la charia qui interdit aussi l’avortement, sauf dans des circonstances très rares et nécessaires[79].

Plus réfractaire encore, la Chine regrette que l’Assemblée générale ait été contrainte d’examiner la question de la peine de mort en séance plénière : « La résolution 62/149 intitulée ‘Moratoire sur l’application de la peine de mort’ est le résultat de pressions exercées par certains pays qui utilisent la peine de mort comme prétexte », a précisé son Représentant[80]. Il a aussi ajouté que « Chaque pays a le droit de décider, sur la base de son système juridique et de son arrière-plan historique et culturel, quand il convient d’appliquer une forme ou une autre de sanction et de décréter un moratoire ou d’abolir »[81]. Dans le même sens, la République arabe de Syrie estime que la résolution « empiète sur le droit souverain de chaque pays à choisir son propre système politique, social, culturel et juridique. Appeler les États à établir un moratoire sur la peine de mort revient à leur demander de modifier leurs systèmes judiciaires, qui constituent l’aboutissement de leurs spécificités politique, historique, religieuse et culturelle »[82].

Pour justifier leur opposition à un projet de résolution du même genre, les Maldives ont avancé que « l’article 10 de la Constitution des Maldives stipule que l’islam doit constituer la base de toutes les lois nationales » tout en soulignant que « les mesures juridiques prévues par la charia islamique concernant l’application de cette peine doivent être rigoureusement et méticuleusement examinées dans le contexte du cadre judiciaire afin que l’application des peines ne soit pas arbitraire »[83].

Ces déclarations renseignent très clairement de l’ampleur de la mésentente. En contestant l’universalité, il apparaît cependant que ce n’est pas tant le principe des droits de l’Homme que les pays non-occidentaux veulent désapprouver que sa formulation dans la Déclaration de 1948. Ce qu’ils revendiquent, c’est un dialogue entre les diverses traditions spirituelles et morales de l’humanité – ce que Yasuaki Onuma appelle dans un sens plus nuancé « A Transcivilizational Perspective »[84] -, afin de dégager un terrain de conciliation sur laquelle on puisse fonder les droits de l’homme. Leur objectif est donc, pour reprendre les termes de Samuel Huntington, de « désoccidentaliser » les droits de l’homme. Selon le professeur Danièle Lochak, cette réadaptation de la norme internationale apparaît vitale pour sa légitimité. Dans le cas contraire, « l’universalité des droits risque de rester théorique et abstraite »[85]. D’ailleurs, rares sont les États arabes qui la mentionnent dans leurs textes constitutionnels comme l’idéal vers lequel devraient tendre leurs législations internes en matière de droits de l’homme[86].

Si une partie de la doctrine occidentale s’oppose à cette démarche voire le combat, comme Paul Tavernier par exemple qui rejette toute réécriture de la Déclaration de 1948 qui selon lui fragiliserait tout l’édifice international et régional des droits de l’homme mis en place depuis 1945[87] ou Alain Pellet qui va encore plus loin en estimant qu’un tel raisonnement « revient à remettre en cause la positivité même du droit international public – tel qu’il existe – et à affaiblir son rôle dans la normalisation (et donc la pacification) des relations internationales »[88] ou encore Mireille Delmas-Marty qui, moins tranchante, met en avant les concepts de « droits universalisables » ou « droits communs à tous les êtres humain »[89], l’idée d’une adaptation de la norme internationale aux particularismes locaux est de plus en plus soutenue par une autre partie de la doctrine qui est favorable à la prise en compte des évolutions et des réalités particulières des sociétés contemporaines.

Le professeur Bertrand Badie par exemple avance qu’« il serait salutaire de réécrire cette Déclaration, non pas pour abandonner la précédente mais pour l’enrichir, et surtout, réunir tous les Etats du monde, puisqu’en 1948 ce n’était pas l’humanité tout entière qui était regroupée derrière ce beau texte. Cet enjeu n’est pas seulement symbolique. Notre mondialisation est arrivée à un seuil où l’interdépendance devient telle qu’un contrat social universel est nécessaire »[90]. Pour Rusen Ergec « le monde d’aujourd’hui est travaillé par une profonde diversité culturelle dont il serait dangereux de ne pas tenir compte dans l’aménagement d’un système international de protection des droits de l’homme. Un tel système doit reposer sur des standards internationaux valables dans le monde entier, laissant pour le surplus une certaine place aux particularismes locaux. En d’autres termes, hormis les droits intangibles comme l’interdiction de la torture ou le droit à la vie, la plupart des droits de l’homme sont affectés d’une certaine relativité dans l’espace »[91].

Cette vision se retrouve aussi dans la jurisprudence internationale. Dans son arrêt E.S. c. Autriche du 25 octobre 2018 où elle a confirmé le verdict de la justice autrichienne condamnant la requérante, en l’occurrence Mme E.S, pour « dénigrement de doctrines religieuses », la Cour EDH a fait observer que certaines « des déclarations litigieuses dépendent, dans une certaine mesure, de la situation qui prévalait dans le pays au moment où elles ont été faites et du contexte dans lequel elles s’inscrivaient »[92]. La Cour estime en conséquence que « les autorités nationales disposaient en l’espèce d’une ample marge d’appréciation… car elles étaient mieux placées que la Cour pour apprécier quelles déclarations étaient susceptibles de troubler la paix religieuse dans leur pays ». En d’autres termes, les déclarations publiques, même si elles sont légales voire morales, doivent, selon la Cour, prendre en compte les situations nationales ou régionales particulières de leur énonciation ; elles ne doivent en principe pas négliger les divers contextes historiques, culturels et religieux de leur formulation.

Ce raisonnement de la Cour peut être interprété comme une sorte de consécration de l’idée de l’adaptation de la norme internationale aux diverses traditions locales[93]. On peut penser aussi à l’article 4.2 du Traité de l’Union européenne qui consacre le principe de l’identité nationale. De son côté, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a pris en compte des valeurs et des traditions des communautés indigènes d’Amérique du Sud, leur « cosmovision », dans plusieurs de ses arrêts[94]. Dans l’arrêt Peuple Indigène Kichwa de Sarayaku c. Equateur du 27 juin 2012, la Cour a même consacré un « droit à l’identité culturelle »[95].

Etant donné l’enjeu que représente la question des droits de l’homme et l’ampleur des controverses qu’il suscite, il semble que la réadaptation de la norme internationale en fonction des particularismes peut être aussi une condition de la paix et de la stabilité dans le monde.

B. La conciliation de l’universalisme avec la diversité, facteur de coexistence pacifique

A l’Assemblée générale des Nations Unies le 19 décembre 2016, un Etat a déclaré s’opposer « à la politisation des questions relatives aux droits de l’homme, comme à l’exercice de pressions sur certains pays au prétexte de questions relatives aux droits de l’homme »[96]. Il a ajouté : « nous sommes également opposés aux résolutions portant expressément sur la situation des droits de l’homme dans certains pays. Nous espérons que les actions de la communauté internationale seront propices à la paix et à la stabilité dans la péninsule coréenne et n’auront pas l’effet inverse »[97]. Cette déclaration visait à protester contre la résolution n° 71/202 du 19 décembre 2016, concernant la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée. Dans cette résolution, l’Assemblée générale se dit « Profondément préoccupée par la gravité de la situation des droits de l’homme, la culture d’impunité généralisée et le non-établissement des responsabilités pour les violations des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée »[98]. Dans la Déclaration sur les droits et la dignité de l’homme, adoptée par l’orthodoxie russe le 6 avril 2006, le Conseil national russe se dit « Conscient du fait que le monde se trouve à un tournant de l’histoire, il fait face à la menace d’un conflit de civilisations qui ont une compréhension différente de l’homme et de sa mission – le Conseil populaire mondial russe, au nom de la civilisation russe d’origine, accepte cette déclaration »[99].

Il s’agit bien du choc des idéologies qui fait penser notamment à la thèse de Samuel Huntington. En effet, celui-ci avait fait remarquer sur l’islam que son problème n’est ni la CIA ni le ministère américain de la Défense, mais « l’Occident, civilisation différente dont les représentants sont convaincus de l’universalité de leur culture et croient que leur puissance supérieure, bien que déclinante, leur confère le devoir d’étendre cette culture à travers le monde. Tels sont les ingrédients qui alimentent le conflit entre l’islam et l’Occident »[100]. Il avait affirmé en outre que dans un monde traversé par les conflits ethniques et les chocs entre civilisations, la croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture est dangereuse « pour le reste du monde par ce qu’il pourrait être à tout moment à l’origine d’une guerre entre les Etats phares de civilisations différentes »[101].

A la tribune des Nations Unies, les Philippines ont déclaré que « Le monde d’aujourd’hui est en proie à des idéologies et à des manifestations de méfiance et de défiance mutuelles. Chaque jour, nous avons l’occasion de nous rendre compte de la nécessité de coopérer étroitement les uns avec les autres pour surmonter les craintes mutuelles, infondées mais solidement ancrées, qui trouvent leur source dans un manque de compréhension des différentes religions et cultures et des points de vue des uns et des autres »[102]. Ainsi, pour s’attaquer efficacement à ce problème, cet Etat prône le dialogue entre les cultures et les religions : « seul le dialogue nous permettra de mieux nous comprendre et de promouvoir une culture de la paix »[103].

Même si la plupart des organisations internationales ne se montrent pas ouvertement en accord avec une telle compréhension des choses, elles n’ignorent pas cependant l’enjeu majeur que représentent à l’heure actuelle les revendications identitaires et culturelles. Dans sa résolution n° 66/154, l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît que toutes les cultures et toutes les civilisations contribuent à enrichir l’humanité. Afin de promouvoir la paix et la sécurité internationales, elle se dit « déterminée à promouvoir partout le bien-être, la liberté et le progrès et à encourager la tolérance, le respect, le dialogue et la coopération entre les cultures, les civilisations et les peuples »[104]. De même, elle a reconnu dans sa résolution n° 73/129 du 12 décembre 2018 que « le respect des différences culturelles, ethniques, religieuses et linguistiques contribue à la paix, à l’entente et à l’amitié entre personnes de cultures et de nations différentes, et que ces différences devraient être prises en compte dans les initiatives visant à favoriser le dialogue interculturel et interreligieux »[105]. A l’occasion de la Journée mondiale de la diversité en 2011, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a affirmé que « le monde ne connaîtra la paix et la solidarité que s’il accepte et célèbre la diversité »[106].

C. L’enjeu de la conciliation de l’universalité avec la diversité

Aussi intéressante qu’elle soit, la question de l’adaptation culturelle des droits de l’homme soulève certaines préoccupations – et pas des moindres. Hormis les difficultés d’ordre conceptuel qu’elle risque de poser dans l’élaboration et/ou l’aménagement des instruments, et les problèmes qui peuvent découler des négociations en vue de leur adoption[107], une difficulté d’ordre plus général – qui a été largement débattue au niveau de la doctrine – nous a apparu devoir être rappelé ici. En effet, de nombreux auteurs mettent en garde contre un retournement possible de situation. On craint que la consécration d’une définition axiologique des droits de l’homme ne serve de caution à une interprétation et une application des droits de l’homme à des fins intégristes, cloisonnant les cultures et les civilisations sur elles-mêmes et définissant l’homme non pas en fonction de ses appartenances plurielles mais sur une base exclusivement ethnoculturelle voire ethno-raciale. Danièle Lochak par exemple a soutenu que toute officialisation, toute cristallisation des différences comporte des risques : le risque de figer les appartenances et les identités ; le risque d’enfermer les différences et le statut à part les membres du groupe minoritaire ou défavorisé, et le risque de renforcer par là-même les stigmatisations[108]. Dans ces conditions, au lieu de favoriser la paix, l’officialisation des différences risquerait paradoxalement de « raviver les conflits entre des groupes, des minorités ou des Etats qui percevraient leur culture de façon totalement irréductible aux autres et où chacun tendrait à vouloir faire prévaloir son propre système culturel de valeurs »[109]. De plus, on redoute que l’argument culturel ne soit utilisé comme bouclier justifiant des pratiques culturelles néfastes, que ce soit l’excision, l’esclavage ou les mariages forcés. Déjà en 1997 l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, l’un des plus illustres tenants de la paix, la démocratie et le développement[110], avait dénoncé ces pratiques sous couvert de l’exception culturelle[111].

Il s’agit ici d’importantes préoccupations qu’on ne saurait minimiser voire banaliser. Quoiqu’imparfaits, les acquis de 1948 sont quand même à protéger. Toutefois, si l’approche « culturaliste radicale » des droits de l’homme axée sur la différence risque de conduire à des impasses, on ne peut tout de même ignorer l’importance des revendications culturelles qui sont elles-mêmes un problème réel, une source de tension constante entre les nations et/ou entre groupe d’individus et des Etats. L’affaire SAS c. France qui a mis aux prises cet Etat qui entendait coûte que coûte maintenir un de ses principes fondateurs – l’universalisme républicain – et l’expression publique de la foi religieuse d’un individu de confession musulmane, qui désirait porter la burqa en tout lieu en fut une puissante manifestation[112]. Or, cette « guerre des valeurs n’est pas prête de s’éteindre », croît le professeur Laurence Burgorgue-Larsen qui dans un élan prophétique écrit que les années à venir vont être marquées par une crispation croissante. Car, si l’universalisme des droits a déjà été traversé par diverses crises, celle-là lui paraît très préoccupante. « Le combat sera long et difficile afin de préserver les acquis de 1948 »[113] prédit-elle.

Le constat est donc sombre. Si on ne souhaite pas en rester à une conception strictement libérale et occidentale des droits de l’homme abîmée et rejetée à la fois hors de l’Occident et en son sein même, il paraît envisageable qu’on commence à réfléchir sur la meilleure option à suivre pour parvenir à une décrispation. Pour le professeur Rusen Ergec, ce dégel passera inévitablement par une conciliation entre l’universalisme occidental et le relativisme non-occidental, en conservant les droits qui ne sont pas susceptibles d’interprétation variée (les droits intangibles), tout en laissant la place pour les particularités nationales et régionales[114]. Boutros Boutros-Ghali se reconnaissait également d’une certaine manière dans cette logique lorsqu’il précisait dans son rapport de synthèse sur l’interaction entre démocratie et développement que « […] la reconnaissance de valeurs universelles ne signifie pas qu’il faille, pour autant, occulter les spécificités historiques, religieuses et culturelles qui font le génie propre de chaque société, de chaque Etat-nation »[115].

* *
 

En définitive, la conciliation de l’universalité des valeurs avec la diversité des cultures apparaît comme un besoin pressant du système international de protection des droits de l’homme. C’est l’un des grands enjeux du XXIe siècle, comme l’a souligné à juste titre le professeur Emmanuel Decaux[116]. Cet agencement apparaît comme une condition nécessaire à la légitimité du droit et à son efficacité. Les cultures ont besoin de se nourrir les unes des autres ; mais pour se faire, une reconnaissance mutuelle s’impose.

Toutefois, le projet – bien que séduisant – apparaît difficilement réalisable. Sa concrétisation peut être délicate. Mais, si même il a lieu, ne doit-on pas imaginer le pire avec la naissance d’un monde éclaté où les particularismes culturels et religieux se dressent les uns contre les autres ? Ne doit-on pas s’attendre à un système moins protecteur des droits de l’homme que le système actuellement critiqué ne l’est, malgré ses limites apparentes, avec notamment une consécration indirecte des pratiques culturelles indéfendables ? Néanmoins, il est tout de même judicieux d’espérer une société internationale où les diverses cultures coexistent mutuellement. Cette cohésion marquerait – avec tous ses risques et périls – une page nouvelle dans l’histoire de la démocratie internationale, car la démocratie c’est aussi la reconnaissance des valeurs des autres.

 

 

 

 

Authors

Chargé d’enseignement aux Universités Picardie Jules Vernes et Paris Nanterre.

Referencing

Jean Moise, « La conciliation de l’universalité avec la diversité culturelle. Un enjeu majeur du droit international », Europe des Droits & Libertés/Europe of Rights & Liberties, mars 2022/1, n° 5, pp. 98-117.

Article premier – Objectifs de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, CLT.2005/CONVENTION DIVERSITE-CULT REV.2, 2005. V. aussi E. Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, p. 175.

A ce propos, voir notamment S. Kassas, Droits de l’homme et Islam, Paris, Harmattan, 2011, pp. 22-30.

V. par exemple les termes mis en avant par le Représentant de l’URSS pour qualifier ces divergences, UN Doc. A/PV.183, 10 décembre 1948, p. 929.

Sur ce désaccord, v. entre autres, V. Zuber, « 1948 : les 70 ans de la DUDH, un anniversaire en demi-teinte », in A. Boza et Co (dir.), Histoire et postérité de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nouvelles approches, PUR, 2022, p. 32 et s.

S. Kassas, Droits de l’homme et Islam, op. cit., p. 25.

V. le document consignant les déclarations des Etats le jour du vote du projet : UN Doc. A/PV.183, 10 décembre 1948 ; voir aussi G. Johnson et J. Symonides, La Déclaration universelle des droits de l’Homme, Paris, Unesco/Harmattan, 1991, p. 78.

UN Doc. A/PV.183, 10 décembre 1948, pp. 913-915.

La résolution a été adoptée par 44 voix, avec 8 abstentions.

V. Zuber, « Les soixante-dix ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Un anniversaire en demi-teinte », Le Débat, 2018/4 (n° 201), p. 106-121, spéc. p. 114.

F. Sudre, « La dimension internationale et européenne des libertés et des droits fondamentaux », in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche, Th. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 9e éd., Dalloz, 2003, pp. 29-46, spéc. p. 30.

A. Abdelrahman, Monde arabe et droits de l’homme : vers l’émergence d’un système régional de protection des droits de l’homme ? Thèse de doctorat en droit, Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-Marseille (Aix-en-Provence, 2004), p. 180.

N. Mekki, « Les États Arabes et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », Arab Law Quarterly, 2009, vol. 23(3), pp. 307-328, p. 310.

Ibid.

Ces textes sont consultables sur ce lien : https://www.humanrights.ch/fr/pfi/droits-humains/religion/dossier/point-de-vue-de-lislam/declarations-islamiques-des-dh/

Pour plus de détails, v. J. Lacroix et et J.-Y. Pranchère, Le procès des droits de l’homme, Paris, Seuil, 2016 ; M. Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, 1983.

N’en déplaise à l’éminent juriste Alain Pellet qui croit que ces contestations sont surtout l’œuvre « d’auteurs qui ne se consolent pas de l’éclipse, plus ou moins profonde, plus ou moins durable, de la partie du monde à laquelle ils appartiennent, à la splendeur passée ». V. A. Pellet, « Le droit international à la lumière de la pratique : l’introuvable théorie de la réalité. Cours général de droit international public », RCADI, vol. 414, 2021, p. 144.

L. Burgorgue-Larsen, « Le basculement de l’histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme », RDLF, 2021 chron. n° 06.

C. Delsol, Le crépuscule de l’Universel. L’Occident postmoderne et ses adversaires, un conflit mondial des paradigmes, Paris, Les éditions du Cerf, 2020.

G. Minassian, « Bertrand Badie : Il serait salutaire de réécrire la Déclaration des droits de l’homme », Le Monde, 16 décembre 2010.

J. Yacoub, Réécrire la Déclaration des droits de l’homme, Desclée de Brouwer, 2008.

N. Rouland, « A propos de droits de l’homme : un regard anthropologique », Droits fondamentaux, n° 3, decembre-janvier 2003.

S. Huntington, « Le choc des civilisation », Commentaire, 1994, vol. 66(2), pp. 238-252.

Ils se montrent clairement favorables à la prise en compte de la diversité des cultures dans le cadre d’un aménagement du système international de protection des droits de l’Homme. V. R. Ergec avec la collaboration de M. Happold, Protection européenne et internationale des droits de l’homme, 3eédition / Bruxelles : Larcier, DL 2014, pp. 38-39 ; E. Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, op. cit., pp. 239-242.

V. C. Napoli Claudia, « La renaissance des droits culturels dans le système international de protection », in Humanisme et droit – Offert en hommage au professeur Jean Dhommeaux, Pedone, 2013, pp.341-356.

V. J. Nowicki, M. Oustinoff et S. Proulx, L’épreuve de la diversité : introduction, Hermès, 51, Paris, 2008, pp. 9-14.

Promotion du dialogue, de l’entente et de la coopération entre les religions et les cultures au service de la paix, UN Doc. A/RES/72/136, 11 décembre 2017.

B. Wicht, « La diversité culturelle. L’ambiguïté d’une notion », op. cit.

E. Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, p. 175.

V. le préambule.

R. K. Koude, « Reconnaissance de la diversité des cultures », Global justice, avril 2015 [dernière consultation le 12 mars 2022].

S. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 98.

Ibid., p. 98.

Ibid., p. 99.

Ibid., p. 101.

V. notamment Y. Onuma, « A Transcivilizational Perspective on International Law Questioning Prevalent Cognitive Frameworks in the Emerging Multi-Polar and Multi-Civilizational World of the Twenty-First Century » (Volume 342), RCADI, 2009; C. Delsol, Le crépuscule de l’Universel. L’Occident postmoderne et ses adversaires, un conflit mondial des paradigmes, Paris, Les éditions du Cerf, 2020.

Pour une synthèse des controverses suscitées par cette affaire, voir notamment D. Avon, « ‘L’affaire des caricatures’. Chronologie et mise en perspective » in La caricature au risque des autorités politiques et religieuses, Presses universitaires de Rennes, 2010 [dernière consultation le 13 mars 2022].

V. R. Letteron, « L’Etat de droit face au terrorisme », AFRI, Volume IX, 2008, pp. 245-261, spéc. p. 245.

Selon Al-Qaida au Yémen qui a revendiqué l’attentat, il s’agissait de venger le prophète Mahomet. « Al-Qaida au Yémen revendique l’attentat contre Charlie Hebdo », Le Figaro, 14 janvier 2015 [dernière consultation le 13 mars 2022].

Y. Onuma, « A Transcivilizational Perspective on International Law Questioning Prevalent Cognitive Frameworks in the Emerging Multi-Polar and Multi-Civilizational World of the Twenty-First Century », op. cit., p. 142.

D. Sidjanski, Dialogue des cultures à l’aube du XXIe siècle, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 1-2. Le thème « choc de civilisation », forgé par Samuel Huntington, évoque la possible confrontation à grande échelle entre les grandes civilisations du monde en raison de l’incompatibilité de leurs valeurs respectives.

V. par exemple les résolutions n° 54/160 du 17 décembre 1999, n° 55/91 du 4 décembre 2000, n° 57/204 du 18 décembre 2002, n° 58/167 du 22 décembre 2003, n° 60/167 du 16 décembre 2005, n° 62/155 du 18 décembre 2007 et n° 64/174 du 18 décembre 2009, n° 54/113 du 10 décembre 1999, n° 55/23 du 13 novembre 2000 et n° 60/4 du 20 octobre 2005, n° 66/154 du 19 décembre 2011, n° 74/159 du 18 décembre 2019, n° 73/129 du 12 décembre 2018, n° 72/170 du 19 décembre 2017, n° 70/156 du 17 décembre 2015.

Promotion du dialogue, de l’entente et de la coopération entre les religions et les cultures au service de la paix, UN Doc. A/RES/72/136 du 11 décembre 2017.

C. Delsol, Le crépuscule de l’Universel. L’Occident postmoderne et ses adversaires, un conflit mondial des paradigmes, op. cit., p. 67.

D. Lochak, « IV. L’universalité des droits de l’homme : évidence ou mystification ? », in D. Lochak (dir.), Le droit et les paradoxes de l’universalité, Paris, Presses Universitaires de France, « Les voies du droit », 2010, p. 180.

V. La version française du Statut de la Cour arabe des droits de l’homme (traduction non-officielle du Centre Arabe pour l’Éducation au Droit International Humanitaire et aux Droits Humains).

V. P. Tavernier, « Les ambiguïtés de l’universalité des droits de l’homme. A propos du Statut de la Cour arabe des droits de l’homme », in Réciprocité et universalité. Source et régime du droit international des droits de l’homme. Mélanges en l’honneur du professeur Emmanuel Decaux, Paris, Pedone, 2017, p. 883.

Ibid., p. 892.

T. Majzoub et F. Quilleré-Majzoub, « De l’utilité de la future Cour arabe des droits de l’homme. De quelques réflexions sur son Statut », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 103, juillet 2015, pp. 645-671, spéc. p. 659.

Disponible sur : https://www.oic-iphrc.org/fr/data/docs/legal_instruments/OIC_HRRIT/942045.pdf

N. Rouland, « A propos de droits de l’homme : un regard anthropologique », Droits fondamentaux, n° 3, décembre-janvier 2003.

Article 8 de la Déclaration.

Déclaration et programme d’action de Vienne, A/CONF.157/23, 12 juillet 1993, par. 5. [En ligne] Disponible sur : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G93/142/34/PDF/G9314234.pdf?OpenElement

N. Rouland, « A propos de droits de l’homme : un regard anthropologique », op. cit.

R. Ergec, Protection européenne et internationale des droits de l’homme, op. cit., p. 39.

Préambule. V. la Charte en ligne : https://www.humanrights.ch/cms/upload/pdf/061015_Projet-Charte-arabe.pdf

Sur ce point, v. M. A. Al-Midani, « La nouvelle Charte arabe des droits de l’homme est entrée en vigueur le 15 janvier 2008 », cité par Paul Tavernier, op. cit., p. 890.

Courrier international, « Russie. Les droits de l’homme revus et corrigés par l’Eglise orthodoxe », 07 avril 2006 [dernière consultation le 14 mars 2022].

Courrier international, « Russie. Les droits de l’homme revus et corrigés par l’Eglise orthodoxe », op. cit.

Selon la vision russe, les homosexuels n’ont pas droit de cité. La « promotion des relations sexuelles non traditionnelles » est érigée en infraction passible d’une amende. v. Cour EDH, 20 juin 2017, Bayev et autres c. Russie, req. n° 67667/09.

V. E. Decaux, « Le vide ou le trop plein : Le droit international des droits de l’homme, vingt ans après la Conférence mondiale de Vienne », in Unité et diversité du droit international/Unity and Diversity of International Law, Leiden, The Netherlands : Brill | Nijhoff, 2014, p. 745.

V. D. Lochak, « L’universalité des droits de l’homme : évidence ou mystification ? », op. cit., pp. 180-181.

Ces préoccupations remontent à l’élaboration de la Déclaration de 1948. V. par exemple la déclaration du Représentant de l’URSS : « On soutient maintenant une certaine théorie, déjà avancée par quelques Membres à la session précédente ; c’est la théorie, entièrement fausse, d’après laquelle le principe de la souveraineté nationale serait une idée réactionnaire et périmée et la répudiation de ce principe serait une condition essentielle de la coopération internationale. Le projet de déclaration des droits de l’homme semble faire sienne cette opinion nettement réactionnaire dirigée contre la notion de la souveraineté nationale et, partant, totalement incompatible avec les principes de l’Organisation des Nations Unies. On a parfois prétendu que la déclaration des droits de l’homme ne devrait pas toucher aux questions dont la portée s’étend au plan national, car elle serait consacrée aux droits des êtres humains en tant qu’individus. Il est impossible de partager cette opinion, ne serait-ce que du fait qu’on ne peut concevoir les droits de l’homme en dehors de l’Etat ; la notion même du droit et de loi est liée à celle de l’État. Les droits de l’homme n’ont aucun sens s’ils ne sont garantis et protégés par l’Etat », UN Doc. A/PV.183, 10 décembre 1948, pp. 923-924.

Document de position de la République populaire de Chine sur la réforme de l’ONU, 7 juin 2005, disponible [En ligne] sur https://www.senat.fr/rap/r08-246/r08-2463.html

Jeune Afrique, « A New York, Kagame rejette les leçons de démocratie des pays occidentaux », 20 septembre 2017, [dernière consultation le 13 mars 2022].

Ibid.

D. Dakowska, « L’Europe centrale à l’heure du repli souverainiste », Études, 2017/5 (Mai), p. 19-30, spéc. p. 28. V. également K. Blay-Grabarczyk, « Les mécanismes de suivi à l’épreuve de la pratique : l’exemple de la Pologne », RTDEur., 2019/2, n° 2, p. 321

Toutefois, le mécanisme a été adopté et leur recours en annulation a été rejeté par la Cour de justice. V. CJUE du 16 février 2022, Affaire C-156/21, Hongrie c. Parlement et Conseil.

A. Bodnar, « Protection of Human Rights after the Constitutional crisis in Poland », S. Baer, O. Lepsius, C. Schônberger, C. Waldhoff, C. Walter (eds.), Jahrbuch des öffentlichen rechts der Gegenwart, Mohr Siebeck, 2018, pp.639-662.

L. Burgorgue-Larsen, « Le basculement de l’histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme », op. cit.

https://www.amnesty.ch/fr/themes/torture/guantanamo

V. Utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, UN Doc. A/75/259, 28 juillet 2020. V. aussi UN Doc. E/CN.4/RES/2005/2, 07/04/2005, par. 11.

L. Burgorgue-Larsen, « Le basculement de l’histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme », op. cit.

Cité par S. A. Abu Ashlieh, « La définition internationale des droits de l’homme et l’islam », RGDIP, 1998, p. 627 et s.

V. le Compte rendu analytique de la 23e séance de la Sous-Commission de la prévention des mesures discriminatoires et de la protection des minorités, 37e session, tenue au Palais des Nations, à Genève, le 21 août 1984, Doc. E/CN.4/Sub.2/1984/SR.23.

F. Julien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008, p. 186.

UN Doc. A/69/PV.73, 18 décembre 2014, pp. 6-7.

UN Doc. A/RES/62/149 du 18 décembre 2007.

Selon son représentant, « Comme d’autres religions, l’islam respecte la dignité humaine et le caractère sacré de la vie, car la vie est un don de Dieu à tous les êtres humains sans distinction. La peine de mort est donc limitée aux crimes les plus graves au regard de la loi islamique. Elle ne peut être prononcée qu’au terme d’une procédure régulière, de manière à garantir que le châtiment soit compatible avec les dispositions juridiques et religieuses et que personne ne soit arbitrairement privé de sa vie », UN Doc. A/62/PV.76, 18 décembre 2007, p. 25.

UN Doc. A/62/PV.76, 18 décembre 2007, p. 26.

Ibid., p. 27.

Ibid., p. 27.

UN Doc. A/73/PV.55, « Moratoire sur l’application de la peine de mort », 17 décembre 2018, p. 24.

Selon Y. Onuma, la perspective transcivilisationnelle est une perspective par laquelle on cherche à proposer des solutions aux idées, activités, phénomènes et problèmes transcendant les frontières nationales, en développant un cadre cognitif et évaluatif basé sur la reconnaissance de la pluralité des civilisations et des cultures qui ont longtemps existé dans l’histoire de l’humanité. V. Y. Onuma, « A Transcivilizational Perspective on International Law Questioning Prevalent Cognitive Frameworks in the Emerging Multi-Polar and Multi-Civilizational World of the Twenty-First Century », op. cit., p. 131. Il soutient que pour que les droits de l’homme soient reconnus par une plus grande partie de l’humanité, y compris les non-Occidentaux, ils doivent être re-conceptualisés, répondant aux divers désirs, opinions, perspectives et propensions des peuples de cultures, de religions et de civilisations différentes. Il doit être libéré d’un excès de liberté-centrisme et d’un individualisme-centrisme, qui ont été ses principales caractéristiques en raison de son origine européenne moderne et de son développement centré sur l’Occident, Ibid., p. 347.

D. Lochak, « IV. L’universalité des droits de l’homme : évidence ou mystification ? », op. cit., pp. 184-185.

Sur le même sujet, voir N. Mekki, « Les États Arabes et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », Arab Law Quarterly, 2009, vol. 23(3), pp. 307-328.

V. P. Tavernier, « Les ambiguïtés de l’universalité des droits de l’homme. A propos du Statut de la Cour arabe des droits de l’homme », op. cit.,p. 886.

A. Pellet, « Le droit international à la lumière de la pratique : l’introuvable théorie de la réalité. Cours général de droit international public », op. cit., p. 145.

M. Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, Paris, Le Seuil, 1998, p. 25.

G. Minassian, « Bertrand Badie : Il serait salutaire de réécrire la Déclaration des droits de l’homme », Le Monde, 16 décembre 2010 [dernière consultation le 13 mars 2022].

R. Ergec avec la collaboration de M. Happold, Protection européenne et internationale des droits de l’homme, op. cit., pp. 38-39. Dans le même sens, Danièle Lochak considère que « l’évolution des droits de l’homme depuis qu’ils ont été énoncés pour la première fois en 1789, leurs réécritures successives faites d’enrichissements, de mutations, de métamorphoses même, devrait suffire à nous convaincre que l’universalité à laquelle ils prétendent n’est pas une donnée immuable et intangible », D. Lochak, « IV. L’universalité des droits de l’homme : évidence ou mystification ? », op. cit., p. 185. V. également J. Yacoub, « Pour un élargissement des droits de l’homme », Diogène 2004/2 (n° 206), pp. 99-121.

Cour EDH, GC, 25 octobre 2018, Affaire E. S. c. Autriche, req. n° 38450/12, par. 50

V. aussi Cour EDH, GC, 18 mars 2011, Lautsi et autres c. Italie, req. n° 30814/06 (concernant la présence des crucifix dans les salles de classes italiennes).

V. en particulier Peuple Indigène Kichwa de Sarayaku c. Equateur (2012), Communauté indigènes Yakye Axa et Sawhoyamaxa c. Paraguay(2006), Communauté Moiwana c. Suriname (2005-2006), Bamaca Velasquez c. Guatmala (200-2002).

Texte disponible en ligne sur https://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/resumen_245_ing.pdf

Déclaration de la Chine, v. AGNU, A/71/PV.65, 19 décembre 2016, p. 46.

Ibid.

Voir le préambule de la résolution, UN Doc. A/RES/71/202, 19 décembre 2016.

http://www.patriarchia.ru/db/text/103235.html

S. Huntington, Le choc des civilisations, op. cit., p. 239.

Ibid., pp. 343-344.

Le Représentant des Philippines, UN Doc. A/66/PV.92, 23 décembre 2011, p. 3.

Ibid.

Droits de l’homme et diversité culturelle, UN Doc. A/RES/66/154, 19 décembre 2011.

Promotion du dialogue, de l’entente et de la coopération entre les religions et les cultures au service de la paix, UN Doc. A/RES/73/129, 12 décembre 2018.

Déclaration du Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, à la journée mondiale de la diversité culturelle, UN Doc. SG/SM/13579-DEV/2896-OBV/994, 18 mai 2011.

On rappellera que la Déclaration de 1948 a été adoptée à une époque qui était favorable à la construction du multilatéralisme. On venait juste de sortir de la guerre, il était plus facile de s’entendre sur des questions divergentes. L’expérience de ces trente dernières années de la pratique des négociations multilatérales et l’examen des questions relatives aux droits de l’homme dans les enceintes internationales montre que s’aventurer sur le terrain d’une renégociation d’un cadre normatif international relatif aux droits de l’homme, c’est s’aventurer dans une voie complexe semée d’embuche dans laquelle la communauté internationale risque de ne pas sortir indemne. 

D. Lochak, « Quelques réflexions sur l’universalité de la règle de droit dans ses rapports avec l’égalité », Droit et cultures, n° 49, 2005-1 [dernière consultation le 13 mars 2022].

E. Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, op. cit., p. 187.

V. B. Boutros-Ghali, Paix, développement, démocratie. Trois agendas pour gérer la planète, Paris, Pedone, 2002.

UN Doc. A/51/761, 17 janvier 1997, par. 4.

Cour EDH, GC, 1er juillet 2014, SAS c. France, req. n° 43835/11.

L. Burgorgue-Larsen, « Le basculement de l’histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme », op. cit.

R. Ergec avec la collaboration de M. Happold, Protection européenne et internationale des droits de l’homme, op. cit., pp. 38-39.

B. Boutros-Ghali, L’interaction démocratie et développement : rapport de synthèse. Panel international sur la démocratie et le développement (PIDD), Paris : UNESCO, 2003, p. 8. V. également la déclaration de l’ancienne Commission des droits de l’homme qui insiste sur la protection de l’ensemble des droits fondamentaux, mais souligne en même temps qu’« il importe, aux fins d’une coopération internationale accrue dans le domaine des droits de l’homme, de préserver la richesse et la diversité de la communauté internationale des nations et des peuples et de respecter les particularités nationales et régionales ainsi que les divers contextes historiques, culturels et religieux », UN Doc. E / CN.4 / RES / 2005/57, 20 avril 2005, par. 5.

Pour cet auteur, « la recherche d’un développement durable, intégrant progrès social et équilibre naturel, est sans doute un des grands défis du XXIe siècle, pour concilier le local et le global » : E. Decaux, « Le vide ou le trop plein : Le droit international des droits de l’homme, vingt ans après la Conférence mondiale de Vienne », in Unité et diversité du droit international/Unity and Diversity of International Law, Leiden, The Netherlands: Brill | Nijhoff, 2014, p. 746.

ABSTRACT
This contribution aims to restore the always fascinating debate between the supporters of an international system of human rights protection based on universal values and those of a system that should consider the particularities of each region, group and/or tradition. It recalls, through a reading of contemporary practice, ideological groups and doctrine, the tensions generated by the current system of human rights protection. It highlights a reaffirmation of cultural diversity that is accompanied by a constant defiance and rejection of universality in the name of a right to difference, the preservation of sovereignty and because of the reproachable practices of certain Western States and shows consequently that one of the real current challenges of international law is the reconciliation of Western universalism with the local specificities.


RESUME
Cette contribution tend à restituer le débat toujours passionnant entre les partisans d’un système international de protection des droits de l’homme fondé sur des valeurs universelles et ceux d’un système qui devrait prendre en compte les particularités propres à chaque région, groupe et/ou tradition. Elle rappelle, à travers une lecture de la pratique contemporaine, des groupes idéologiques et de la doctrine, les tensions que génère le système actuel de protection des droits de l’homme. Elle met en lumière une réaffirmation de la diversité culturelle qui s’accompagne d’une défiance et d’un rejet constant de l’universalité au nom d’un droit à la différence, de la préservation de la souveraineté et en raison des pratiques reprochables de certains Etats occidentaux, et montre en conséquence que l’un des véritables enjeux actuels du droit international est la conciliation de l’universalisme occidental avec les particularismes locaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Partie I - L’émergence des revendications culturelles dans la pratique internationale
    • A. La réaffirmation de la diversité culturelle et religieuse
    • B. L’universalité des droits de l’homme à l’épreuve de la diversité culturelle
  • Partie II - Vers une conciliation des valeurs universelles avec la diversité des valeurs culturelles
    • A. La conciliation de l’universalité avec la diversité, gage de la légitimité du droit
    • B. La conciliation de l’universalisme avec la diversité, facteur de coexistence pacifique
    • C. L’enjeu de la conciliation de l’universalité avec la diversité
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